Lorsque Psyché termina son récit, la nuit avait déjà bien débuté et la plupart des victuailles sur la table avaient été dévorées. Daímôn avait le ventre plein, comprenait enfin la rancune de Psyché à l'égard d'Aphrodite, ainsi que la raison des statuettes qui figuraient sur le bord du bassin – des éléments qui avaient aidé Psyché dans sa quête du grand amour perdu.
— Vois-tu, il faut toujours se méfier des dieux, continua la déesse de l'Âme. Aphrodite est jalouse et rancunière, la femme d'Hadès fourbe, car elle ne m'a aucunement confié une parcelle de sa beauté, mais bien un piège destiné à Aphrodite. Oh bien sûr, faute est mienne d'avoir ouvert le coffret, mais elle m'a également permis de retrouver Éros.
» Les récits de nos vies, comme celui-ci, ont toujours inspiré les mortels. L'écrivain Apulée conta mon histoire dans ses Métamorphoses. Les mortels ont toujours aimé écrire sur les dieux et narré leurs histoires, à notre grande aise. Ils définissent bien souvent les caractères des dieux, qui se veulent très proches des mortels, comme je te l'ai dit. De simples « hommes », sujets aux émotions positives et négatives, à ceci près pourvus de l'immortalité.
— Le plus important, c'est que nous vivions éternellement ensemble, fit Éros en saisissant la main de Psyché.
Celle-ci se pencha et l'embrassa. Daímôn vit l'amour inextinguible qui les unissait.
Cette fourberie des dieux apparente. Il repensa à Zeus, à cette journée, à ces combats aux côtés d'Athéna, aux événements lors du Conseil des Quatorze.
— Éros, pourquoi Zeus désire tant me tuer ? souffla tristement Daímôn. En quoi puis-je, ainsi amnésique, lui causer du tort ? Pourquoi me hait-il autant ?
— Grand-père a tout simplement peur, répondit calmement Cupidon. Son règne est pour lui le plus important, et ton pouvoir immense – certes endormi, mais puissant – serait à même de le détrôner. De plus, sans le vouloir, tu as réussi à le blesser, et ce devant tous les autres Olympiens – et même les Moires qui n'auraient jamais pu prophétiser tout cela. Tu lui as offert une amère et cuisante défaite, qu'il n'oubliera jamais. Cela n'était plus arrivé depuis... Je ne m'en souviens même pas. Zeus a goûté à ton pouvoir, pourtant si infime à ce moment-là. Il sait que tu es fort, et dangereux. Tu pourrais le tuer si facilement sans même le vouloir. Mais nous ne voulons pas que cela se produise, n'est-ce pas ? C'est pour cela que tu dois apprendre à maîtriser tes pouvoirs. Zeus a bien compris que tu n'étais pas un simple dieu, mais une créature beaucoup plus ancienne que lui. Tu es un Primordial, comme Éros, Gaïa, Nyx, Érèbe et Tartare. Tu es plus ancien que les Titans et les Géants, tous progénitures de la Terre. Tu fais partie des fruits des tout premiers enfantements, qui foulèrent et façonnèrent le monde que nous connaissons aujourd'hui, qui connut moult modelages à travers les générations.
— Comment peux-tu en être si sûr ?
— Grâce aux pouvoirs d'Éros. Je suis son messager, je suis lui. Nos facultés ne paraissent pas incroyables, mais nous pouvons ressentir tous les sentiments baignant dans l'atmosphère. Et nous savons que Zeus a peur de toi. Il est effrayé pour son trône, son monde perdu et sa famille. Il a peur de ta force et de ton identité. Et plus encore de la Grande Prophétie.
» Bientôt, nous les Primordiaux, seront rassemblés. Mais avant cela, nous devons demander audience auprès d'Hécate. Elle seule pourra nous indiquer la nature de tes pouvoirs qui remontent, comme notre père, au commencement de la vie.
— J'espère qu'elle pourra m'aider, sincèrement. Et bien que je ne puisse plus faire confiance aux dieux, si toi et Athéna croyez en elle, alors je vous suis.
Daímôn ne savait guère pourquoi il avait une confiance aveugle en Éros, qu'il n'avait rencontré que depuis quelques heures, mais le dieu ailé était le seul ici à lui procurer quiétude, tel un véritable frère ; Psyché était si aimable avec lui, telle une sœur ; Athéna était attentionnée et déterminée à le protéger, à l'instar d'une mère.
— Hécate pourra sûrement te faire découvrir de nouveaux pouvoirs, commenta Psyché. Elle ne refusera pas, ne serait-ce que par l'honneur que tu représentes, ou le défi. Et Hécate aime les défis !
Daímôn se demandait encore comment ses dons apparaîtraient. Il savait néanmoins une chose : ils s'activaient d'eux-mêmes dès lors que son instinct prenait le dessus sur sa volonté. Contre les damnés et les satyres aux côtés d'Athéna, contre Zeus dans le nexus et au Conseil. Oui, l'instinct de survie se gaussait de tous, et il survivait. Lui suffisait-il désormais d'avoir pleine conscience de ses facultés, de se concentrer dessus pour qu'elles se manifestent ? Mais où étaient-elles ? Il ne les sentait plus, comme ses souvenirs.
Éros avait suivi le flux de pensées de Daímôn. Il ne pouvait qu'en espérer une chose, lui aussi : Hécate t'aidera, et nous avancerons. Les réponses à nos questions découleront d'elles-mêmes.
— Bien, je crois qu'il est maintenant temps pour nous tous d'aller nous reposer, fit Cupidon. Une longue et dure journée nous attend demain.
— Je vais te préparer ta couche, dit Psyché en se levant.
— Je refuse que tu fasses tout, Psyché, intervint Daímôn.
— Allons, Daímôn ! C'est avec plaisir. Et ce sera rapide.
Pour illustrer ses propos, Psyché se dirigea vers le mur opposé à celui où se tenait devant le feu brûlant. Elle appuya sur le mur. Celui-ci s'ouvrit alors sur un rectangle de deux mètres de diamètre et tomba doucement sur le sol marbré. Daímôn découvrit un matelas, nu. Il resta subjugué devant le phénomène, qui bien qu'accompli par une déesse ne relevait pas d'une nature divine – il en était persuadé, tout comme il avait vu le bain fonctionner. Tandis que Psyché préparait son lit, Cupidon faisait disparaître tour à tour les plats vides de la table à l'aide de ses dons. Très vite, tout fut rangé, prêt et propre. Psyché souhaita alors une bonne nuit à Daímôn et lui baisa la joue.
— Repose-toi, mon frère, dit Cupidon. Ne laisse pas l'angoisse prendre le dessus sur tes rêves. Si Morphée est clément, tu ne seras pas assailli de cauchemars. Et tu sais ce que l'on dit : « La nuit porte conseil ».
Sur ce, Cupidon se dirigea vers le fond du naos où l'attendait Psyché, sa chambre, et tira un long rideau de soie taupe qui séparait ainsi la salle à vivre de la pièce à coucher. Daímôn retira son chiton et se coucha sur le matelas, sous un léger drap en lin blanc. Il ne faisait jamais froid sur le mont Olympe, été comme hiver, et le foyer de flammes réchauffait continuellement la pièce. Il croisa ses bras sous sa tête et observa le plafond. La journée défila lentement devant ses yeux.
Que la nuit me porte conseil, pria-t-il.
Puis, il ferma les yeux, se dorlota dans le moelleux des coussins et du matelas qui appelait au sommeil, et s'assoupit enfin.
Fin du chapitre 4
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Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
Fantasy« La vie d'un mortel est difficile ? Celle d'un dieu l'est infiniment plus ! » Lorsque les Bienheureux emportent la jeune sœur de Daímôn, son existence s'en retrouve chamboulée à jamais. Mais telle est la voie que le destin a choisie afin de l...