Wilmington. Hiver.
Les fêtes se profilaient à grands pas. Plus qu'une petite semaine avant les repas fastueux et les cadeaux sous le sapin. Mme Bennet était heureuse. Cette année, elle aurait toutes ses filles. Même Mary avait promis de venir. Quelque chose s'était passé à Boston. Mme Bennet ne savait pas quoi, mais elle avait senti à la voix de sa fille que quelque chose la tracassait. Et ça n'était pas le fait d'avoir appris la nouvelle pour Charlotte et Finn. Mary avait tourné la page en quittant Wilmington. Il y avait eu autre chose. Mme Bennet espérait que ce ne soit pas trop grave.
Quoi qu'il en soit, Mary serait là. Et Jane avec Charles. Elizabeth viendrait seule, même si selon sa sœur, il y avait anguille sous roche. La seconde fille ne se révélait pas aussi facilement. Elle n'avait jamais eu d'histoires sérieuses, trouvant toujours à redire aux comportements de ses partenaires. Elle était si exigeante. Alors si cette fois elle avait trouvé un homme à sa mesure, il était inutile de la brusquer. Elle ferait des révélations quand elle le jugerait opportun.
Charlotte aurait aussi dû venir. Ses parents étaient absents pour les fêtes cette année. Maria, la sœur cadette, avait été invitée par sa correspondante française à fêter Noël à Strasbourg. Ses parents n'avaient pas voulu la laisser partir seule. Elle avait l'âge de Lydia et il redoutait le pire. Maria était si crédule et tête en l'air. Mme Bennet ne l'aurait pas lâchée seule non plus.
Mais Charlotte avait d'autres chats à fouetter ! Finn lui avait proposé de passer une semaine ensemble pour tester la vie de couple... Mme Bennet était dubitative devant ce procédé. « Tester la vie de couple » était un concept qui lui était étranger. Elle, elle était tombée enceinte et elle avait épousé fissa le père avant de s'installer avec lui. La vie de couple s'était organisée ensuite.... Mais bon, les temps avaient changé.
Elle songea immédiatement à Lydia qui avait arraché la permission de passer le nouvel an avec des amis plutôt qu'avec eux. M. Bennet avait temporisé les frayeurs de sa femme. Il pensait que Lydia avait la tête sur les épaules. Avec toutes ses sœurs avant elle, elle ne pouvait pas se fourvoyer, n'est-ce pas ? Rien n'était moins sûr selon Mme Bennet. Pourtant, elle avait cédé.
Elle voulait voir Lydia heureuse. Et cette jeune fille ne l'était jamais autant que quand elle faisait la fête avec ses amis. Et puis, elle avait de très bons résultats à l'école. Pourquoi lui aurait-on refusé de sortir ? Elle ne méritait pas d'être punie. Au fond d'elle, Mme Bennet savait qu'elle ne se comportait avec Lydia comme avec ses autres filles. Elle se revoyait tant en elle... Ce qui était bien et moins bien. Elle en avait parfaitement conscience...
Mme Bennet se tourna vers le plan de travail de la cuisine pour déposer la tarte qu'elle venait de sortir du four. Kitty y était en train de découper des légumes. Mme Bennet se rendit compte qu'elle n'avait pas pensé à sa quatrième fille. Catherine était si discrète et prenait si peu de place.
Elle aurait aimé qu'elle trouve un amoureux. Un gentil garçon comme elle. Mais elle était toujours tombée sur des sales types qui voulait profiter de sa gentillesse, pensant que c'était de la faiblesse. Heureusement, elle avait quatre sœurs qui ne la laisseraient jamais entre de mauvaises mains. Pourtant, son manque de confiance la poussait invariablement vers des pervers narcissiques. Le dernier en date l'avait échaudé. C'était il y a six mois. Depuis Kitty lisait des romans d'amour en rêvant à une impossible histoire romantique.
Mme Bennet soupira. Catherine n'avait que 20 ans. Elle avait encore du temps devant elle. Mieux valait ne pas se précipiter. Après tout, Jane avait cru trouver l'amour à la fac et finalement, il avait fallu une rupture désastreuse et une rencontre fortuite autour d'un cheval pour qu'elle vive enfin un véritable amour digne d'elle.
Le tour de Catherine arriverait en temps voulu. Le cœur de Mme Bennet se serra un peu à cette dernière pensée. Elle savait au fond d'elle que Catherine lui manquerait plus qu'aucune de ses autres filles. La jeune femme était si douce, attentionnée vis à vis d'elle et de son mari. Elle était une aide précieuse et un soutien évident. Mme Bennet chassa l'idée pourtant fort agréable. Catherine avait elle-aussi droit au bonheur. Et ça n'était certainement pas en s'occupant de deux vieux insupportables qu'elle le trouverait.
— Maman ? La tarte est en train de glisser.
— Oups ! J'étais dans mes pensées, répondit Mme Bennet en souriant à sa fille.
— Et tu pensais à quoi ? Ne t'inquiète pas pour les biscuits. Je suis sûre de pouvoir en faire assez. Mme Bartow a bien fini les sachets ?
— Oui, ils sont très jolis. Elle a brodé de minuscules branches de houx dessus. Tu verras...Tu pourras les prendre demain en revenant de l'école ?
— Demain ? Je rentre plus tard. J'ai une réunion pour l'intégration d'un nouvel élève.
— Un nouvel élève si tard après la rentrée ? Je croyais que le directeur de l'école n'appréciait pas prendre des élèves en cours d'année.
— C'est vrai. Mais il a fait une exception. Le petit est sourd-muet, et sa famille fait partie des connaissances du directeur.
— Et il va être dans ta classe ? Pourquoi ne le mettent-ils pas dans une école spécialisée ?
— Je crois qu'ils veulent qu'il s'intègre au monde qui l'entoure avec les difficultés que cela implique.
— C'est dur pour un si petit.
— Il a déjà cinq ans. Et puis, ce sera l'occasion pour la classe d'apprendre de nouvelles choses, comme la langue des signes. J'ai déjà plein d'idées.
Mme Bennet sourit. Kitty était une perle, et le directeur de l'école le savait. Combien de maîtresses s'investiraient autant dans la venue d'un nouvel élève avec un handicap ? Il l'avait embauchée dans son école privée alors qu'elle n'avait pas le niveau de diplôme qu'il exigeait d'ordinaire pour son personnel enseignant. Il avait su voir son potentiel avec les enfants. Et pour cela, Kitty lui était reconnaissante.
— Et bien, j'irai les chercher moi-même après avoir amenée Lydia à son cours de danse. Tu verras, ils sont très mignons ces sachets.
— Il le faut si on veut en vendre suffisamment à la kermesse.
— Tu sais bien que nous vendrons tout. Les paroissiens savent bien qui fait les gâteaux !
Kitty sourit. Elle ne se trouvait aucune qualité, sauf celle de savoir bien cuisiner, surtout les pâtisseries. Et chacun approuvait, parce que c'était diablement vrai. Cette passion pour le glaçage et le moelleux était apparue assez tôt. Dès qu'elle avait pu commencer à touiller la pâte ou à utiliser le fouet mécanique sous la surveillance de sa mère, elle avait expérimenté, testant toutes ses inventions sur ses sœurs, qui avaient été les témoins privilégiés de son perfectionnement.
Quand elle cuisinait, Catherine oubliait la dureté du monde, les difficultés que sa famille devait affronter, ses propres doutes concernant son cœur solitaire. Elle pétrissait avec patience, mélangeait avec plaisir, ajoutait autant d'ingrédients que d'amour et laissait cuire en imaginant le plaisir qu'elle apporterait à chacun des dégustateurs.
C'était-là le jardin secret de la douce Catherine qui ne rêvait de rien d'autre que de combler un homme qui saurait l'aimer pour ce qu'elle était, dans toute sa simplicité.
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Les sœurs Bennet
Chick-LitCette histoire s'inspire très librement des personnages d'"Orgueil et préjugés" de la grande Jane Austen. Pas de comparaison possible, mais un roman autour des sœurs Bennet de nos jours. Cinq sœurs, cinq cœurs en quête d'amour, cinq destins romanti...