Les sœurs Bennet

Chapitre 55 Le grand départ

Wilmington. Juin. Mary.

Mary relisait une nouvelle fois le document qu'elle avait entre les mains. Seule, assise sur le lit de son minuscule studio, son visage exprimait toute la concentration dont elle avait besoin en cet instant pour bien comprendre chaque élément de la proposition qui lui avait été faite. C'était important, car elle avait entre les mains ce qui était l'alpha de sa nouvelle vie.

La semaine passée, elle avait fait le trajet jusqu'à Boston pour passer un entretien dans une grosse entreprise de sécurité qui recrutait toutes sortes de profils. Elle n'avait jamais mis les pieds dans cette ville auparavant. Pourtant, elle n'avait pas profité du voyage pour visiter.

Elle avait pris un taxi pour aller à son rendez-vous et un taxi pour la ramener à la gare routière. Elle était restée focus sur l'entretien durant les deux trajets. À l'aller, elle avait revu les points forts d'une éventuelle présentation. Au retour, elle avait réfléchi à toutes les faiblesses qu'avaient révélé l'entretien et l'épreuve physique. Elle était donc revenue chez elle avec un sentiment d'échec cuisant, mais pas décourageant. Au contraire.

Elle s'était mise à éplucher les offres du même type dans une zone géographique de plus en plus vaste. Ce voyage lui avait ouvert des horizons qu'elle avait toujours cru ne pas pouvoir affronter. Mary avait volé seule une fois. Elle désirait renouveler l'expérience.

Et puis, le courrier était arrivé. Un courrier papier. Pas un e-mail ou un SMS. Elle avait été surprise en trouvant l'enveloppe dans sa boite aux lettres dans laquelle, d'habitude, elle ne regardait jamais. Le facteur devait s'en douter puisqu'il ne mettait jamais rien dedans. Il avait donc fait exprès de laisser dépasser l'enveloppe pour qu'elle la voit en passant. Petit triangle crème de papier, tirant la langue depuis la fente étroite de la porte encastrée dans le mur.

Ensuite, elle avait lu cette missive, et son étonnement n'avait fait qu'augmenter. Elle pensait sincèrement avoir échoué à son entretien à Boston. D'ailleurs, elle aurait été d'accord avec cette décision, considérant elle-même qu'elle n'avait pas été au top lors de l'entretien, et encore moins pendant les épreuves physiques. Pourtant, c'était bien une proposition d'embauche qu'elle avait découverte dans l'enveloppe.

Son premier réflexe avait été de croire à un canular. Tout était si facilement falsifiable de nos jours. Elle avait donc appelé le siège de Global Security à Boston pour confirmer que ce courrier était bien d'eux et qu'il était sérieux. La jeune femme qui avait répondu avait été amusée de cet appel. Elle n'avait encore jamais eu aucun candidat qui douta de la véracité du courrier de proposition d'embauche.

Une fois que tout fut clair, Mary s'était mise à lire le document en évaluant ce qu'impliquait chaque paragraphe et chaque alinéa. Elle avait lu les petites lignes en fin de page, et les notes auxquelles renvoyaient les astérisques. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour réfléchir à ce qu'allait impliquer cette embauche pour elle.

Un départ dans les plus brefs délais en premier lieu. Et cela avait demandé une certaine organisation. Ne connaissant personne à Boston, elle avait dû trouver un logement toute seule. Elle avait cherché une auberge de jeunesse ou une pension sur internet. Elle avait finalement opté pour une chambre anonyme dans un petit motel situé sur la ligne de bus qui passait devant le siège de l'entreprise. Dans un premier temps, cela ferait l'affaire.

Ensuite, elle avait dû quitter son emploi. Elle avait appelé M. Corvet, son patron. La discussion avait été fort peu agréable. M. Corvet avait la haute saison à gérer, et sans Mary, cela risquait de poser problème. Néanmoins, il n'avait pas les moyens de l'empêcher de prendre son envol. Ils avaient convenu d'un accord. Son nouveau contrat ne débutait que dans dix jours. C'était le temps qu'il leur restait pour trouver un remplaçant et le former. Rien d'impossible en soi, si on trouvait la bonne personne rapidement.

Enfin, elle avait dû penser à son déménagement. Ça avait été le plus simple pour elle. La totalité de ses possessions tenaient dans deux sacs de voyage. Elle n'emportait que le strict minimum. Un sac suffisait. Le second, elle l'avait laissé au père Murdock. Il avait accepté de le stocker le temps qu'elle s'installe vraiment dans sa nouvelle vie.

Elle leva les yeux sur le studio rangé au carré, impeccable et austère. Le sac qu'elle emmenait avec elle attendait près de la porte. Elle y rangea les documents qu'elle venait de relire. Lorsqu'elle ferma la porte derrière elle, elle jeta un dernier regard à ce qui avait été un court moment son royaume. Elle ne regrettait pas de le quitter. Tout comme elle avait quitté la maison familiale sans regret. À chaque départ, elle avait la sensation de se libérer d'une enveloppe contraignante qui freinait son envol.

***

Mary monta dans le car avec une détermination sans faille. Elle ne remarqua pas le Père Murdock, debout, immobile, sur le trottoir d'en face. Elle ne lui avait rien demandé, mais il avait trouvé triste que la jeune femme quitte Wilmington seule, sans personne pour lui faire sentir que son foyer serait toujours ici. Il se doutait que Mary n'avait prévenu personne, et il ne se sentait pas en droit de le faire à sa place.

La famille Bennet œuvrait pour la communauté, mais n'était pas particulièrement croyante. Le père Murdock n'était pas légitime dans un rôle de pivot. Néanmoins, une fois le car parti, il irait voir Mme Bennet et lui remettrait le sac laissé par sa fille. Il savait qu'elle souffrirait de ce départ sans rien montrer devant lui, cependant. Trop de fierté. Il espérait que ce départ n'annonçait pas une rupture définitive. Cette famille avait vécu suffisamment de drame cette année.