Elle se leva et déposa l'enfant qui gazouillait dans un panier en osier rempli de couvertures blanches et chaudes, non loin du feu. Elle caressa son petit visage mafflu, fit courir son doigt le long de son front et de son nez jusqu'à ce qu'il s'endormît, puis rapporta son attention sur le garçon.
— Crois-moi, nous aurons les réponses à toutes nos interrogations en temps voulu, selon la volonté des Bienheureux. Mais dans un premier temps, pardonne mon impolitesse. Nous ne nous sommes pas présentés. Comment te nommes-tu, mon ami ?
— Daímôn (Ω).
Un sourire passionné étira le faciès de la mère.
— Voilà un nom étrange et bien peu commun pour un mortel. Sais-tu qu'il signifie à la fois « divinité » et « démon » selon l'ancien adage de nos dieux ? Une dualité profonde, qui peut receler autant de secrets que de dilemmes.
Daímôn hocha la tête. La signification de son nom ne lui était pas inconnue : un prêtre et érudit du temple d'Athéna la lui avait expliquée des années auparavant au détour d'un sacrifice. Daímôn n'avait évidemment pas compris la raison pour laquelle ses parents l'avaient affublé d'un tel nom aussi alambiqué. Si encore avait-il pu leur poser la question...
— Eh bien, je suis heureuse de te connaître, Daímôn. Je me nomme Adrastéia. (Il la salua avec bienséance.) Mais dis-moi, mon ami, où sont tes parents ?
À nouveau, Daímôn ressassa des souvenirs douloureux, mais pourtant si détachés de lui-même. Il venait tout juste de perdre la dernière trace de toute famille qu'il eût jamais eue, en la personne de Callia, sa « petite sœur ».
— Je n'ai pas de parents, répondit-il sombrement. Je n'en ai jamais eu, en réalité. Je n'avais que la personne que j'ai toujours considérée comme ma grand-mère, ainsi que sa petite-fille, Callia, que j'ai été amené, au fil des ans, à adopter comme ma propre sœur. Mais elles ont, toutes les deux, disparu dans les tourbillons de la nuit de Lune Noire, deux ans auparavant et... pas plus tard qu'hier...
Sa voix mourut et devint imperceptible. Il se cloisonna longuement dans son chagrin, fixa le sol, essayant en vain de refouler les dernières larmes qui lui restaient.
— Mon brave ami... Je ne peux comprendre la douleur de la perte dont tu es accablé, même si j'ai, à l'instar de la grande majorité de nos confrères et consœurs de ce bourg, connu une peine similaire. Mon époux fut également emporté selon la volonté des dieux, un an plus tôt lors de la Lune Noire. Depuis, notre enfant est la dernière chose qu'il me reste et qui m'empêche de sombrer... (Un silence s'imposa, seulement trahi par les crépitements du bois.) Durant longtemps, j'ai cherché à comprendre les raisons d'un tel événement, de la tragédie qui nous dévore par la suite. Peut-être désires-tu également en connaître tous les secrets ?
— À dire vrai, je ne connais pas grand-chose, uniquement ce que j'ai entendu par inadvertance lorsque je mendiais ou volais pour nourrir Callia. Mais nos « confrères » et « consœurs », comme vous dites, baissaient immédiatement la voix en me voyant. Après tout, je devais bien avoir l'air d'un esclave pestiféré, mourant ainsi de froid et de faim !
Adrastéia nota bien l'animosité du jeune Daímôn à l'encontre de ses pairs.
— Tel que le disait mon époux : « Débonnaire n'est pas celui qui craint l'Infortune. » Les lois de nos dieux prônent pourtant la bienveillance et l'unicité... (Elle sembla ressasser des souvenirs personnels illustrant parfaitement ses propos.) Néanmoins, et uniquement si tu le désires, je peux t'expliquer et te narrer les textes qui se rapportent aux phénomènes de la Lune Noire.
Daímôn accepta. Si tant est qu'il ne pût jamais récupérer Callia, au moins aurait-il la « satisfaction » d'en connaître toutes les raisons. Il ne cessait de se triturer l'esprit de mille et une questions. Pourquoi les dieux ne s'étaient-ils guère montrés miséricordieux à son égard ? Que leur avait-il fait ? Le haïssaient-ils au point tel de le plonger dans la tourmente éternelle ? En tout cas, on lui avait ravi la dernière trace de famille, son existence, et tout ce qu'il parvenait à se demander maintenant était :Que vais-je devenir ? Il n'en avait aucune idée.
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Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
Fantasy« La vie d'un mortel est difficile ? Celle d'un dieu l'est infiniment plus ! » Lorsque les Bienheureux emportent la jeune sœur de Daímôn, son existence s'en retrouve chamboulée à jamais. Mais telle est la voie que le destin a choisie afin de l...