Chapitre 63 Vouloir un enfant sans assumer le père

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Wilmington. Automne. Jane & Charlotte.

— À moins que tu ne me révèles que Charles est le père de cet enfant, et dans ce cas, c'est lui que je détesterais, soit en sûre, je ne vois pas qui pourrait me déplaire au point de...

Jane n'acheva pas sa phrase. Elle voyait parfaitement une personne qui pourrait lui déplaire au point de susciter une colère sans nom.

— Ne me dis pas que c'est Finn, Charlotte ?

Devant le silence de son amie, Jane comprit que l'heure était bien plus grave qu'il n'y paraissait. Et que l'évènement qui aurait pu être heureux, ne l'était pas. Pas pour le moment, en tout cas.

— Tu lui as dit ?

— Oui.

— Et ? Il t'a abandonnée comme une vieille chaussette ? C'est ça ?

— Non ! s'écria Charlotte en relevant son joli visage baigné de larmes. C'est pire ! Il veut assumer son rôle de père ! Il veut se marier avec moi !

Jane accusa le coup encore une fois. Elle était tellement stupéfaite qu'elle resta sans voix, la bouche ouverte, en fixant son amie dans la pénombre de cette soirée d'automne à peine éclairée par les lampes tremblotantes du perron. Aux chuchotements et bruits qu'elle entendait derrière la porte d'entrée, elle sut que toute la famille Bennet était dans le même état qu'elle. C'est à dire en état de choc.

— Tu es en train de me dire que tu es enceinte de Finn Collins et qu'il veut que tu l'épouses pour assumer son rôle auprès de son enfant ? C'est...inattendu !

— Je sais... Je... Quand j'ai été sûre d'être enceinte, je me suis posée la question de le garder. Et puis, je me suis dit que c'est ce que je voulais. Un gosse. Un gosse à moi, à élever, à regarder grandir, à aimer... Je voulais un gosse. Pas forcément du père. Mais Finn est venu au bar, il y a un mois. Il m'a vu refuser les verres que voulaient m'offrir un client. Il a deviné. Je ne sais pas comment... Il m'a demandé s'il était de lui. J'ai menti, mais il n'a pas été dupe. Je n'ai pas été assez convaincante. Et puis, peut-être que je voulais qu'il sache ! Je ne sais pas ! J'étais tellement sûre qu'il agirait comme un salop... mais non... Il vient à tous les examens et me rend visite pour me convaincre de l'épouser. Il ne veut pas que son enfant soit élevé à l'arrière d'un bar par une mère célibataire...

— Il t'a dit quoi ?

— Il ne veut pas que son enfant grandisse avec un seul parent à l'arrière d'un bar. Je crois qu'il a souffert de la même situation...

— Pas du tout ! Il n'avait que son père mais il n'était jamais seul ! Il était toujours fourré avec nous, et ma mère s'occupait de lui comme d'un fils ! Tu ne t'en souviens pas parce que tu es arrivée un peu avant la rupture ! Il est juste confit de principes stupides ! Et surtout, il suppose que tu seras incapable de gérer seule ! C'est bien lui, ça ! Il a le don d'être vraiment...

— Il dit qu'il m'aime, Jane.

— Hum... Et toi ?

— Je n'en sais rien. Tu vois, quand on était ado, avant qu'il ne développe cette obsession pour toi, j'avais un faible... Et puis, c'était passé. Et puis, je ne sais pas ce qui m'a pris à la kermesse d'été... J'ai cru que ce serait sans conséquence, qu'on en rirait plus tard.

— Vous ne vous êtes pas protégés ?

— Si, mais parfois, il faut croire que ça ne fonctionne pas... Et puis, je ne regrette pas d'être enceinte, Jane. Je le veux cet enfant. Ce que je ne sais pas, c'est si je veux du père !

Jane enveloppa son amie de ses bras et lui embrassa le front. Charlotte se laissa aller dans ses bras sans rien ajouter. Elle était tellement soulagée d'avoir révélé son secret. Elle avait tellement besoin d'en parler à quelqu'un qu'elle aimait et en qui elle avait confiance.

