New-York. Septembre. Fitzwilliam.
Le mois de septembre passait avec flamboyance. Après les orages brutaux et les pluies diluviennes qui avaient inondé la ville tout au long du mois d'août, succédant à la canicule insupportable de juillet, l'air paraissait enfin dépourvu de cette moiteur qui le saturait depuis trop longtemps.
Fitzwilliam sortit du tribunal avec une sensation de libération qui n'avait rien à voir avec le dossier qu'il venait de plaider. Il respira profondément plusieurs fois et sourit en remuant avec un plaisir évident, son épaule blessée quelques semaines auparavant. Tout était rentré dans l'ordre. Et pas seulement pour lui.
Chapman s'était réveillé à l'hôpital le lendemain de la bagarre, frais comme un gardon, et sans aucune séquelle, ni vraie blessure. En même temps, l'unique coup que lui avait asséné Darcy l'avait mis K.O.. Il n'avait pas eu à se battre avec d'autres convives. Il avait initié la bagarre, mais ne l'avait pas subi. Un vrai tire-au-flanc, comme aimait à le dire Darcy à qui voulait l'entendre.
L'avocat avait, bien entendu, porté plainte contre son confrère et avait assuré sa propre défense, pour mettre la misère une fois de plus à son ennemi dans le prétoire. Depuis, Chapman faisait profil bas, craignant que d'autres invités ne suivent le même chemin. Darcy n'était pas le seul a en être sorti blessés.
Cette bagarre, dont Harry n'avait, au demeurant, que très peu de souvenir, lui avait déjà coûté quelques dossiers dans le cabinet où il exerçait. Il n'entendait pas saborder sa carrière pour un ressentiment qu'il n'avait pas vocation à combattre, puisqu'il alimentait sa motivation professionnelle.
Les deux avocats en étaient donc restés là après le règlement à l'amiable de la plainte de Darcy. Elizabeth était plus que jamais hors d'atteinte pour Chapman. Définitivement pourrait-on dire, même. Car ignorant ce qui s'était passé entre Darcy et Elizabeth, il avait tenté un rapprochement avec la jeune femme en se moquant de son adversaire blessé. Il avait récolté ce qu'il avait semé. C'est à dire un message incendiaire comme fin de non-recevoir. Il avait compris.
Bien qu'elle ait succombé aux charmes de Darcy, La jeune femme n'avait pas été plus tendre pour ce dernier. Elle n'avait pas seulement fui l'appartement ce matin-là. Elle avait également décidé qu'un petit voyage à l'étranger lui ferait le plus grand bien. Elle avait accepté la proposition de son patron de l'accompagner dans l'hémisphère sud afin de superviser des collaborations encore balbutiantes, pour mettre des milliers de kilomètres entre elle et sa tentatrice passion pour un homme qu'elle était convaincue de détester
Mécontent, Darcy avait cru soigner sa déconvenue avec d'autres femmes, mais il n'arrivait pas à oublier sa nuit avec Elizabeth. Pas plus qu'il ne parvenait à s'avouer qu'il attendait beaucoup plus d'elle. C'était paradoxal, et parfois extrêmement pénible. D'autant qu'il savait pertinemment qu'il serait amené à la revoir, puisque l'idylle entre Jane Bennet et Charles Bingley ne cessait de se consolider. Restait à savoir ce qui se passerait lorsque cela arriverait.
La réponse à cette question lui fut donnée plus rapidement qu'il ne l'aurait cru, puisque le soir même, invité à une « party » d'Amalia Baptista-Peña, il se trouva nez-à-nez avec la seconde des sœurs Bennet, plus radieuse que jamais.
***
Elizabeth avait profité de son voyage en Nouvelle Zélande pour réfléchir et se poser. Loin de sa famille et des tentations afférentes, elle avait apprécié cet apaisement des sentiments. Ce nouvel état émotionnel lui avait permis de prendre conscience que ce qu'elle prenait pour une passion incontrôlable, n'était qu'un mirage.
Elle était maintenant convaincue que son désir de Fitzwilliam Darcy n'avait rien à voir avec sa personnalité, ni avec les sentiments que l'avocat aurait pu faire naître en elle. Il était tentant voilà tout. Et elle s'était opposée à sa tentation parce qu'il était partie prenante dans la rupture de Jane. Il était du côté de l'ennemi.
À présent, elle le désirait comme une friandise attendue longuement, comme un trophée gagné de haute lutte. Pour atténuer les paradoxes qu'elle avait eu la sensation de ressentir en sa présence, il lui suffisait de succomber jusqu'à se lasser, comme toujours. Parce qu'elle se lasserait immanquablement, et sans doute à plus ou moins courts termes.
C'est armée de cette conviction qu'elle avait souri à Fitzwilliam quand il l'avait aperçue. Elle n'allait pas lui résister, et il y avait fort à parier qu'elle n'aurait plus envie de lui après avoir passé une autre nuit avec lui.
***
— Bonsoir, Mlle Bennet.
— Bonsoir, maître. Je vois que vous allez bien mieux que la dernière fois où nous nous sommes vus.
— Extérieurement, oui.
— Oh ! Vous avez gardé des séquelles psychologiques de la bagarre ? s'exclama-t-elle ingénument, un air affligé sur le visage.
Darcy détesta immédiatement cette nouvelle Elizabeth Bennet. Détachée. Joueuse. Pourtant, il continua.
— De la bagarre, non. Et je n'irai pas jusqu'à dire que je suis traumatisé. Mais je garde un certain mécontentement concernant la lâcheté de la femme qui a partagé ma nuit avant de fuir, me considérant comme un tribut vite consommé.
— Vous n'y êtes pas du tout, Fitzwilliam, murmura Elizabeth en se penchant vers son oreille. Je n'ai pas fui. J'ai eu un appel urgent. Vous vous souvenez de ma collègue en plein accouchement, alors que vous vous faisiez recoudre ? Et bien, elle a fini par accoucher. J'avais d'autres priorités que de jouer à l'infirmière. J'ai toujours détesté ce rôle et pas seulement auprès de vous. Et puis, je vous préfère en pleine possession de vos moyens.
La réplique fit mouche. Il leva un sourcil interrogateur. Est-ce qu'elle sous-entendait qu'elle n'avait pas été satisfaite de cette nuit passée avec lui ? Le sourire triomphant de la jeune femme l'aiguillonna autant qu'une banderille plantée dans le cou du taureau.
— J'aimerais clarifier certaines choses avec vous, Mlle Bennet, répliqua-t-il visage fermé en entraînant fermement la jeune femme à l'extérieur de la salle.
Leur passage ne manqua pas d'attirer l'attention de certains convives, mais personne ne se formalisa. Ceux qui avaient pu assister à l'unique baiser échangé en public par les deux protagonistes étaient peu nombreux, et aucun ne les côtoyait suffisamment régulièrement pour se souvenir les avoir déjà vu collés l'un à l'autre. Les autres connaissaient le type de conquêtes qu'Elizabeth collectionnait, et le froid Fitzwilliam Darcy n'entrait définitivement pas dans le cadre. Il ne pouvait rien y avoir d'intime entre ces deux-là. Seule Amalia eut un doute qu'elle chassa aussitôt pour se consacrer à ses convives.
Une fois dans le couloir, Fitwilliam se mit face à Elizabeth et s'apprêta à lui asséner quelques réflexions bien senties quand elle le coupa dans son élan.
— M. Darcy, vous ne comptez pas régler vos comptes avec moi ici, dans ce couloir extrêmement passant, tout de même ? Je n'entends pas être la source de rumeurs dès mon retour de voyage.
— Rumeurs... Très bien, « Mlle Bennet ». Ça suffit ! dit-il le plus sérieusement du monde en lui faisant passer la première porte près d'eux.
Qui se révéla être la seule issue d'un lieu de stockage pour les femmes de ménage de l'hôtel où se passait la soirée d'Amalia. Mais peu importait à Fitz. Il plaqua Elizabeth contre la porte et l'embrassa avec une certaine violence. Il se surprit lui-même en mettant autant de colère dans ce baiser, trahissant par la même tout ce qu'il tentait de se cacher à lui-même depuis la disparition de la jeune femme.
Elizabeth ne se débattit pas. Au contraire. Elle répondit avec passion à cette sauvagerie à peine contenue. Elle se laissa aller à son propre désir sans le freiner. Elle s'en tenait à son plan et comptait jouir pleinement de Darcy. La fin de cette histoire viendrait bien assez tôt.
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Les sœurs Bennet
ChickLitCette histoire s'inspire très librement des personnages d'"Orgueil et préjugés" de la grande Jane Austen. Pas de comparaison possible, mais un roman autour des sœurs Bennet de nos jours. Cinq sœurs, cinq cœurs en quête d'amour, cinq destins romanti...