New-York. Mai. Jane.
— Bonjour, Philip, dit Jane avec un calme olympien.
Son ex fiancé avait mauvaise mine. Des cernes sous les yeux, la bouche tordue en un rictus amer, et, chose remarquable, une mise un peu négligée. Aurait-il voulu la faire culpabiliser qu'il ne s'y serait pas pris autrement... Mais Jane était moins sensible. Un mois auparavant, il aurait sans doute réussi à l'influencer. Plus aujourd'hui.
— Bonjour, Jane, dit-il de manière à dissimuler la sécheresse de son ton.
Donc, il avait bien cherché à la culpabiliser, mais il l'avait observée en arrivant et vu dans son regard que ça ne fonctionnerait probablement pas. Peut-être était-il temps qu'il réalise que Jane Bennet n'était plus la petite chose inoffensive qu'il avait cru posséder ? L'entretien n'en serait que plus facile. Enfin, elle espérait. Pour avoir vécu avec lui pendant cinq ans, elle savait qu'il pouvait être opiniâtre.
— Bien, Philip, j'ai pris connaissance, avec un certain étonnement tu l'imagines, du document que ton avocat m'a transmis. Concernant ce que tu juges t'appartenir dans l'appartement que nous avons occupé ensemble pendant quatre ans, sachant que je l'ai occupé plus longtemps, puisque le bail a été pris à mon nom un an avant que tu ne t'incrustes chez moi...
— Que je ne m'incruste ? C'est comme ça que tu définis notre relation, Jane ?
— Disons que j'ai révisé ma façon de la voir depuis que j'ai vu tes mains sur les énormes seins d'une autre pendant que tu lui faisais du bouche-à-bouche. Tu as peut-être effacé les photos des réseaux, je les ai encore dans mon téléphone. Et je les regarde à chaque fois que mon esprit conditionné, tente de te trouver des qualités. Ça te va ? Nous pouvons continuer ?
— Non ! Ça ne me va pas ! Tu n'as même pas écouté ce que j'avais à dire ! Tu...
— Ce que tu avais à dire ? Pardon, mais est-ce bien nécessaire ?
— C'était une erreur... J'avais bu, et les potes n'ont rien trouvé de mieux que...
— Arrête immédiatement, Philip. Je m'en fiche. Tu peux accuser qui tu veux, je m'en fiche. C'est ta bouche qui explorait celle de cette femme, et tes mains qui palpaient ses seins ! Pas ceux de tes potes ! Je n'aurai plus jamais confiance en toi ! Et maintenant que mes yeux sont grands ouverts, je ne suis pas près de les fermer. Tu as choisi. Est-ce que nous pouvons continuer ?
— Tu veux la jouer comme ça ?
— Comment ça ? Je ne joue pas, j'ai lu le document qui est parfaitement inacceptable. Tu voudrais récupérer l'appartement sous le prétexte que tu y as partagé ma vie pendant cinq ans. Mais pendant ces cinq années, il ne t'est jamais venu à l'idée de partager le loyer ou de payer...
— Je payais le bouffe !
— Non. Tu payais les courses de temps à autre. Je te signale que je travaille dans la finance. Mes comptes sont tenus au cordeau. Je suis capable de produire la preuve de chaque dépense de ces cinq dernières années. Je t'accorde que la machine à café est à toi et aussi le meuble de rangement derrière le canapé. Peut-être un ou deux bibelots. Doit-on compter les cadeaux que tu m'as fait ? Parce dans ce cas, il y a un collier en toc, et le bracelet dont ta mère n'a pas voulu. Un ou deux livres ? Oh ! J'allais oublier l'écharpe. Elle est comme neuve. Je ne l'ai jamais portée. Tu pourras l'offrir à ta nouvelle greluche, même si j'ai un doute sur le fait qu'elle te garde, elle.
— Je t'aime, Jane. Tu l'oublies un peu vite... Tu oublies ces cinq années passées ensemble. Est-ce que tu n'étais pas heureuse avec moi ? Nous allions bien ensemble... commença-t-il d'une voix qu'il voulait suppliante.
— Arrête, Phil ! Arrête tout de suite ! C'est toi qui as oublié notre vie commune ! Alors non, je n'étais pas heureuse, mais trop... Peu importe ! C'est fini entre nous ! Et je ne suis pas fautive !
— Ça, c'est ce que tu dis ! Dans le naufrage d'un couple, il n'y a jamais qu'un seul fautif !
— Est-ce que tu es en train de dire que c'est ma faute si tes mains se sont retrouvées sur les nichons de cette fille !?
— Je suis en train de dire que si j'ai eu besoin de faire ça, c'est que, peut-être, je n'étais pas satisfait de ce que j'avais à la maison, finit-il, tranchant en s'adossant à sa chaise, bras croisés sur la poitrine.
— Ok. Il m'a fallu un petit peu de temps pour comprendre ce que tu étais vraiment. Si j'ai eu des doutes, ça n'est plus le cas, Philip.
— Ce que je suis ?
— Un sombre connard.
— Je vois que tu as bien appris la leçon qu'Elizabeth t'a donné.
— Que vient faire ma sœur dans ce que je viens de dire ?
— Ta chère sœur a tout à voir ! Elle me déteste depuis le début ! Et elle a failli foutre en l'air une fortune en cartes !
— Ah ! C'est à cause de ça que tu es en colère, en fait. À cause de tes foutues cartes ! Elle a juste mis ta boite dans un sac poubelle qu'elle a ensuite mis dans une benne... Tu as de la chance qu'elle ne les ait pas vidées directement dans la benne... Imagine un peu, poursuit Jane en voyant l'horreur dans les yeux de Philip.
— Tu... tu me jettes pour une simple erreur...
— Je te jette ? Non, Philip. Tu as choisi de m'humilier quelques jours avant notre mariage. Tu as choisi de le faire de manière spectaculaire, en plus. Pas juste en me trompant. Non. Tu as affiché aux yeux de tout le peu de cas que tu faisais de moi. Je ne te jette pas Philip. Tu m'as brisé le cœur. Alors assume maintenant. L'argent que tu avais engagé dans le mariage t'a été remboursé. Estime-toi heureux, car je perds beaucoup plus que toi à ce jeu-là.
— Et tu vas faire quoi, maintenant ?! Hein ! Tu es toute seule ! Et tu n'as même plus de boulot !
— Je vois que tu es bien renseigné. Tu pensais que parce que ma situation professionnelle n'est pas au beau fixe, tu allais pouvoir me récupérer facilement ? C'est pitoyable ! Sur quoi bases-tu notre relation ? Un contrat financier ? En réalité, tu as raison, ma sœur est partie prenante dans cette histoire, mais pas pour ce que tu crois. Elle l'est pour me donner la force de te dire ceci : va te faire foutre, Philip ! J'ai inscrit sur le document ce que tu pourras récupérer à la loge de la concierge. L'appart tu ne l'auras pas. À moins d'en faire la demande comme d'autres candidats quand j'aurai résilié le bail.
Sur ces paroles, Jane se leva, trop contente que ça se soit passé aussi facilement. Mais Philip la retint en attrapant son poignet.
— Je ne vais pas laisser tomber, Jane.
— Tu lâches ma sœur ou je te pète le bras, trouduc, dit alors la voix sèche d'Elizabeth.
— Le molosse est toujours dans les parages, hein ! Tu étais incapable de venir seule ?
— C'est moi qui ai insisté pour voir ta sale gueule se décomposer. J'ai pas été déçue, Phil. Tu es vraiment au fond du trou... c'est extrêmement plaisant à voir.
VOUS LISEZ
Les sœurs Bennet
ChickLitCette histoire s'inspire très librement des personnages d'"Orgueil et préjugés" de la grande Jane Austen. Pas de comparaison possible, mais un roman autour des sœurs Bennet de nos jours. Cinq sœurs, cinq cœurs en quête d'amour, cinq destins romanti...