— Tu sais quoi, Charlotte. Tu es seule juge de la vie que tu as envie d'avoir avec ton enfant. S'il veut en faire partie, tu lui imposeras tes conditions. Pas le contraire. Ne le laisse pas avoir le dernier mot.

— Tu dis ça parce que tu le détestes.

— Je dis ça parce que je t'aime, Charlotte. Et je vais aimer ton enfant aussi. Mais lui... Je n'arrive pas à voir quelque chose de positif en lui.

— Et s'il me rend heureuse ?

— À part s'il te rend heureuse, Charlotte. C'est le cas ?

— Je ne sais pas. Trop d'hormones...

Jane rit doucement à cette réponse.

— Tu sais quoi, Charlotte. On va entrer et fêter cette nouvelle comme il se doit ! Tu vas avoir un bébé. Après Emma ! J'espère que le prochain, ce sera moi, dit-elle spontanément avant de se taire.

Jane n'avait encore jamais parlé sérieusement d'avoir des enfants avec Charles. Mais son désir profond venait de parler pour elle, elle s'en rendait compte. Elle soupira.

— Moi aussi, je l'espère. Je ne veux pas être toute seule dans cette galère, soupira à son tour Charlotte.

— Arrêtes ! On va t'aider ! Tu n'es pas seule à New-York ! Tu n'es seule nulle part ! Nous sommes là. Moi et Elizabeth.... Elizabeth.... Elizabeth n'est pas encore au courant ! s'exclama Jane en prenant un air sombre. Elle va le tuer !

— Elizabeth, répéta lugubrement Charlotte en portant ses mains devant sa bouche, elle va le tuer...

— Elizabeth ne tuera personne, jeune fille. Elle n'en a pas le droit. Par contre, moi, je ne suis pas sûre de laisser passer cette histoire.

— Mme Bennet ! Mais... J'étais consentante, vous savez, dit Charlotte en se relevant devant la petite silhouette encore dans l'ombre de l'entrée.

— Je sais. Mais n'empêche... Cet imbécile prétend adorer l'une de mes filles au point de nous faire peur, ensuite, il tourne autour d'une autre de mes filles en lui chamboulant le cerveau, et maintenant il te met enceinte... ça commence à bien faire ! souffla Mme Bennet en croisant les bras sur sa poitrine.

À ce moment-là, Jane pensa à sa sœur qui avait la même manière de faire quand elle était contrariée. Elizabeth allait hurler, c'était sûr... Mais pour le moment, elle ne savait rien...

— Bon ! Allez, on rentre parce qu'on se gèle dehors, et que nous devons nous réjouir de ce nouveau bébé ! s'exclama finalement Jane en se tapant sur les cuisses.

Puis elle tendit le bras vers Charlotte pour qu'elle l'aide à se relever. Elle constata que la jeune femme, si elle était bien enceinte de presque six mois, ne témoignait d'aucun signe de grossesse. Il y avait fort à parier que le stress de garder son secret, et quelques désagréments gastriques, avaient œuvré en ce sens. Maintenant que le voile était levé, elle allait sans doute subir une transformation qui affirmerait son état aux yeux du monde.

— Je suis tellement contente ! lança Kitty en enlaçant Charlotte avec affection. Un bébé ! C'est tellement... Je suis vraiment tellement contente, Charlotte !

— Je vois ça, dit l'intéressée en souriant.

On ne voyait que très rarement Catherine exprimer de manière aussi expansive sa félicité. La jeune femme était souvent très discrète et ne se faisait jamais remarquer. Là, elle rayonnait autant que si on lui avait annoncé le retour du Messie.

Seuls M. Bennet et Lydia n'exprimèrent aucune sorte de sentiment. Aucun des deux ne s'intéressait d'assez près à la survie de l'espèce. Le père, parce qu'il estimait avoir déjà donné dans le registre, et la dernière fille, parce qu'elle n'envisageait aucunement son avenir environné de braillards. Les bébés n'étaient intéressants que sur les vidéos des réseaux sociaux. Dans la vraie vie, c'était une plaie, c'était bien connu.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant