Chapitre 100 Du désavantage d'avoir des sœurs perspicaces

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New-York. Automne.

— Kitty, tu souris trop. Sincèrement. C'est à peine si tes yeux ne sortent pas de leurs orbites.

— Je suis tellement contente, Lydia. Tu ne l'es pas, toi ?

— Je suis surtout contente que ce soit fini.

— Fini ?

— Tout ces chichis et ce stress... C'était épuisant. Entre Jane qui craignait qu'une météorite ne tombe sur New-York, et Elizabeth qui ne cessait de changer d'avis... il y avait à peine de la place pour nous.

— Tu veux dire pour toi.

— Bah ! Pour toi aussi... Mary, elle ne compte pas. Elle était trop loin pour subir les dommages collatéraux, mais toi...

— Quoi, moi ?

— Tu as mis ta vie en sourdine, comme moi.

— Tu sais ma vie est plutôt tranquille. Je n'ai pas eu à la mettre en sourdine. Et toi non plus ! Tu as été à tous tes cours. Tu chantes même dans un petit groupe de rock. Tu n'as pas été mise de côté !

— En fait, ça t'arrangeait ! Maman n'était pas sur ton dos comme ça ! s'exclama Lydia en fixant sa sœur avec un petit sourire qui en disait long.

— Pardon ? Mais de quoi tu parles ?

— Finalement, tout ce barouf t'a donné un délai avant de passer sur le grill.

— Mais je...

— Arrête ! Kitty ! Tu ne t'en rends pas compte, mais depuis noël tu es différente. La même, mais différente. Il y a quelque chose qui...

— Il n'y a rien, s'empressa de dire Catherine en buvant une gorgée d'eau pour se donner contenance.

— Tu pourrais au moins me le dire. Moi, je te dis tout.

— Tu m'as fait des cachotteries quand même !

— Oui ! Et regarde le résultat que ça a eu. Je te le dis. Il vaudrait mieux que tu me dises tout avant de tomber au fond du trou comme moi !

Catherine sourit plus largement et donna une petite pichenette à sa sœur.

— Bien essayé.

— Rhaaaa... Tant pis pour toi. C'est maman qui va s'y coller.

— Quoi ?

— Ça fait des mois que maman veut que je te tire les vers du nez, tu sais... Maintenant que Jane et Elizabeth sont casées, que Mary file le parfait amour avec Mathilda à Boston, il ne reste que toi...

— Et toi !

— Même si j'aurai bientôt 18 ans, je sais que je n'aurais pas l'autorisation de fréquenter un garçon avant des lustres. Alors, je suis hors course.

— Et Katsuo ?

— Katsuo est un imbécile bien trop imbu de lui-même pour m'intéresser ! Et ne détourne pas la conversation ! Tu peux me croire, tu seras sur le grill dès notre retour. Maman a un détecteur à histoire d'amour, et toi, tu es dans son viseur !

Catherine jeta un regard vers ses parents qui discutaient avec d'autres convives. Ils avaient l'air heureux et très occupés. Pourtant, alors que la jeune femme allait reporter son attention sur sa sœur, elle croisa le regard de sa mère. Lydia avait raison. Elle allait être la dernière à caser. Son sourire s'effaça.

— J'ai besoin de prendre un peu l'air, murmura-t-elle alors que Lydia avait déjà reporté son attention sur son téléphone.

Le départ de Catherine aurait pu passer inaperçu si Jane n'était pas elle-même sortie pour répondre à plusieurs messages de félicitation de la part d'amis ou d'anciens collègues. Assise dans un coin de la terrasse, elle pianotait sur son téléphone en silence quand elle vit sa sœur s'accouder à la rambarde en soupirant. Jane l'observa un bref instant en se demandant si elle allait ou non interrompre son moment de solitude.

L'aînée des Bennet avait vu la joie de Catherine tout au long du mariage. Elle savait qu'elle vivait ce dont rêvait sa sœur : une rencontre fortuite aboutissant à un amour véritable, concrétisé par un beau mariage.

Toutefois, bien qu'accaparée par sa propre histoire à construire, il n'avait pas échappé à Jane que Catherine était différente depuis quelques temps. Elle ignorait la cause de se changement. Il était peut-être temps de s'en préoccuper. Certains auraient pu penser qu'elle aurait bien autre chose à faire le jour de son mariage, mais Jane pensait que justement parce que ce jour était spécial pour elle, sa sœur ne lui refuserait pas la vérité. Ou plus difficilement si elle jouait sa partie finement.

— Catherine ? Tu as l'air triste ?! Comment est-ce possible le jour de mon mariage !

— Jane ! Tu m'as fait peur ?!

— Alors ?

— Alors quoi ?

— Qu'est-ce qui te préoccupe assez pour te contrarier, toi, la fille si difficile à contrarier.

— Je me fâche parfois, tu sais, répondit l'intéressée en souriant cependant.

— Vraiment ? Je suis sûre que tu trouves toujours un moyen de ne pas en arriver là.

— C'est possible...

— Catherine, qu'est-ce qui ne va pas ? Je vois bien que tu es...

— Différente ? Décidément, il est bien difficile de cacher quelque chose dans cette famille... Ou alors je suis la moins douée pour le faire.

— Tu es surtout celle qui ne cache jamais rien... d'habitude.

— Je ne cache rien. Enfin pas vraiment. Puisqu'il n'y a rien à cacher.

— Te voilà énigmatique maintenant.

— Je ne peux rien dire parce qu'il n'y a rien. Si je te raconte, tu vas me prendre pour une folle.

Jane rit de bon cœur avant de se serrer contre sa sœur en lui enlaçant les épaules.

— Il n'y a que l'amour pour faire perdre autant son discernement. De qui es-tu amoureuse, Catherine ?

— D'un homme qui ne veut pas céder à ses sentiments. Et je ne l'y forcerai pas.

— Allons bon. Est-ce qu'il est marié ?

— Non... Non ! Mais il l'a été.

— Est-ce qu'il ne s'appellerait pas M. Preston, par hasard ? demanda alors une voix derrière les deux sœurs.

Elizabeth se tenait adossée à la porte de la terrasse, bloquant ainsi l'entrée à quiconque aurait eu envie ou besoin de prendre l'air sur cette terrasse.

— Oh non... murmura Catherine malgré elle.

— C'est sympa, dit donc ! Comme si le fait que je sache ton secret allait provoquer la pire des catastrophes ! sourit Elizabeth en s'avançant.

— Je ne veux pas que vous interveniez...

— Ok ! C'est bon pour moi, Kitty. Jane ?

— C'est bon pour moi aussi.

— C'est vrai ?! Vous ne direz rien à maman, et vous n'essayerez pas de vous en mêler ?

— Non. Promis juré, dirent les deux aînées en cœur. Par contre, maman... il va falloir la jouer finement.

— Je sais, soupira Catherine en se réaccoudant à la rambarde.

— Mais on peut peut-être t'aider, commença Jane avec un petit sourire.

— Vous avez dit que vous ne vous en mêleriez pas !

— Pas en nous en mêlant. En faisant diversion, continua Jane en portant instinctivement une main à son ventre.

Le regard de ses sœurs passa plusieurs fois de son visage à cette main posée délicatement à un endroit stratégique. Puis la lumière se fit dans leur esprit, et elles éclatèrent de joie en se jetant sur Jane.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant