Wilmington. Noël. Andrew.
Une chanson de Noël déployait ses rythmes enjoués dans le salon. Les lumières du sapin clignotaient. Une bonne odeur de chocolat chaud et de guimauve emplissait l'espace. Comme à chaque noël depuis cinq ans, Andrew Preston recevait ses parents et ceux de la mère de son fils.
Pour l'occasion, la maison s'animait joyeusement, car ils étaient toujours heureux de se retrouver malgré le poids que faisait planer l'absence de Lily. Cette année était un peu particulière cependant, car non seulement Preston avait décidé de changer d'air en aménageant à Wilmington, mais Rose, la sœur cadette de Lily, avait été invitée avec son mari et son bébé de six mois. Timothy avait donc découvert sa cousine pour la première fois la veille, car le couple vivait au Canada.
Si la joie extatique avait pu avoir un visage en particulier, ça aurait été celui de Timothy Preston en découvrant ce bébé aux grands yeux noirs et au sourire facile. La petite se prénommait May et gazouillait gentiment, ravie de l'attention que tout le monde semblait lui porter.
En voyant Rose, épanouie près de son enfant et de son mari, Andrew savait que ses beaux-parents pensaient la même chose que lui. La jeune mère avait réussi là où Lily avait échoué. Et lui, Andrew, ressentait leur soulagement comme un coup de poignard. Preuve qu'il se sentait toujours coupable de n'avoir pas vu les signes annonciateurs du suicide de sa femme, alors que Tim n'avait que quelques mois.
Il devait se rendre à l'évidence, il s'en voudrait sans doute toute sa vie. La culpabilité était tenace, quand bien même on ne vous reprochait rien. Car les parents de Lily n'avaient jamais rien dit contre lui. Au contraire, ils l'avaient même soutenu au début du deuil. Les familles Preston et Malherbe s'étaient serrées les coudes pour Tim.
Andrew chassa ses pensées noires et observa son fils assis au pied du sapin près du transat de May. Tim était sourd-muet. Il ne criait pas, ne fredonnait pas, ne parlait pas. Il vivait dans un monde de silence et de signes. Il observait et retenait chaque détail. Communiquait en écrivant ou en signant.
Dans sa candeur enfantine, il caressait la joue de May et signait des mots doux pour elle. Cela semblait beaucoup plaire au bébé qui voyait là, sans doute, un ballet intrigant de doigts. Ils se souriaient, et c'étaient suffisant pour les conforter dans un sentiment d'amour réciproque.
— Je crois qu'il l'aime bien, dit Rose.
— Tu veux dire qu'il l'adore ! s'exclama Andrew en souriant. En même temps qui n'aurait pas envie d'aimer cette petite bouille. Elle est magnifique, Rose.
— Merci. Mais je ne l'ai pas faite seule. D'ailleurs, je trouve qu'elle ressemble à son père.
— Je dirais que c'est un harmonieux mélange de vous deux.
Rose sourit à Andrew et pressa sa main sur son bras. Elle savait la tristesse qui l'habitait depuis cinq ans. La jeune femme avait presque 18 ans quand Lily était morte. Et en ce jour funeste, elle s'était promis d'être heureuse, de ne pas sombrer et de rendre le soleil à ses proches. C'était une mission salutaire qui lui avait permis de trouver l'amour et de l'apprécier. Elle n'avait pas le pouvoir de comprendre le geste de sa sœur. Personne ne l'avait. En revanche, elle avait le pouvoir d'adoucir la tristesse de ceux qui souffrait encore de cette mort absurde.
— Pourquoi es-tu venu t'installer ici, Andrew ? Tu n'as pas peur de... te sentir seul ?
— C'est justement pour ne plus l'être que je suis venu ici. La communauté est très accueillante. Je connais le nom de tous mes voisins, ce qui n'était pas le cas à Boston, alors que j'y vivais depuis mon enfance. Et puis, il y a cette école...
— C'est vrai ! Ton ami, M. Parker... Tim a réussi à s'intégrer ?
— Nous sommes arrivés il y a peu de temps, mais je dirais qu'il est sur la bonne voie. L'école fait de gros efforts pour les enfants dans sa situation.
— Il est dans une classe spéciale ?
— Non. Dans une classe avec d'autres enfants sans handicap, mais les enseignants sont très motivés.
— Il a un maître ou une maîtresse ?
— Une maîtresse et...
« Elle est très gentille » signa Tim qui s'était approché d'eux.
Le jeune garçon compensait son handicap par une acuité visuelle très développée. Il savait lire sur les lèvres et interprétait les vibrations qu'il ressentait avec beaucoup de facilité.
— Tim ? Tu ne t'occupes plus de May ? demanda Andrew en fixant le transat vide.
Le garçon montra du doigt la petite fille dans les bras de son père.
— Je vois. Tu t'es fait voler la vedette ?
« Oui ». « Mais j'ai un atout dans ma manche » signa-t-il.
Parfois Andrew se demandait comment un enfant de cinq ans pouvait avoir autant de vocabulaire et de maturité.
« Un atout ? »
« Mulche »
Andrew éclata de rire, ce qui attira l'attention sur lui, immanquablement. Andrew riait peu et rarement de cette manière. Le père ébouriffa les cheveux de son fils, qui sourit avant de filer comme une flèche à l'étage.
— Que se passe-t-il ? demanda Mme Malherbe.
— Tim vient de trouver comment accaparer l'attention de May pour toute la soirée au moins.
— Ah ? s'exclama le papa intrigué en déposant un baiser sur la joue rebondie de sa fille.
— Mulche.
— Mulche ? répéta Rose.
C'est à ce moment-là qu'une petite boule blanche touffue déboula dans le salon, langue pendante et saut joyeux à l'appui. Mulche avait été le cadeau de bienvenue dans cette nouvelle maison pour Tim. May fut captivée dès qu'elle le vit. Et pas seulement elle.
Andrew apprécia la diversion. Ça lui évitait de répondre aux questions que Rose n'aurait pas manqué de lui poser concernant sa situation personnelle. Or, il ne voulait rien dire qui aurait pu mettre la puce à l'oreille à qui que ce soit concernant Catherine Bennet, la « gentille maîtresse » de Tim.
Un point pour Tim et Mulche.
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Les sœurs Bennet
ChickLitCette histoire s'inspire très librement des personnages d'"Orgueil et préjugés" de la grande Jane Austen. Pas de comparaison possible, mais un roman autour des sœurs Bennet de nos jours. Cinq sœurs, cinq cœurs en quête d'amour, cinq destins romanti...