ΓΙΙ - Ἀπόλλων (partie 1)

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« Un mois...

Un mois s'est aujourd'hui écoulé depuis que Daímôn nommé le Déchu, fils du grand Chaos ancestral, posa le pas – le premier depuis des millénaires – sur le sol sacré du mont Olympe. Un mois durant lequel chaque minute de mon temps lui fut consacrée, soutenue par l'assistance prépondérante d'Éros et d'Hécate.

Les jours passés, qui jamais ne cessent de défiler devant mes yeux, me confrontent à mon fourvoiement, mon erreur et ma naïveté. Comment ai-je pu croire qu'une quelconque anicroche ne viendrait s'interposer ? Tout a désormais basculé.

Mais comment aurions-nous pu nous douter que la puissance du Primordial soit telle ? Certes, nombre de nos légendes relatent les phénomènes incroyables, dirais-je même époustouflants, rattachés aux membres de cette caste ; cependant, un pouvoir uniquement tiré tout récemment de sa léthargie n'aurait dû faire montre d'une telle férocité, une brutalité incontrôlable. Nous en fîmes les frais, et ce à notre insu. La véritable victime fut le dieu de la Guerre. De simples secondes inopinées, lesquelles manquèrent de se solder par un drame sans précédent : la mort d'un Olympien, fils de Zeus.

Ce cauchemar me hante encore, et sûrement à jamais...

Lorsque mon frère fut placé sous mes soins, il se montra affreusement meurtri, défiguré par les nombreux coups endurés. Pis, sa vie était en jeu ! L'énergie ancestrale employée par Daímôn, ce basilic au corps façonné de flammes d'or, lui brisa la majorité des os, lui détruisit les membres, formant des angles impossibles. Fort heureusement, avec l'art pressant du dieu de la Médecine Asclépios – loué sois-tu à jamais ! –, la vie d'Arès n'est plus en danger. Si le fils d'Apollon ne s'était approché... Arès, Seigneur de la Guerre, ne serait probablement plus des nôtres en ce jour.

La faute m'accable tant. Bien que nous fussions toujours opposés par moultes animosités nées naguère, aujourd'hui immuables, Arès reste avant tout un membre de ma famille. In extenso, les inimitiés et les réprimandes partagées tacitement entre les dieux sont certes nombreuses, or nous possédons un devoir primordial, bien plus important que tout : nous protéger les uns les autres. Qu'importent toutes ces futilités et ces enfantillages : la famille est sans nul doute l'élément le plus important pour chaque entité, fût-elle immortelle ou non.

Aujourd'hui, Arès va bien mieux, à notre félicité ; son esprit demeure néanmoins entaché d'un sentiment qu'il n'avait pas connu par le passé, et qui semble le dévorer pareil à des nécrophages sur un corps putréfié : la peur.

À jamais me souviendrai-je de ce jour où Arès, dieu de la Guerre, succomba à la peur.


Ainsi, depuis l'« incident », tâche nous incombe d'enseigner à Daímôn la maîtrise de ses dons. Un exercice bien ardu, car nous ne pouvons nous illustrer comme les parfaits mentors d'un pouvoir dont la nature même et les subtilités nous sont foncièrement inconnues. Pis, ce pouvoir ne cesse de grandir que trop vite. Dans peu de temps, il deviendra plus incontrôlable encore.

Notre incompétence résulte, en outre, du fait que cette force ancestrale est bien plus antérieure à nous autres, dieux de la génération postérieure aux grands Titans. Un seul d'entre nous est à même de nous apporter des informations probantes, des éléments de clairvoyance, une entité contemporaine du Chaos ancestral : son troisième fils, Éros. Et celui-ci s'avoue pourtant dépassé par les événements.

Tὸ toũ drákontos krátos : la « Force », la « Gouvernance du Dragon », que nous baptisâmes le « Draconique ». Une appellation qui m'est inconnue, mais dont la simple évocation flatte mon esprit frénétiquement. Les dragons... Pour ma part, ce groupe de créature ne se regroupait en tout et pour tout qu'aux lézards géants, dépourvus d'ailes et cracheurs d'acide, un ridicule contingent de bêtes recouvertes et protégées d'écailles, sous la seigneurie des Bienheureux. Peu d'entre eux sont connus, et plus rares encore sont ceux qui furent spécifiquement nommés. Le plus célèbre reste sans doute Ladon, gardien d'or du jardin des Hespérides protégeant les pommes sacrées. Mes connaissances ne sont guère étendues. Et aujourd'hui, plus aucun de ces serpents n'est en vie, Ladon ayant succombé des millénaires naguère à une maladie foudroyante, contre laquelle nous ne pûmes rien.

Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant