Chapitre 76 ... et la difficulté de s'avouer vaincue

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Wilmington. Noël. Elizabeth.

Fitz fixait Elizabeth. Il la trouvait magnifique. Le visage partagé entre surprise et colère. Le corps tendu par le froid. En deux pas, il fut sur elle et il l'enferma dans ses bras, ne lui laissant aucun choix. Il savait d'expérience que questionner cette femme, c'était s'exposer aux réparties cinglantes et difficiles à contrer. Heureusement pour lui, elle n'était pas avocate. Sinon, il aurait été certain de perdre face à elle.

— Comment voudrais-tu que je te broie le cœur ! se contenta-t-il de murmurer en lui embrassant les cheveux.

En fait, il avait perdu. Depuis leur première rencontre, il avait perdu. Il avait eu beau gesticuler et aboyer, il avait perdu. Parce que dès l'instant où il avait croisé son regard magnétique dans le foutu bureau de Mlle Dickson, il avait été attiré comme un papillon par la lumière d'une lampe trop éblouissante.

Il s'était battu bien sûr, parce qu'il avait été d'abord convaincu qu'elle n'était et ne serait jamais la femme idéale dont il rêvait. Elle ne pouvait pas être à la hauteur avec cet air rebelle et toutes ces sœurs aussi bruyantes qu'envahissantes. Et puis, son physique... ces cheveux aussi indisciplinés qu'elle, son corps fait pour la course-poursuite, et son regard qui pouvait vous épingler avec dédain. Bien sûr qu'il s'était battu ! Mais il avait perdu.

À chaque confrontation, il sentait qu'il perdait pied. Jusqu'au premier baiser. Ce jour-là, il avait fanfaronné, mais en réalité, il était carrément tombé de la falaise au bord de laquelle il se trouvait depuis si longtemps. Ce premier baiser avait été la bourrasque, l'ouragan qui avait causé sa chute.

Parce qu'il l'aimait. Il n'en avait pas pris conscience immédiatement. Il avait commencé par se débattre comme un homme qui se noie. Ils étaient entrés dans la danse qu'elle imposait. Il lui avait fait l'amour comme une brute pour la faire ployer, mais elle sortait toujours triomphante de leurs ébats aussi brefs que secrets.

Et puis, finalement, il ne s'était pas noyé. L'ouragan l'avait emmené plus loin encore. Il ne réalisait pas. Il le refusait. Et puis, il y avait eu le rendez-vous manqué. Les messages irrités et plein de fiel. La rupture sous-jacente à cet appel bref et cassant à la veille de noël.

Et il avait pensé ouvrir les yeux, enfin. Il avait pensé qu'Elizabeth Bennet avait joué avec lui. Il était furieux parce qu'elle avait réussi à l'atteindre bien au-delà de ses espérances sans doute. Il avait voulu lui faire payer ? Oui. Il y avait de ça. Mais pas que. Parce qu'il ne pouvait nier ses sentiments envers elle. Il ne pouvait oublier l'attraction qu'elle exerçait sur lui. Il était venu non pas pour s'imposer, mais pour lui faire comprendre qu'elle avait mal agi envers lui.

Il n'avait rien compris, en réalité. Aveuglé par ses propres tourments, il n'avait pas vu les signes. Elizabeth Bennet avait cru jouer avec lui. Elle avait cru maîtriser la danse, mais elle avait fait une erreur. Elle aussi s'était perdue. Et si lui était parvenu à se résigner en acceptant ce qu'il ressentait, elle, pas encore.

S'il ne l'avait pas autant aimé, Fitzwilliam aurait joué avec toute l'arrogance et la morgue dont il était capable pour l'humilier. Mais il l'aimait. Il était prêt à admettre sa défaite si ça pouvait la rendre heureuse. Il avait perdu. Il était perdu. Éperdu, même. Éperdu d'amour pour elle. Il l'aimait comme il n'avait jamais aimé aucune femme.

Cette défaite ne l'attristait, ni ne le mettait en colère. Contrairement à elle qui luttait encore, il l'accueillait dans son cœur. Toutefois, il comprenait qu'elle mette plus de temps pour accepter. Elle était une femme. Et pour son sexe, accepter d'aimer était bien souvent synonyme de soumission. Or, jamais Elizabeth ne se soumettrait à lui. Partant de ce principe, ils allaient devoir trouver une autre voie. Ils savaient qu'ils en étaient capables. Rien ne leur résisterait.

***

Elizabeth ne savait pas quoi faire. Enfermée entre les bras de Fitz, elle avait autant envie de l'agonir d'injures que de l'embrasser. Et c'était bien ça le problème. Elle n'arrivait pas à se décider. La petite voix de Jane revint tourner dans son crâne : « Est-ce que si demain Fitzwilliam Darcy disparaissait, tu serais totalement indifférente, plus heureuse, ou affreusement malheureuse ? ». La réponse était : Indubitablement malheureuse.

Parce que son absence lui pesait toujours plus. Parce que le soir lorsqu'elle rentrait chez elle, elle se demandait ce que ça ferait de dormir avec lui, de se réveiller à ses côtés, de boire son café en le regardant vivre, respirer près d'elle. Elle devait arrêter de se voiler la face, son attirance pour lui n'était pas que physique. Son cœur s'était accroché à de petits détails qui, si elle se laissait faire, la rendrait heureuse, elle le sentait.

Alors, pourquoi résister ? Cette étreinte ne lui prouvait-elle pas que ces sentiments, contre lesquels elle luttait en vain, étaient réciproques ? Qu'elle s'était trompée sur lui ? Il avait joué sa partie. Allait-elle l'ignorer royalement ? Lui rire au nez ? Le repousser avec la certitude de perdre une opportunité de vivre un bonheur qu'elle n'envisageait pas possible à peine quelques heures auparavant ? Le moment était crucial. Elizabeth ferma les yeux et inspira profondément, le nez dans la veste de Fitz. Elle s'enivra de lui. Elle décida alors qu'elle voulait cette odeur sur tous ses draps et sur sa peau.

— Tu comptes m'étouffer le soir de Noël ? C'est ça ? C'est ce que tu as demandé au Père Noël cette année : « Me débarrasser une bonne fois pour toute de cette peste d'Elizabeth Bennet » ? entendit-il dans son cou avant de sentir un baiser. Léger. Presque un effleurement.

Il desserra son étreinte pour regarder Elizabeth dans les yeux.

— Je n'ai rien demandé au Père-Noël cette année. J'avais déjà eu mon cadeau.

— C'est ça, oui, fit-elle avec une petite moue qu'il effaça d'un tendre baiser.

— Elizabeth Bennet, tu me rends dingue, et ce qui me rend encore plus dingue, c'est de savoir que tu en es parfaitement consciente.

— C'est tout ?

— Et je t'aime, idiote.

Elizabeth sourit en l'embrassant avec passion. Leurs mains s'activèrent à étreindre le corps de l'autre. Puis à le caresser. Ils allaient devoir trouver un coin tranquille rapidement, ce qui ne serait pas chose facile dans la maison des Bennet.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant