Chapitre 93 Survivre à l'amour ou s'y perdre

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New-York. Printemps. Catherine.

Régulièrement, Catherine proposait à sa classe des sorties culturelles et éducatives. Bien que ses élèves soient peu nombreux, ils l'étaient trop pour qu'elle se passe de parents-accompagnateurs. Ce qui n'était que très rarement un problème, puisque certains d'entre eux s'investissaient beaucoup dans la vie de leurs enfants.

Cependant, Catherine n'aurait pas pensé qu'Andrew Preston fut de ceux-là. Bien sûr, elle n'avait aucun doute sur son engagement ou son amour pour son fils, mais elle n'aurait pas imaginé qu'il aille jusqu'à l'accompagner à des activités extra-scolaires. C'était un homme occupé et seul - Son veuvage n'était un secret pour personne -, qui jonglait avec ses responsabilités, et le handicap de son fils. Rien de simple donc. Pourtant, il était là, avec Tim et trois autres enfants, à l'entrée du Fairbanks Museum d'Albany.

En le voyant sourire, Catherine se demanda si elle serait capable de survivre à cette journée. À chaque fois qu'elle voyait, rencontrait ou parlait à M. Andrew Preston, son cœur faisait immanquablement le grand huit. D'un autre côté, elle n'était jamais aussi heureuse que lorsqu'il se trouvait près d'elle. Alors, cette journée allait forcément être fabuleuse.

La visite du muséum fut assez tranquille. Bien sûr, il fallut avoir à l'œil Stella, qui avait tout de suite vu dans ce lieu magnifique, une multitude d'opportunités de sa cacher ; empêcher Bill de faire des choses stupides qu'il trouvait hilarante, comme de grimper sur un animal naturalisé ; arrêter Ross avant qu'il ne vide le distributeur d'en-cas ; consoler Genna qui était triste de ne pas être dans le groupe de Tim ; amener Anita courir à l'extérieur au moins une fois à la pause, sous peine de la voir exploser. Mais pour le reste des enfants, ça avait été du gâteau.

Catherine put discuter à plusieurs reprises avec les parents-accompagnateurs, et notamment M. Preston. Elle fut secrètement heureuse d'apprendre qu'il s'intéressait aux oiseaux et initiait son fils à l'observation patiente de ces animaux. Elle évoqua la passion de son propre père pour l'observation naturaliste, et les longues promenades qu'elle avait faites avec lui, enfant.

Malheureusement, si pour elle, cet intérêt pouvait être à l'origine d'un possible rapprochement, Preston ne pensa pas de même. Bien au contraire. L'évocation du père, naturaliste à ses heures, lui rappela qu'il était bien plus âgé que Catherine. Trop. Il songea qu'elle ne le voyait que comme un père. Celui de Tim en l'occurrence. Ça le convainquit encore plus de taire cette attraction qu'il avait pour la jeune femme. Il se trouvait ridicule.

Catherine avait remarqué le changement même imperceptible. Elle pensa avoir trop parlé. Puis se ravisa. Cet homme était blessé, elle ne pouvait en aucun cas prétendre en comprendre tous les mécanismes en seulement quelques échanges. Le temps serait son allié.

En réalité, son allié se nommait Tim.

Le petit garçon était peut-être sourd-muet, mais il n'était pas aveugle. Il était même très fort au jeu du décryptage de sentiment par l'observation des visages et des corps, en plus de savoir lire sur les lèvres.

Or, depuis quelques temps, il avait remarqué d'infimes changements dans le comportement de son père. Des micro crispations du visage comme s'il s'empêchait de s'exprimer. Des lèvres pincées et des sourcils en mouvement. Des contractions des bras ou un raidissement de l'ensemble du corps. Au début, Tim avait pensé que tout ceci était provoqué par le changement d'environnement, l'adaptation forcée à une nouvelle vie. Et puis, il avait vite remarqué que les signes étaient bien plus nombreux quand Catherine était dans les parages.

Tim ne connaissait sa mère que par les souvenirs des autres et les photos rassemblées dans un album. Il aurait pu dire qu'elle lui manquait, mais ça n'était pas vraiment le cas. Comment regretter ce que l'on n'avait jamais eu ? On ne ressent de manque que pour quelque chose que l'on a eu et aimé, et que l'on a perdu. Son père ressentait parfois du manque sans doute. Mais pas lui. Lui, il avait eu l'amour inconditionnel d'un père et de grands-parents formidables. Il ne cherchait pas à avoir plu.

Par contre, il savait que son père n'était pas aussi heureux qu'il aurait pu l'être. À cause de ce fichu manque, et d'autre chose que le garçon n'arrivait pas à définir complètement. Il était encore trop jeune pour appréhender la multitude de sentiments humains que les adultes s'emploient à gérer pour survivre en société.

Mais, depuis peu, Tim avait de l'espoir pour son père. À cause de ce qu'il tentait de dissimuler quand il était près de Catherine Bennet. C'est pourquoi, durant le retour de la visite au muséum, il avait longuement réfléchi à la meilleure manière de rapprocher les deux adultes sans trop paraître le faire.

***

Les enfants rejoignaient leurs parents respectifs, épuisés et excités par cette journée au musée. Chacun babillait et montrait les petits souvenirs qu'il avait ramené. Catherine souriait, mais elle avait hâte de se retrouver seule. La journée avait tout de même été épuisante. Elle avait grand besoin de s'asseoir et de se reposer. Alors qu'elle s'apprêtait à retourner dans la classe chercher ses affaires, elle sentit quelqu'un lui tirer sur la manche. Tim. Le garçon tenait son père par la main.

— Je crois qu'il veut vous demander quelque chose, dit Andrew d'un ton neutre.

« Est-ce que tu voudrais bien venir dimanche faire une balade avec papa et moi pour voir les oiseaux ? » signa le garçon.

Le regard étonné de Catherine passa du petit visage souriant à celui de son père, lui aussi stupéfait de la demande de son fils.

— Tim. Mlle Bennet a sans doute autre chose à faire le dimanche que de venir avec nous dans la campagne ?! Elle doit se reposer, tu sais. Tenir tous tes petits camarades et toi pendant la semaine, doit être épuisant.

Tim ne répondit pas à son père. Il fixait Catherine avec un petit air implorant qui poussa Catherine à serrer les lèvres pour ne pas rire.

— Est-ce que j'ai le droit d'amener mon père ? demanda alors la jeune femme de manière inattendue. Enfin, si ça ne vous dérange pas M. Preston. Je suis sûre que vous vous entendrez à merveille tous les deux.

Tim applaudit des deux mains en sautillant sur place.

— Je crois que mon fils en serait ravi. Et bien à dimanche. Je vous appellerai demain pour vous donner rendez-vous.

Catherine regarda le père et le fils s'éloigner. Elle avait décelé une pointe d'agacement de la part d'Andrew Preston après qu'elle ait invité son propre père au rendez-vous de Tim. Cela l'amusa. Il n'avait pas compris qu'elle aurait besoin de parler seule à seule avec le petit garçon, et que lui, allait devoir s'occuper avec M. Bennet, pendant ce temps.

Catherine pensait qu'elle aurait la lourde tâche de faire comprendre à Tim qu'elle n'était que ça maîtresse d'école, et qu'il était peu probable qu'il l'épouse « quand il serait grand ». Elle sourit de nouveau. Elle avait déjà eu à faire le même discours à Will au début de l'année.

En définitive, Andrew Preston était contrarié par la proposition de son fils qui le mettait dans une situation inconfortable vis à vis de ses résolutions concernant Catherine Bennet. Et Catherine Bennet se préoccupait d'un sentiment qui n'existait pas en réalité. Ils n'avaient rien compris des plans de Tim Preston.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant