New-York. Hiver.
Une fois sur le parvis devant Secret Stories, Elizabeth s'arrêta et fit face à ses sœurs. Elle ne paraissait pas en colère, ni joyeuse. Elle arborait un visage neutre des plus préoccupants selon Lydia, qui s'exclama aussitôt.
— Lizzie ! Va falloir te remuer un peu !
Elizabeth ne répondit pas immédiatement, ce qui, en de telles circonstances, tenait soit du miracle, soit de l'improbable et inquiétante métamorphose psychique de la jeune femme. Jane n'attendit pas plus longtemps pour enlacer sa seconde sœur avec force et conviction. Lydia se joignit à cet étrange câlin silencieux.
— Ok. C'est free hug pour tout le monde ? Ou il faut des gènes Bennet pour pouvoir s'y coller ?
Charles était là. Ça voulait dire qu'il avait accompli sa mission. Jane lui sourit en s'écartant d'Elizabeth.
— Jane, tu m'expliques ? dit alors Elizabeth avec un ton suffisamment froid.
— Je t'explique quoi ? Que tu nous manques ? Que tu te comportes comme une idiote d'un autre siècle ? Que la vie t'a offert quelque chose qui pouvait être grand et beau, et que tu profites du premier obstacle pour filer à l'anglaise ?
— Ça n'est pas moi qui ait filé à l'anglaise.
— Lui non plus, répliqua Jane du tac au tac, car elle savait exactement de qui elle parlait.
Ce qui n'était pas le cas de Lydia qui trouvait que ses deux grandes sœurs étaient bien trop connectées entre elles pour que ce soit sain. Franchement.
— Lui non plus ? Tu appelles ça comment alors ?
— Il n'y a qu'un nom pour ce qu'il a fait : sacrifice.
— Sacrifice ? Pardon ? Je ne crois pas parler de la même chose que toi. Il a filé pour éviter de se retrouver dans une situation inextricable pour lui, et il en a rajouté une couche pour ne plus jamais avoir à faire à nous, en décidant de protéger cet enfoiré de Newell !
— C'est faux, dit simplement Jane d'une voix plus douce.
— Fitz a fait ce qu'il croyait le plus juste pour préserver ta famille, Elizabeth, dit Charles en s'approchant de Jane pour lui envelopper les épaules de l'un de ses bras. Le problème, c'est qu'il est comme toi.
— Comme moi ? répéta Elizabeth, incrédule.
— Têtu. Orgueilleux et droit comme la justice.
— Charmant, grogna Elizabeth.
— Lydia ? Tu racontes ? Ou tu préfères que ce soit nous, demanda alors Jane.
— Non. Je le fais, lâcha la jeune fille en se campant devant Elizabeth.
Lydia ne pouvait éviter ce face à face. Même si elle ne comprenait pas cette droiture et cet orgueil qui poussaient certains adultes à conserver des postures rigides qui ne leur étaient pas favorables, elle devait cet effort à ses sœurs. Parce que sincèrement, en y regardant de plus près, elle avait bien merdé sur ce coup-là.
Non seulement elle avait couché avec l'ex de Jane - Ex qui l'avait traitée comme une moins que rien -, mais en plus, elle avait provoqué un bouleversement inattendu et non souhaitable chez Elizabeth. Or, quoi qu'on en pense, si Lydia était frivole et parfois inconsciente, elle ne voulait aucun mal à ses sœurs.
— C'est Darcy qui m'a trouvée à New-York. Et c'est lui qui a négocié avec Newell. Il l'a payé. Et ensuite, il a accepté d'être de nouveau son avocat au cas où on l'aurait poursuivi pour garder un œil sur lui.
— N'importe quoi ?! Pourquoi aurait-il fait ça ?
— À cause de moi, dit Lydia.
— Il a pensé qu'en tenant Newell à distance avec l'argent, il pourrait éviter qu'il ne harcèle Lydia et qu'elle ne le retrouve de nouveau en cachette, ou après ses 18 ans, induite en erreur par ses mensonges. Même si cela impliquait de ne plus te revoir. Il a un gros complexe du protecteur... à cause de sa sœur qu'il n'a pas réussi à protéger quand elle était ado... mais c'est une autre histoire.
— Je vais le tuer ! s'exclama soudain Elizabeth.
— Yesss ! Lizzie est de retour parmi nous ! s'exclama aussitôt Lydia, soulagée.
— Je préférerais que tu me le laisses entier. C'est que j'y tiens à ce grand imbécile, moi, rit Charles en déposant un baiser sur le front de sa belle.
Jane garda le silence un instant avant de révéler ce qu'elle avait fait pour libérer Fitzwilliam sans son accord. Et venant d'elle, ça n'était pas rien. La douce et discrète Jane avait demandé à Lydia de livrer sa plus belle performance filmée. Et dieu qu'elle était convaincante cette chipie. Face caméra, on la voyait larmoyer en racontant la première soirée, et la fausse « audition ». Puis sa fugue pleine d'une illusion alimentée par les mensonges de Newell. Une vraie victime éplorée.
Tout bien considéré, Jane s'était alors dit que sa plus jeune sœur était peut-être réellement née pour être tragédienne. Le désespoir de Lydia, face à la caméra, aurait pu lui valoir un oscar. Jane s'était promis qu'une fois cette histoire derrière eux, elle s'assurerait de soutenir sa sœur dans ses projets de gloire. Elle allait l'aider, mais aussi lui montrer que le meilleur chemin, n'était pas le plus facile. Lydia allait devoir travailler bien plus qu'elle n'imaginait.
Quoi qu'il en soit, Jane avait ensuite organisé une entrevue entre elle et son ex pour parler de ce qu'elle ne lui avait jamais rendue. Elle n'avait pas nommé la boite, ni son contenu. Aucun besoin. Il avait tout à fait compris. Et il avait accepté sans délai. Il aimait beaucoup trop l'argent. Ça le rendait prévisible.
Phil était arrivé tout sourire. Comme si rien de dramatique ne s'était passé entre eux. Comme s'il ne venait pas d'abuser d'une mineure. Il tablait sur le secret et la honte. Il tablait sur la situation modeste des Bennet. Il tablait sur l'arrogance des citadins face aux gens de l'arrière-pays. Il se sentait tout puissant dans son milieu. Il se sentait tout puissant à l'abri d'un avocat hors de prix. Il pensait avoir la main. Il se trompait.
Non seulement Jane ne lui avait rien rendu - D'ailleurs, elle ne l'aurait pas pu, même si elle l'avait voulu, puisqu'elle avait déjà donné l'argent à une association -, mais en plus, elle lui avait fait comprendre qu'il allait devoir réviser ses ambitions à la baisse.
Bref, la vidéo avait fait marquer des points à la famille Bennet face à Newell. Il avait d'abord commencé à jouer les bravaches, mais s'était vite ravisé devant le demi-sourire de Jane. Elle lui avait expliqué alors, avec force détails, ce qui pourrait se passer ensuite, si une plainte était déposée.
Même si la conduite de Lydia était loin d'être irréprochable, il serait assez facile de prouver que lui, Philip Newell presque 30 ans, avait abusé sexuellement d'une mineure en la faisant boire et en la droguant à plusieurs reprises, en lui faisant des promesses qu'il n'avait aucunement l'intention de tenir, et en lui mentant sur la finalité de certaines actions.
La vidéo de l'« audition », s'il s'avisait de la divulguer en dehors du cercle privé, serait une preuve contre lui - Jane avait encore du mal à croire qu'il l'ait réellement détruite -. D'autant plus que les Bennet avaient conservé le message qui prouvait qu'il s'en était déjà servi comme d'un moyen de pression. À cela, Jane ajouta les photos de ce contenait la boite trouvée dans son appartement.
En conclusion, il pouvait avoir le meilleur avocat qui soit, il ne pourrait échapper à la sanction. À moins, bien sûr, qu'il ne disparaisse de la vie des Bennet une bonne fois pour toutes.
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Les sœurs Bennet
ChickLitCette histoire s'inspire très librement des personnages d'"Orgueil et préjugés" de la grande Jane Austen. Pas de comparaison possible, mais un roman autour des sœurs Bennet de nos jours. Cinq sœurs, cinq cœurs en quête d'amour, cinq destins romanti...