ΓI - ἌΡΗΣ (partie 4)

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Maudite Minerve ! Tu t'es bien foutue de moi !

Alors qu'elle lui avait promis un beau combat, digne des grands guerriers de l'époque, Mars se retrouvait face à ce gamin pitoyablement gêné par quelques grains de sable entre ses orteils. Argh ! fulmina Mars pour lui-même, le rouge de la colère monté aux joues. Peut-être que ce coup allait lui remettre les idées en place ! Car Mars ne ferait aucun quartier, autant par la promesse de Minerve que son envie irrépressible de faire la peau à ce gosse. L'instinct typique et brutal du dieu de la Guerre, la divinité la moins amène du mont Olympe, s'était éveillé !

Bien des preuves témoignaient de la malveillance que symbolisait Arès. La plus manifeste s'illustrait sans doute aux noms qu'il avait donnés à ses deux fils, Phobos et Déimos – « peur » et « terreur ». Seulement, du temps romain, Mars avait perdu ses attributs de dieu grec de la Violence, au profit d'une toute autre nature : un protecteur. Mars ne le supportait pas ! Au fond de lui bouillonnait continuellement cette rage envers ses ennemis, ce magma en fusion prêt à exploser qu'était son envie incoercible de faire couler le sang. Les Romains n'avaient pourtant jamais été témoins du dieu terrible qu'était le véritable Mars, quand bien même celui-ci en mourut d'envie plus d'une fois. Mais vénéré tel qu'il l'était, autant que son père Jupiter le roi des dieux, le coléreux Mars avait été capable de réfréner ses ardeurs meurtrières : afin d'alléger le trop-plein de violence en lui, il se lâchait complètement auprès des autres Olympiens et lors de ses longues séances d'entraînement journalières dans son arène – Vénus le soulageait grandement aussi, soit dit en passant.

Fils de Chaos, tu en feras les frais ! exulta-t-il pour lui-même en ricanant.

Il caressa son espadon poli en métal, lisse et tranchant. Elle ne s'étendait pas sur moins de deux-cents centimètres, et paraissait bien impossible à manier, sauf par le dieu de la Guerre lui-même. Elle gerbait par moments d'étincelles sur toute la longueur de la lame.

Mars matérialisa un glaive tout aussi tranchant dans sa main libre et le lança à Daímôn.

La réceptionnant parfaitement au vol, ce dernier l'étudia, comme s'il l'avait toujours fait avant un duel. La lame en fer était trop longue et trop lourde pour lui, malgré sa ridicule petitesse comparée à la monstruosité qu'était l'espadon adverse. Pis, elle n'était pas équilibrée, n'était pas comme... Un détail lui échappa soudain, et il ne sut plus où il voulait en venir. En tout état de cause, il jugea Mars et comprit bien que l'espadon lui convenait parfaitement. A contrario du glaive qui lui était incompatible... Mars est-il aussi devenu le dieu de la Déloyauté et de la Tricherie ? se demanda-t-il.

Mars se mit en position d'attaque.

— Allez, fils de Chaos ! rugit-il. Montre-moi la puissance légendaire d'un Primordial !

En trois foulées, l'espadon dansa et s'écrasa alors de toute force sur Daímôn. Celui-ci eut l'idée de parer le coup, mais le déséquilibre manifeste de son glaive, la rapidité de l'attaque et l'énormité de l'espadon ne lui permettraient guère de supporter tout le poids de la charge. Devant le lion enragé qu'était devenu Mars, Daímôn plia le genou pour glisser sous l'arme... mais reçut celui du guerrier immortel en pleine face. Tandis qu'il roulait dans le sable, catapulté par la force de Mars, il sentit le liquide bleuté qui emplissait ses veines couler de son nez.

— Le dieu romain de la Guerre n'est-il pas censé m'aider et se montrer moins brutal ? gronda Daímôn en se relevant.

— Conneries ! rugit Mars. Les Romains étaient de puissants guerriers, fiers et loyaux, certes, ils ne me vénéraient que pour les protéger des attaques ennemies, pour leur accorder le triomphe. Pour eux, j'étais un protecteur, un gardien ; ils ne me craignaient guère comme les Grecs mais me respectaient. Pour les Hellènes, j'étais un barbare sanguinaire sans foi ni loi, qui se repentait du sang de ses ennemis. Les Romains ont même créé une fête en mon nom. Pour eux, j'étais le dieu de la Prospérité, plus le Maître de la Violence qu'était Arès. Les Romains avaient beau être de vaillants soldats, ils n'en étaient pas moins stupides.

» La violence est mon domaine, l'air que je respire. Je suis le Bras de la Brutalité, l'allégorie même de l'Agression ! Je me complais dans l'écoulement du sang ennemi, comme le tien en cet instant !

» Maintenant, fils de Chaos, bats-toi vraiment, avant que je ne regrette davantage d'avoir accepté d'aider Minerve !

Mars se repositionna, tout comme Daímôn qui tendit son glaive du mieux qu'il put. Son bras ne pouvait s'empêcher de ployer sous le poids du fer, et l'ichor qui continuait de couler sur son visage, jusqu'à s'immiscer entre ses lèvres, n'arrangeait rien. Heureusement, son nez n'était pas brisé – ç'aurait été une première !

Il se lança à l'attaque. Son esprit lui intima de pratiquer les multiples bottes qu'il lui dictait. Il ne chercha guère à savoir comment il parvenait ainsi à manier sa lame, convaincu que ce qu'il était jadis s'éveillait graduellement et reprenait dûment sa place. Mais malgré sa certaine dextérité et son jeu de lame, aucun de ses coups n'eut l'effet escompté. Mars les parait avec une facilité déconcertante – voire insultante –, le mastoc espadon l'y aidant bien, et très vite, avant même qu'il ne s'en rendît compte, il roula à nouveau dans le sable. Il se releva en grognant, essuya le sang et la poussière sur son faciès d'un revers de bras et mit au clair son glaive. Il fonça sur Mars alors que celui-ci étirait sa bouche en un bâillement moqueur. Daímôn frappa en tous sens, dans l'espoir qu'avec un peu de chance, son épée parvienne à atteindre Mars sur un point sensible.

Ce fut le contraire.

Le dieu de la Guerre para un coup et plaqua violemment le plat de son espadon sur le genou de Daímôn qui fléchit indubitablement. Mars pivota en un tour complet et flanqua de nouveau le plat de son épée sur le visage de Daímôn. Dans un crachat d'ichor, ce dernier fut propulsé sauvagement et s'écrasa.

Il ne bougea plus tant il avait la tête qui tournait.


— Il a bel et bien perdu la mémoire, commenta piteusement Athéna, observant attentivement de loin le combat. Il ne sait même plus se battre.

— Je suis persuadé que tout lui reviendra, encouragea Cupidon l'éternel jovial. Si tant est soit-il une fine lame. Dans peu de temps, le véritable potentiel de Daímôn va ressurgir. Espérons simplement qu'il sera capable de se contrôler, ou que la fatigue le calmera.

— Que Chaos t'entende ! scanda Hécate enlevant les mains au ciel.   


(suite et fin du chapitre 6 en suivant...)

Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant