Chapitre 88 Une proposition inattendue et malencontreuse

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New-York. Printemps. Elizabeth.

Amalia était particulièrement satisfaite. L'immense hall, transformé pour l'occasion en salle de réception, était plein, et les serveurs ne chômaient pas. Elle admira la jolie livrée que le nouveau traiteur réservait à tout son personnel. Pantalon noir, chemise noire, cravate blanche, brassard blanc et derby blanche et noir pour les hommes. Il ne leur manquait que le borsalino pour avoir l'air de gangster des années folles.

Les femmes portaient des robes noires avec une jolie jupe à plis creux qui leur arrivait aux genoux, et un beau col Reine Anne à la découpe nette qui soulignait parfaitement n'importe quel décolleté. Coté chaussure, presque toutes portaient des ballerines toutes simples, sans doute plus confortables que les kitten-heels que certaines arboraient. Les coiffures avaient également été supervisées, car les hommes avaient en majorité les cheveux en arrière, et les femmes arboraient presque toutes de jolis chignons qui soulignaient la courbe gracieuse de leur cou. C'était très old-school, mais tout à fait charmant et classe.

Les clients étaient très contents aussi. La jeune femme se tourna vers la table autour de laquelle discutaient Charles Bingley et sa future femme, Jane Bennet. Tous les deux étaient très séduisants. Lui en costume noir et chemise blanche fort bien coupés. Sobre. Classique. Efficace. Jane, elle, portait une robe à jupe évasée et col bateau d'un gris perle élégant qui mettait en valeur sa silhouette fine et gracieuse. Un seul bijou, si on excluait la bague de fiançailles : Une fine chaîne en or arborant une unique perle. Magnifique de simplicité.

Jamais Amalia n'aurait pensé organiser cette fête après tous les évènements qu'avaient subi l'aînée des Bennet tout au long de l'année précédente. Mais elle était contente pour elle. Si une personne dans cette assemblée méritait d'être heureuse, c'était bien Jane Bennet.

Amalia fronça soudain les sourcils. À la table de Jane, elle vit maître Fitzwilliam Darcy – costume bleu nuit, chemise noire - se lever en murmurant quelque chose à son ami Charles. Et ce dernier arbora une expression de stupeur sur le visage, qui ne disait rien qui vaille à Amalia.

Elle connaissait l'entente sulfureuse entre Elizabeth et l'avocat. Sulfureuse et tempétueuse. Depuis que leur relation était connue de tous, il ne passait pas une semaine sans qu'ils ne se disputent et se réconcilient dans la seconde suivante. C'était perturbant et usant pour leurs amis. Elle redoutait donc ce que préparait Fitzwilliam Darcy. Elle ne fut pas déçue du spectacle.

***

Elizabeth avait choisi de porter un tailleur pantalon anthracite pour la fête de sa sœur. Elle voulait éviter les comparaisons. Jane était sublime. Une Grâce Kelly avant qu'elle ne s'enferme dans le carcan princier. Une beauté aux airs doux et humble.

Les deux sœurs discutaient de manière enjouée, lorsque Elizabeth vit du coin de l'œil, Fitz se lever. Elle ne s'en émut pas. Il pouvait bien faire ce qu'il voulait, lui qui avait refusé de lui dire ce qu'il mijotait le matin même, alors qu'il était évident qu'il lui cachait quelque chose depuis la veille. Elle avait refusé de se fâcher avant la fête de Jane, mais il ne perdait rien pour attendre.

Fitz s'approcha d'elle avec un grand sourire, ce qui l'obligea à le regarder avec un air interrogateur. Sans un mot, il lui tendit la main comme s'il avait eu l'intention de la faire danser. Or, la musique ne permettait pas une telle fantaisie. Elle se leva néanmoins, curieuse. Une fois debout, elle le vit s'agenouiller devant elle avec stupeur.

— Elizabeth Bennet, accepteriez-vous de faire de moi le plus heureux des hommes en m'épousant ? demanda-t-il d'un ton solennel en ouvrant un petit écrin où attendait une bague ouvragée ornée d'une unique pierre au reflet grenat.

Tous les convives avaient cessé de respirer, accrochés aux lèvres d'Elizabeth qui ne disait rien tant elle était stupéfaite. Jane avait, quant à elle, mit ses mains sur sa bouche pour s'empêcher de rire ou de pleurer, au choix, car elle savait ce qui allait arriver. Et sa sœur ne la fit pas mentir.

— Mais... Mais... Tu es complètement dingue ! hurla-t-elle en fixant Darcy toujours un genou à terre, imperturbable, parfaitement conscient de ce qu'il venait de déchaîner.

Il avait eu l'infime espoir que faisant sa demande en public, et à la fête de Jane, Elizabeth ne la lui refuserait pas. S'il avait consulté l'aînée des Bennet, elle lui aurait ri au nez en lui disant que rien n'empêcherait Elizabeth de réagir à sa guise. Cette dernière se fichant comme de sa première paire de collant de ce que pouvait penser le tout venant, de son comportement.

— Mais c'est pas vrai ! Mais tu es... Ahhh ! Mais je vais te tuer ! C'est pas vrai ! continua Elizabeth en attrapant sa pochette avant de fendre la foule vers la sortie d'un pas de général partant en guerre.

Personne ne se risqua à s'interposer. Fitz se contenta de se relever en refermant l'écrin, sourire aux lèvres. Il épousseta son pantalon d'un geste et se rassit près de Charles.

— Mais qu'est-ce qui t'as pris, lui murmura Jane en se penchant vers lui.

— Il n'y aurait jamais eu de bonne façon de le lui demander, répondit simplement Darcy avec flegme.

— Quand même ! Tu t'attendais à ce qu'elle accepte, genre talon en l'air et cœur au fond des yeux ?

— Non. Je ne m'attendais à rien en vérité, car ce que produit Elizabeth est toujours au-delà de toutes mes espérances.

Charles fut pris d'un fou rire irrépressible. Jane sourit malgré elle. C'est sûr que Elizabeth et Fitz s'étaient bien trouvés. Tout aussi étonnant l'un que l'autre.

***

Elle allait le tuer ! Elle allait le tuer ! Lui faire ça à elle ! Lui faire ça alors qu'il n'était vraiment en couple que depuis quelques semaines ! Elle allait le tuer cet imbécile ! Non, mais qu'est-ce qu'il s'imaginait ! Qu'elle allait dire oui, la bouche en cœur ? Il était totalement stupide ou quoi ?! Comme si c'était son genre ! En plus elle lui avait bien fait comprendre qu'elle, elle ne se marierait pas de sitôt quand ils avaient discuté de Jane et Charles ! Elle allait le tuer !

Elizabeth marmonna toutes sortes d'imprécations jusqu'à son appartement où elle attrapa son casque et ses clés de moto avant de descendre au parking et d'enfourcher le monstre mécanique. Une heure plus tard, elle était face à la mer, en maillot malgré le froid et le vent. Elle se mit à nager toujours aussi furieuse contre Fitzwilliam Darcy.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant