Chapitre 70 Un allié inattendu

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New-York. Hiver. Jane.

— Respire, Jane, chuchota Charles à son oreille.

— J'essaye, mais ça n'est pas si simple.

— Tu as affronté bien pire...

— Tu es bien sûr ? Parce que plonger dans un bassin rempli de requins affamés ne me paraîtrait pas si dangereux, comparé à cette soirée.

— C'est parce que tu as peur que je ne veuille plus te demander en mariage ?

— Je pensais plus à une question de vie ou de mort.

— Ils ne sont pas si impressionnants, tu sais. Mes sœurs vont aux toilettes comme tout le monde, et mon père, aussi distingué soit-il, embaume son bureau de temps à autre après un repas copieux.

Jane se retint de rire avec un hoquet. Elle donna une petite tape discrète à son amoureux qui, lui, souriait largement de son stratagème.

— C'est malin. Je les vois parfaitement en pleine action maintenant ! Tu es incorrigible !

— Et je vais te demander de m'épouser.

— Pas sûre que j'accepte, finalement.

Charles l'arrêta au milieu du salon et la fixa le visage grave. Jane fut surprise. Il arborait rarement une telle expression avec elle. La seule fois avait été à l'hôpital quand il l'avait aidée à sortir.

— Ne dis plus cela à la légère, Jane. À chaque fois, j'ai l'impression qu'il y a une part de réalité dans ce que tu dis, et cela me ravage le cœur.

Jane sentit qu'autour d'eux, les conversations s'étaient atténuées. L'attention de nombreux invités s'était focalisée sur le couple. Notamment celle des sœurs Bingley qui espérait une dispute. Alors pour déjouer les pronostics et faire comprendre que rien ni personne ne pourrait entraver leur relation, mais aussi pour rassurer Charles sur les sentiments qu'elle pouvait avoir à son égard, elle l'embrassa avec passion en posant une main délicate sur son cœur.

— Et bien voilà un beau baiser de noël, mon fils, dit alors une voix amicale près d'eux.

En d'autres circonstances, M. Bingley n'aurait sans doute pas abordé le couple de cette manière. Il avait vu arriver Charles et sa compagne depuis la porte de son bureau, dont il sortait à peine après avoir passé quelques coups de fils à des parents éloignés. Il avait immédiatement vu la crispation dissimulée sous l'apparence tranquille de Jane Bennet. La jeune femme savait donner le change et faisait illusion, mais il n'était pas dupe. Elle était stressée.

Or, le matin même, M. Bingley avait parlé d'elle avec son épouse, dont il sentait les réticences quant à cette Mlle Bennet. Leurs filles avaient œuvré dans l'ombre, malgré la situation de la jeune femme qui avait frôlé la mort il y a peu. Lui n'avait pas eu d'opinion jusqu'à ce qu'il la voit. Il avait alors compris son fils, tombé sous le charme de cette jeune femme. Elle était non seulement ravissante, mais il se dégageait d'elle quelque chose qu'il n'avait pas su nommer sur le moment.

Maintenant qu'il était près d'elle, un mot lui venait à l'esprit : la douceur. Il émanait de Mlle Bennet une douceur naturelle qu'il eut, lui aussi, envie de protéger. Conscient que Jane allait avoir besoin de soutien face au front féminin de la famille, il avait décidé de choisir le camp opposé et de le faire savoir.

— Père ! Bonsoir ! Je te présente Jane Bennet.

— Et bien, Mlle Bennet, on peut dire que vous avez fait parler de vous dernièrement ! Charly ne tarit pas d'éloges sur vous !

— Je crains qu'il n'ait exagéré.

— Pensez-vous qu'il ait pu être aveuglé par l'amour ?

— C'est une éventualité à ne pas négliger répondit Jane en souriant

— Allons bon ! Moi qui me réjouissais d'avoir enfin une femme parfaite dans la famille !

— Papa ! s'exclama Charles en riant.

— Papa ! s'exclamèrent les sœurs Bingley de conserve.

Mme Bingley se contenta de venir foudroyer du regard son mari. Cependant, elle avait très bien compris le message. Son époux était du côté de Charles et de sa nouvelle fiancée. Ce qui ne manqua pas de l'étonner.

Edward Bingley était un homme d'humeur égale qui ne prenait jamais parti. Sachant que, faire un choix de ce genre l'obligeait à tenir une position pour laquelle il n'avait que peu d'armes, Mme Martha Bingley observa Jane plus attentivement pour tenter de déceler ce que son époux avait vu qui le pousse à prendre ce risque.

Caroline et Louisa Bingley se réjouissait de ce que leur mère allait dire à Jane. Sans doute quelque chose de très correcte, mais de particulièrement méprisant, comme elle savait si bien faire au club.

— Mlle Bennet. Martha Bingley. Excusez mon époux qui, alors qu'il vous rencontre pour la première fois, s'ingénie à faire des traits d'esprits. Il vieillit et il n'a plus toute sa tête. La preuve en est. Il prend le risque de me mettre en colère.

— Martha ! s'exclama M. Bingley.

— Edward ! embraya-t-elle sur le même ton. Ton unique fils te présente une jeune femme pour la première fois, car je te rappelle que nous n'avons jamais eu l'honneur de rencontrer les précédentes femmes de sa vie, et tu prends ça à la légère...

— Maman...

— Ça n'est pas vrai ?

— Si, mère. Mais...

— Cette jeune personne est, me semble-t-il, importante à te yeux. Un peu de formalisme ne fera donc de mal à personne. Que va-t-elle penser de nous ! Nous ne sommes pas des sauvages ! Bien. Reprenons avec les formes. Mlle Bennet, je suis enchantée de vous rencontrer. J'espère que vous allez mieux. Votre accident a dû être une épreuve terrible.

Jane sourit à la mère de Charles. Elle voyait parfaitement à quel type de femme elle avait à faire. Si Martha Bingley arrivait à dépasser ses préjugés de classes pour elle, alors elle s'entendrait sans doute à merveille avec sa propre mère, Milliscent Bennet.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant