Δ - Μάκες (partie 5)

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Aphrodite se délectait du silence dans son soyeux temple. Les mâles – ses serviteurs – aux muscles saillants lui tendaient des grappes de raisin ; du bout de ses lèvres rouges comme les pétales d'une rose, elle saisissait les fruits et les croquait, laissant leur jus titiller ses papilles gustatives et couler dans sa gorge. D'autres factotums – uniquement des femmes – massaient ses pieds et jambes avec du lait d'ânesse. Elle aimait la délicate pression de leurs doigts et fermait les yeux de plaisir.

Jouir de tel moment était rare ces derniers temps, et elle savait que tôt ou tard, elle serait dérangée.

Sa crainte se matérialisa alors dans une tornade parcourue d'éclairs bleu électrique.

Zeus paraissait toujours aussi antipathique qu'à son habitude, ses sourcils blancs froncés lui conférant une expression des plus sévères. Il avait troqué sa tunique blanche pour un ensemble gris relâché. Que de mécontentement et de mauvais goût, songea la déesse en pouffant. Elle le toisa impudemment une première fois puis congédia les serviteurs qui s'enfuirent loin du roi des dieux d'un simple geste de la main.

— Que me vaut ce plaisir, mon roi ? s'enquit Aphrodite d'une lénifiante voix emplie de faux-semblant.

— Inutile d'essayer de m'enjôler, fille d'Ouranos ! rugit Zeus. Je suis venu à toi dans l'espoir de te faire entendre raison.

— Plaît-il ?

— Où se trouve Daímôn ?

— Allons, je l'ignore totalement !

S'il te plaît !

Aphrodite sourit. Combien il avait dû coûter au roi des dieux de venir jusqu'ici et d'ainsi la supplier. Fut un temps où elle avait espéré que ce fils de Cronos, le plus grand de tous les dieux, devînt son mari. Dire qu'il avait préféré la frigide Héra... !

— Non, répondit-elle obstinée. Je refuse de te donner ses informations, car ce n'est nullement à moi de recouvrer la raison, mais à vous tous, dieux de l'Olympe. Particulièrement toi, Zeus.

— Aphrodite !

L'orage tonna au-dessus du temple ; le vent, pareil à un ouragan, balaya l'intérieur de la pièce, fit voler toutes les couvertures soyeuses des canapés, renversa les miroirs accrochés aux murs qui se brisèrent en milliers de fragments.

Milliers d'éclats pour milliers de malheurs ! songea Aphrodite.

Elle ne broncha pas, laissa le dieu exploser une bonne fois pour toute. Le vent se calma enfin, non Zeus dont les yeux dardaient d'éclairs fulgurants.

— As-tu fini ? dit Aphrodite avec impavidité.

— Comment oses-tu ? Comment peux-tu te permettre de manquer ainsi de respect, de faire preuve de tant de désinvolture et de traîtrise envers ta famille ?

Ma famille ? (Elle se leva d'un bond et toisa Zeus.) C'est ma famille qui me manque de respect, qui fait preuve de tant de désinvolture et qui me trahit, éhontément qui plus est ! Oh, vous avez ôté le bonheur de la fille d'Ouranos, votre aînée, en tuant mon fils Éros ! Jamais je ne vous le pardonnerai !

— Ton fils n'est pas mort, et tu le sais très bien ! Il est emprisonné chez le Vent du Nord, par tous les dieux !

Un pesant silence se manifesta alors. Zeus se mordit fugacement la lèvre, instant de faiblesse que ne manqua certainement pas Aphrodite. Trop tard : la bévue était faite. Aphrodite fulmina, exécra le roi de l'Olympe !

— Enfin, la vérité émerge ! Mais ne crois guère que je ne le sais point déjà, mon cher Cronide (Ψ) . Voilà bien des jours que ton fils Apollon m'avoua la vérité !

En effet, Aphrodite s'était rendue auprès du dieu de la Lumière afin d'ouïr la vérité de sa bouche. Non pas qu'elle remît en question la parole d'Athéna, mais elle en avait eu besoin, pareil à sa dose de nectar qu'elle buvait avant de se coucher.

— Et tu n'agis pas ? s'enquit Zeus surpris. Tu restes ici à profiter de tes serviteurs, alors que ton fils est prisonnier de l'Hiver interminable ?

— Ce n'est pas à moi d'agir, mon roi ! Daímôn s'en chargera.

— Le Parjure de l'Olympe ? Alors tu te proclames véritablement son alliée à l'instar d'Athéna, Héphaïstos, Hécate et Hadès ?

— Bien sûr, car je suis la voie la plus juste, celle que porte la Raison ta fille, Tritogénie ! Ton fils Héphaïstos tout comme ton frère Hadès l'ont bien compris. La Titanide Hécate également ! Et très bientôt, Daímôn, messager de l'espoir, fera payer son méfait à Borée, en mon nom et celui de mon fils !

— Il mourra à essayer ! Et lorsque ceci sera accompli, tous ses alliés croupiront pour l'éternité dans les geôles ignominieuses du Tartare. Je puis te le jurer ! Oh, je pourrais dès lors vous châtier, mais les Destins ont parlé ! Il sera bien plus jouissif de voir annihilée toute votre volonté !

Zeus semblait si prêt de la foudroyer ici et maintenant !

Pourtant, il fit volte-face et se congédia en disparaissant dans une nouvelle tornade. Le dernier miroir qui tenait encore accroché au plafond tomba et se fracassa au sol.

Môre (Ω) ! maugréa Aphrodite pour elle-même. Je dois rejoindre Daímôn. Il aura besoin de mon aide. La déesse se leva et rappela ses serviteurs d'un claquement des mains. Ils accoururent aussitôt. Elle n'avait guère besoin de leur donner quelque ordre. Ils la drapèrent d'une soie violette sur les épaules, firent luire ses chaussures de même teinte et lui donnèrent son poignard à la lame en cristal. Elle leur commanda de tout ranger, de trouver de nouveaux miroirs vénitiens. Ils opinèrent du chef.

Elle les remercia laconiquement et se dématérialisa dans un rayon bleu, prudente qu'on ne la suivît pas jusqu'à sa destination : la nouvelle cachette de Daímôn et ses alliés.


(suite du chapitre 10 en suivant...)

Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant