Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]

ΓI - ἌΡΗΣ (partie 2)

Tandis que Daímôn se retournait, Hécate finissait d'apparaître, accompagnée des Maîtresses du Destin. Daímôn sourit à Hécate ; ce sourire s'effaça aussitôt lorsqu'il croisa le regard des Moires, toujours munies de leurs ustensiles de couture. Toutes trois représentaient son avenir, sa mort et sa vie. Daímôn ne les appréciait guère, tant par leur fonction première que leur maudite Grande Prophétie. Elle lui avait remis le sort du monde entre les mains, en conclusion...

— Tu as de vagues souvenirs d'un monde de mortels pauvre et archaïque, n'est-ce pas ? fit Hécate, rapportant son attention sur elle.

Daímôn se plongea dans les étranges images qui ne le quittaient jamais, qui s'étaient même retrouvées dans ses songes cette nuit.

— Oui, répondit-il. Mais de simples passages restreints, où se mêlent pierres, marbre, feu, cadavres, sang... Un bourg entièrement détruit, ses habitants massacrés sans pitié. Pourquoi ai-je ces horreurs dans la tête ?

Hécate se pinça les lèvres.

— Jamais tu n'aurais dû pouvoir te remémorer ne serait-ce qu'une simple vétille. Tu es bien le fils de ton père !

— Que voulez-vous dire ?

Hécate ne répliqua pas tout de suite. Ce n'était guère à elle de le lui apprendre. Elle avait senti en lui l'un des tours d'Athéna. Celle-ci avait tenté d'effacer ses souvenirs, mais elle n'avait guère réussi, tout au plus les avait entravés le temps que la vérité éclate enfin. Jouer avec l'esprit d'un homme était dangereux. Avec celui d'un Primordial, cela relevait de la folie. Pourtant, Hécate comprenait l'initiative d'Athéna.

— Ces souvenirs sont ceux d'un monde n'ayant jamais existé. Une illusion.

Sois prudente, Hécate, se conseilla-t-elle. Tout ce que tu peux faire est de préparer Daímôn à la révélation qu'Athéna devra lui faire, tôt ou tard.

— Écoute. Bien que mes souvenirs soient altérés comme ceux de tous, je suis persuadée que des milliers d'années jadis, il se produisit... quelque chose que nous ne pouvons encore expliquer, poursuivit-elle. Mais les conséquences furent bien là : ce fameux jour, indépendamment de ta volonté, tu te créas un monde de toutes pièces, à ton image, telle une immense architecture vivante, animée d'humains et des Éléments. Telle la chenille dans sa chrysalide, tu attendis que le moment fût venu pour toi d'en sortir, d'en émerger sous ta forme la plus parfaite, un papillon. Et pour se faire, tu agis comme ton père : tu façonnas ta création, le temps de la transition.

Comprends-tu ?

— Je vous l'ai dit, seules des bribes passagères ressurgissent, fit Daímôn, la voix tremblante. Ce passé est incomplet. Un village détruit, une fuite dans la forêt, une confrontation aux côtés d'Athéna avec des monstres venus me tuer. Puis une promesse... faite à Athéna. Avant tout cela, hormis le passage dans le nexus, tout est flou. Mon esprit et ma mémoire sont... chamboulés, vidés, épuisés, harcelés par une profonde impuissance, qui peu à peu tendrait à s'estomper mais qui ne le peut, car il manque des éléments, des détails que je ne peux atteindre. Et pourtant, ils me brûlent les lèvres, tel un mot au bout de la langue...

Son irréfragable mise à nu devant nous tous... Hécate n'en doutait pas.

— La vérité doit émerger, conclut une nouvelle voix. Il est temps, temps pour lui d'embrasser pleinement sa destinée, et que les doutes cessent enfin.

Athéna se matérialisa à leurs côtés, l'homme qui se battait, Mars, non loin d'elle, son immense espadon tenu entre ses deux grosses mains nues calleuses. Tous deux aussi avaient ouï les aveux de Daímôn, et Athéna ne pouvait plus demeurer impassible face à eux. Elle n'avait plus le choix. Sa simple intervention, tel que l'avait décelé Hécate, n'avait guère eu l'effet escompté. Et en avouant maintenant la vérité, elle risquait d'ébranler toute la confiance que Daímôn lui offrait.