Chapitre 94 Apprendre de ses erreurs et en faire de nouvelle

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Wilmington. Printemps. Lydia.

Lydia était épuisée. Elle n'avait pas cru ses sœurs quand elles lui avaient dit qu'elles allaient prendre ses ambitions au sérieux. Maintenant qu'elles avaient pris les choses en main, la jeune fille se demandait si finalement sa quête de gloire n'était pas un peu « too much » pour elle. Son nouvel emploi du temps surchargé ne lui convenait pas du tout.

En plus de son traditionnel, et peu productif, cour de danse, elle avait désormais un cours de chant et un cours de théâtre à Albany tous les week-ends. Sa mère faisait le chauffeur sans se faire prier. Parfois même son père. Son emploi du temps en semaine se partageait entre petits boulots pour payer une partie de ces cours et entraînement supervisé par une amie de sa mère qui était coach sportif.

Ce regain d'intérêt pour elle n'était pas pour lui déplaire, mais son revers était difficile à supporter. Toute la famille s'était mise à l'encourager dans ses projets d'avenir, et ça la perturbait au point de se demander si elle voulait vraiment devenir actrice ou danseuse.

Elle aurait eu besoin d'en discuter avec sa meilleure amie, mais Amy Foster avait disparu de la circulation, et les Foster refusait que Lydia ait le moindre contact avec elle, malgré ses excuses et l'intervention des Bennet pour plaider l'indulgence auprès d'eux. Ça aussi, c'était extrêmement déstabilisant

Lydia avait d'autres amies, mais pas aussi chère à son cœur. Au lycée, elle faisait partie d'un petit groupe, mais certaines s'étaient éloignées. Son aventure new-yorkaise s'était ébruitée, et cela lui avait créé de nouvelles ennemies. Pour autant, elle ne s'en formalisa pas. Elle n'avait que faire de ces pimbêches, jalouses au fond, de n'avoir jamais eu le courage de l'imiter.

Elle continuait donc à être elle-même et à jouer les écervelées, tout en ayant les meilleures notes possibles. Mais elle était fatiguée. Elle n'avait même plus le temps d'alimenter autant qu'avant ses comptes sur les réseaux.

— Salut.

Lydia se redressa d'un bond. Elle s'était allongée sur un banc au soleil pendant l'heure de battement dont elle disposait avant son prochain cours. Tous ses camarades s'étaient précipités à la bibliothèque ou à l'étude pour réviser l'interro qui était prévue.

La jeune fille dû plisser les yeux et les abriter avec sa main, pour tenter de voir celui à qui appartenait ce « salut » sans intonation particulière. Il se tenait dos au soleil. Taille moyenne. Silhouette maigrichonne. Fringues banales. Bonnet sur cheveux mi-long. Pas le type de gars qu'elle fréquentait d'habitude.

— Tu veux quoi ? demanda-t-elle en se remettant dans sa position initiale, montrant ainsi qu'elle se fichait comme de sa première paire de collants, de ce que voulait ce type.

— Il parait que tu sais chanter.

Lydia se redressa de nouveau en s'accoudant en arrière pour regarder de nouveau le gars. Elle remarqua alors qu'il avait un étui à guitare dans le dos. Pas un de ces étuis pro dont se servaient les élèves de la classe de musique. Plutôt un vieux truc hors d'âge et pas forcément très protecteur.

— Ça se pourrait, répondit-elle avec un petit ton acerbe.

« S'il comptait sur elle pour chanter dans son groupe miteux, il rêvait ! » pensa-t-elle aussitôt. Elle voulait entrer dans le show-biz. Pas traîner avec des musicos sans avenir.

— Ça te dirait d'auditionner pour nous ?

Lydia ne répondit pas immédiatement. Trop stupéfaite de ce que le gars venait de dire.

— « Auditionner » ? répéta-t-elle en riant.

Cette fois, elle s'était levée pour répondre. Les mains sur les hanches, elle examina plus attentivement son interlocuteur qui ne payait pas de mine, mais qui l'intriguait malgré elle. Le jeune homme était plus âgé qu'elle. Peau légèrement mate, traits indubitablement asiatiques, carrure de crevette, épaules rentrées, cheveux noirs en baguette que le port du bonnet ne devait pas aider à discipliner, yeux... bleu océan. Magnétiques. Ça c'était inhabituel. Lydia fronça les sourcils.

— Ça y est ? T'as assez maté ? Bon, ben, si tu changes d'avis, t'as qu'à venir ce soir à l'auditorium vers 18h30, dit-il simplement en repartant.

— Non mais ?! Pour qui tu te prends ? lança-t-elle dans son dos.

— Et toi ? répliqua-t-il sans même se retourner.

Lydia remarqua qu'il boitait légèrement de la jambe gauche et qu'il tenait son étui à guitare sur le côté pour éviter qu'il ne lui batte les flancs. Elle haussa les épaules et se rassit sur son banc. « N'importe quoi » pensa-t-elle.

***

Katsuo ne frayait pas avec les « greluches » dans le genre de Lydia Bennet normalement. En fait, il s'arrangeait même pour les éviter autant que possible. Mais il avait entendu parler d'elle, de ce qu'elle était supposée avoir fait, de ce qu'elle était supposée être aux yeux des biens pensants. Lui, il s'en foutait de tout ça. Ce qu'il avait retenu, en revanche, c'était qu'elle aurait été prête à tout pour monter sur une scène. Ça n'était pas négligeable. Encore fallait-il qu'elle sache chanter convenablement. Leur groupe avait besoin d'une chanteuse, pas d'une midinette qui beuglait.

Le premier contact avait été tel qu'il l'avait imaginé : intéressant. Cette fille avait plus d'égo que tous les membres du groupe réunis. Ce qui n'était pas rien. Parce qu'entre le bassiste qui ne jurait que par John Entwislte, le batteur qui se prenait pour Dominic Howard, et lui, qui se rêvait aussi fort que Jack White, on ne pouvait pas dire que l'humilité était leur première qualité. Alors que Lydia Bennet se prenne pour une diva ne lui posait aucun problème. Restait à voir si elle en était réellement une, et pas seulement une « belle plante » qui se montait le « bourrichon ». Parce que ce genre-là, il en connaissait un paquet, dont au moins deux qui avaient tenté de faire partie du groupe. Ça avait été des échecs cuisants. D'où l'audition de ce soir.

Car, malgré tout leur talent – ils écrivaient et composaient toutes leurs chansons quand même -, il leur manquait un élément : une voix. Chacun d'entre eux s'y était essayé. Ils n'étaient pas si mauvais, mais ça manquait de coffre, de tessiture, de chaleur. Ça manquait de conviction. Il leur fallait quelqu'un qui fasse vibrer la salle avec eux. Alors si Lydia Bennet se révélait à moitié aussi bonne qu'elle prétendait l'être sur les réseaux, il voulait bien essayer de supporter son égocentrisme et son caractère de chiotte.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant