I - Προφητεία (partie 1)

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Le vent semait le chaos autour de lui, sifflait comme autant de serpents, glaçait le sang de ses proies noyées dans la terreur de cette nuit d'hiver. Les mortels se ruaient en tous sens vers les abris à force cris et pleurs. Les bourrasques fauchaient les plus rapides comme les plus lents, les projetaient de plein fouet contre les façades et les colonnes de bois et de marbre.

Dissimulées dans le manteau de ténèbres ouranien, deux divinités observaient ces chétives créatures en badinant volontiers. Car Peur et Effroi, provocateurs de malheurs et fils de la Guerre, se complaisaient d'un pareil spectacle.

Les hommes crurent en premier lieu qu'il s'agissait simplement d'une tempête plus violente que les autres, courantes dans la région, d'autant plus lorsque le Vent du Nord soufflait et que la Neige, sa fille, tombait ; mais cette tempête n'était pas naturelle. Manifestation et fruit des déités, elle était révélatrice de leur colère implacable !

Une nuit de Lune Noire, phénomène unique de l'année où les forces obscures enfin s'éveillaient de leur long sommeil cyclique. Au bourg, une légende vieille comme le monde et les premiers dieux narrait qu'à chaque Lune Noire, lorsque l'astre sélène échappait aux cieux et à la vue des mortels, dix de ces derniers disparaissaient, engloutis par les bourrasques qui, pareilles à des pinces, saisissaient les « élus » et les menaient vers des lieux inconnus... car aucun de ces villageois n'en était jamais revenu.

Ces phénomènes des nuits de Lune Noire touchaient-ils toutes les régions, les cités et les villages les plus modestes des archipels lointains ? ou bien seul celui-ci était-il la proie du tumulte des déités ? Un mystère de plus sur ces dernières, qui à jamais semblait irrésoluble.


Au cœur des hourvaris, il courait aussi vite qu'il le pouvait vers sa demeure, tenait fermement la main de sa petite sœur, l'exhortait à le suivre et la rassurait à qui mieux mieux. La petite était pieds nus, ayant perdu ses sandales dans la course. À bout de souffle, ses cheveux blonds collaient à son visage, tandis que des larmes de terreur coulaient de ses yeux bleus sur ses joues creuses. Le grand frère poussa d'un geste vif le panneau de la clôture qui délimitait la médiocre propriété de sa grand-mère, emportée dans les griffes des dieux célestes deux ans plus tôt dans une même nuit. Les deux enfants s'étaient ainsi retrouvés seuls, l'aîné croulant soudainement sous les responsabilités, à l'instar du géant qui soutient la Voûte Céleste sur ses épaules.

Il crut enfin parvenir à l'abri – leur salut ! – lorsqu'une violente bourrasque vint les repousser en arrière sans aucune pitié. La petite fut emportée dans la bousculade. Frère et sœur roulèrent dans la neige fraîchement tombée la veille. Le froid et l'humidité traversèrent immédiatement les misérables guenilles qui les vêtaient et mordirent à pleines dents leur peau. Aveuglé, du bout de ses doigts rouges et frigorifiés, le garçon tâtonna pour protéger Callia. Le vent et le froid semblaient s'être ligués contre lui, comme pour l'empêcher de rejoindre la petite. Finalement, il parvint à la saisir, la ramena contre lui et l'aida à se relever.

— Vite, Callia ! dit-il en l'entraînant.

Un seul pas suffit pour que les filets d'air devinssent plus puissants autour de Callia. Ils l'entourèrent, commencèrent à lentement l'élever dans l'atmosphère glacée. Elle hurla de plus belle, fragile voix devenue stridente, tandis que les larmes coulaient plus abondamment encore. Le grand frère l'entendait tant pleurer ! et lui saisit une ultime fois la main en faisant volte-face. Il tira de toutes ses forces, déterminé comme jamais à repousser les pinces surnaturelles. Il était absolument hors de question que Callia disparaisse à son tour ; les dieux ne pouvaient la lui dérober !

Alors, les pinces le frappèrent, pareilles à des coups de poing. Désœuvré et suffocant, il lâcha inexorablement la main de Callia. Une dernière bourrasque faucha ses jambes et son crâne percuta violemment le sol. La vision troublée, la tête battante comme un tambour, il n'aperçut plus que Callia s'époumoner de désespoir... avant qu'elle ne disparût dans un intense rayon de lumière émeraude, faisant fondre la neige alentour.

Par tous les dieux... Callia ! Il n'avait même pas la force de vociférer ou de pleurer, d'invectiver les immortels célestes. Il n'osait toujours pas en croire ses yeux, tendant, impuissant, le bras devant lui, dans l'espoir fou que tout ceci ne fût qu'un stupide et banal songe. Oui, Callia allait se saisir de ses doigts et se lover contre sa poitrine, protégée comme toujours entre ses bras bienveillants...

Mais les Bienheureux façonnaient, semblait-il, d'autres desseins pour lui. Il n'eut le droit qu'à la solitude, envahi par le sifflement et le froid du Vent du Nord qui peu à peu s'apaisait, marquant l'achèvement tant attendu par les mortels des phénomènes de la Lune Noire.

Devant lui, au loin, apparut une femme, laquelle l'observait fixement. L'orphelin ne percevait que ses yeux pers brillants, qui pourtant inconnus lui semblaient terriblement familiers. Juchée sur un bel étalon d'une robe noire, celui-ci renâclait, de la vapeur blanche s'échappant de ses naseaux brûlants. Le garçon se sentit soudain extrêmement épuisé, des pierres comme se posant sur ses paupières.

Pardonne-moi, entendit-il distinctement la cavalière s'exprimer.

Laconiques mais sincères, ces deux mots l'emportèrent dans les ténèbres, loin des conséquences de la Lune Noire, loin de cet insipide mais efficace cauchemar orchestré par le dieu des Rêves...


(suite du chapitre 1 en suivant...)

Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant