Wilmington. Mai. Jane.
Juchée sur Violine qui, patiemment, broutait l'herbe du talus, Jane n'osait pas bouger de peur d'attirer l'attention sur elle. Elle avait entendu arriver Bingley et Darcy, et n'avait pu éviter d'être le témoin auditif de toute leur conversation. Elle comprenait maintenant la raison qui poussait Darcy à se montrer prudent envers elle. Elle n'était pas assez démonstrative à son goût. Quel idiot ! Encore un mâle pour qui il fallait minauder en battant des cils. Heureusement, Charles n'était pas comme ça. Pas plus qu'il ne semblait être contrarié du fait qu'elle ait perdu son emploi et soit issue d'une famille aux revenus modestes, contrairement à Darcy.
Toutefois, Jane sentait également que Bingley n'était pas hermétique aux avis de son ami. Il allait falloir, soit mettre les choses au point avec l'avocat, soit se montrer un peu plus expansive face à Charles. Elle trouvait l'une et l'autre solution aussi désagréables. Sans compter qu'il y avait une variable non négligeable à prendre en compte en cet instant : les sœurs Bingley. À leur façon de parler, Jane les devinait issue d'un milieu favorisé et enclin à juger rapidement et mal quiconque s'approcherait de trop près d'un des leurs.
Habillée de ses vieux vêtements d'équitation, Jane ne cadrait pas. Il lui était impossible de se montrer. Malheureusement, elle se trouvait dans l'allée menant à l'écurie dans laquelle Olympus attendait son cavalier.
Jane allait amorcer un demi-tour lent et silencieux pour tenter d'échapper à cette situation déplaisante, quand Jack, inconscient de la bourde qu'il commettait, arriva et l'interpella sans façon.
Aussitôt, Charles Bingley fit volte-face et la chercha des yeux. Ne distinguant rien, mais entendant distinctement les sabots d'un cheval qui s'éloignait ostensiblement, il sut que s'il voulait voir Jane aujourd'hui, et même dans les semaines à venir, il devait la rattraper au plus vite.
***
Jane galopait maintenant vers la forêt. Elle passa les derniers enclos et s'engouffra sur le sentier forestier qui menait à la corniche. Dès qu'elle fut sous le couvert des arbres, elle fit ralentir sa monture et prit une allure plus tranquille. Il fallait éviter que le cheval ne se blesse. Et ce, même si Violine semblait avoir apprécié de galoper un peu.
Le silence feutré de la forêt, peuplé de pépiements d'oiseaux et de bruissements inconnus apaisa très rapidement Jane. Comme toujours, quand elle chevauchait, elle entrait dans un autre monde.
Au lieu de monter jusqu'à la corniche, elle bifurqua sur un sentier plus étroit, qu'elle connaissait bien. Il menait à une prairie, au centre de laquelle un petit lac s'étalait paisiblement. Là-bas, Violine pourrait galoper sans danger.
***
Charles pensa d'abord à la corniche, mais lorsqu'il y arriva, il fut bien obligé de reconnaître qu'il s'était trompé sur la destination de Jane. Malheureusement pour lui, il connaissait peu les autres sentiers. Il chercha des marques, des signes distinctifs, qui auraient pu l'orienter vers celle qu'il aimait, mais il n'était pas un bon pisteur. En fait, il n'était pas un homme de la campagne. Lui, avait grandi dans les beaux quartiers de New-York. Alors, la chasse, les cabanes dans les arbres et les feux de camp, n'avaient jamais fait partie de sa vie. Seule l'équitation lui donnait un élément en lien avec la nature. Et encore, de manière occasionnelle.
Ça n'est qu'au bout d'un long moment qu'il décida d'abandonner la partie. Cependant, lorsqu'il releva les yeux pour s'intéresser à son environnement immédiat, il fut bien vite forcé d'admettre que sa défaite était totale. Il s'était perdu. Il se morigéna à voix haute avec une certaine violence... et c'est ce qui le sauva, en fin de compte.
***
Jane revenait de la prairie à travers les bois quand elle entendit un long juron traverser l'air et faire fuir une ribambelle d'oiseaux. Elle reconnut immédiatement la voix. Malgré elle, Jane sourit. Ainsi Charles l'avait suivi... et s'était perdu, manifestement.
Elle espérait qu'il fut solitaire. Elle n'avait pas envie de se retrouver face à la fratrie Bingley au complet, accompagné de Darcy. Elle laissa donc sa jument s'approcher tranquillement sans faire de bruit.
Elle découvrit très rapidement Charles Bingley juché sur Olympus, en pleine inspection de son environnement. Le cheval perçut la présence amie avant son cavalier. Il accompagna d'un hennissement le coup d'œil qu'il jeta vers sa compagne d'écurie et sa cavalière. Puis un second hennissement quand il reconnut l'odeur de cette dernière. Charles finit par se tourner devant tant de démonstrations inhabituelles de la part de sa monture.
— Jane ! s'exclama Charles avec un soulagement si évident dans la voix que la jeune femme eut immédiatement pitié de lui et se reprocha son comportement un tantinet égoïste.
— Charles. Êtes-vous perdu ?
— Sans vous ? Très certainement.
Jane sourit malgré elle. Le retour au vouvoiement était inévitable. Preuve pour elle que le doute subsistait entre eux. Néanmoins, il lui apparaissait évident qu'elle ne pouvait pas repousser sans arrêt cet homme qui lui témoignait autant d'affection sans jamais la brusquer. Il n'était jamais intrusif. Et elle savait que si elle avait montré le moindre dégoût à son égard, il aurait disparu de sa vie. Ce dont elle n'avait pas envie. Contrairement à ce que pensait sans doute son ami Darcy, elle se fichait bien de son argent. Tout ce qui comptait pour elle, c'était ce qu'elle voyait dans ses yeux quand il la regardait comme maintenant : un amour intense et profond.
Non, elle n'avait pas envie qu'il disparaisse de sa vie. C'était même la seule chose qui lui paraissait certaine dans la confusion qui avait envahi son existence. Cette réalité lui apparut très nettement alors qu'elle s'approchait de Charles Bingley. Et contrairement à ce qu'elle aurait pu croire, cela ne lui fit pas peur.
Depuis le départ, quelque chose existait entre eux. Elle n'aurait su dire s'il s'agissait d'un lien ou d'autre chose. Cependant, c'était là. Solide. Tangible. Une attraction réciproque évidente. Alors pourquoi lutter ?
Qu'est-ce qui l'empêchait d'y succomber si ce n'est de vieux principes moraux qui n'avaient pas lieu d'être, et surtout, qu'elle s'imposait elle-même ? Personne ne lui reprocherait de trouver un homme à son goût si tôt après sa rupture.
Bien sûr, il y aurait sans doute des commérages. Mais qu'en avait-elle à faire ? Du moment que sa mère et son père n'avaient pas honte d'elle, elle pouvait bien laisser dire. Et une chose était sûre : ses parents n'auraient pas honte d'elle. M. et Mme Bennet aimaient profondément tous leurs enfants, mais encore plus, peut-être, l'aînée qui les avait toujours rendus fiers, puisqu'elle alliait beauté, intelligence et douceur. « Une parfaite réussite » aurait murmuré Elizabeth en riant sans une once de jalousie.
Charles était apparu très rapidement dans la vie de Jane. Trop, sans doute. D'où ses réticences et hésitations. Vivre auprès de quelqu'un pendant cinq ans laissait des traces, des automatismes. Elle avait pensé devoir se prémunir, alors que son cœur ne rêvait que de rebondir le plus rapidement possible, lui qui ne s'était jamais réellement emballé. Ce qui paraissait le plus étrange à Jane, c'était que durant ces cinq années de vie de couple, elle n'ait jamais réalisé qu'elle se fourvoyait.
Alors, face à Charles, elle ne pouvait éviter de se demander si elle ne faisait pas la même erreur de jugement... Et puis, la chamade de son cœur, son désir de lui, auquel elle n'osait céder de peur de paraître trop « facile », lui révélait que ce qu'elle vivait en cet instant n'avait rien à voir avec ce qu'elle avait cru vivre avec Philip. Elle avait 25 ans. Il était temps qu'elle prenne des risques...
Charles la laissa s'approcher jusqu'à arrêter sa monture le long de la sienne. Leurs jambes se frôlaient. Il observait avec une certaine curiosité la jeune femme souriante qui, une fois près de lui, tendit la main vers son col et l'attira vers elle pour l'embrasser.
Il ne s'attendait pas à ça, mais il sut en profiter. Il savait saisir les opportunités. Et Jane Bennet était une sacrée opportunité de trouver le bonheur et de s'y installer. Il en était parfaitement conscient.
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Les sœurs Bennet
ChickLitCette histoire s'inspire très librement des personnages d'"Orgueil et préjugés" de la grande Jane Austen. Pas de comparaison possible, mais un roman autour des sœurs Bennet de nos jours. Cinq sœurs, cinq cœurs en quête d'amour, cinq destins romanti...