ΔΓΙ - Ἀπιστία (partie 8)

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Lorsque Daímôn reprit connaissance, il déchira les airs d'un terrifiant rugissement semblable à celui d'un dragon furieux. Ses crocs avaient de nouveau poussé, son corps était recouvert d'écailles bleues comme un saphir. Il tremblait plus violemment que jamais. Son esprit hurlait et ses yeux étaient complètement blancs.

— Daímôn ! l'appela une voix inquiète et familière.

Il lui fallut encore quelques secondes pour recouvrer la vue, tandis qu'il sentait qu'on le secouait en tous sens pour le sortir de sa folle torpeur.

Ses pupilles réapparurent, ses iris se recolorèrent de leur turquoise, et il vit Éros face à lui, le faciès tiraillé par la panique.

— Daímôn !

Il tourna la tête de tous côtés. Les montagnes, la nuit étoilée, l'odeur de la nature des mortels, ses deux dragons se posant brutalement sur le sol, dans le même état d'esprit qu'Éros.

Oui ! Il était revenu.

Son cœur cessa progressivement de battre la chamade et son corps de trémuler.

— Est-ce que ça va ? s'enquit Éros.

— Qu-que s'est-il passé ?

Cupidon analysa l'esprit de son frère mais ne vit rien d'autre qu'un brouillard noir impénétrable, comme précédemment.

— Tu étais... endormi. Tu tremblais. Et tout à coup, tu t'es réveillé en hurlant terriblement fort. Tes dragons sont immédiatement sortis de l'Omphalόs. Qu'y a-t-il ? Que s'est-il donc passé ?

Daímôn regarda ses deux dragons qui le fixaient, leurs queues fouettant inlassablement la brise qui s'était mise à souffler. Ils avaient ressenti la détresse de leur roi comme s'il s'était agi de la leur, mais surtout son effroi. Oui, Daímôn était complètement terrifié !

Cette voix si... terrible ! Il en tressaillit à se souvenir.

— Je ne sais pas. Je dormais, puis...

— Tu as fait un rêve ?

— Un cauchemar plutôt. C'était...

Il n'y avait guère besoin d'adjectif pour qualifier l'expérience. Cupidon le mira avec plus d'intensité encore et sentit l'angoisse le dévorer tels des charognards.

— Qu'as-tu vu ? insista-t-il avec un sérieux d'aucune commune mesure.

Pourquoi cela t'intéresse-t-il tant ? songea Daímôn. Ta voix... Tu étais dans mon rêve. Que caches-tu ?

— Rien du tout, fit-il mine. Juste... les ténèbres. J'étais comme perdu dans un monde qui absorbait toute forme de vie.

— Étrange... Cela ne ressemble absolument pas aux tourments que Morphée inflige lors des cycles de sommeil. Après tout, tu es un Primordial : il ne devrait guère avoir accès à ton esprit ainsi.

— Alors, d'où cela vient-il ?

De la voix féminine que j'ai ouïe, se dirent en même temps les deux frères. Mais ils ne pouvaient se l'avouer. La voix était comme un secret qu'il ne fallait dévoiler. Sans qu'elle n'eût besoin de l'imposer, ils s'assujettissaient à cette règle d'or intransgressible.

Daímôn entendit alors la pierre camouflant l'entrée de la caverne la plus proche rouler sur le côté, et les pas affolés de quatre paires de pieds différentes approcher. Il entendait étonnamment bien mieux dorénavant.

Mais je suis un demi-dragon, et mes sens sont beaucoup plus décuplés que ceux des hommes comme des dieux anthropomorphes.

Athéna semblait la plus inquiète de tous. Elle ne s'arrêta de courir avant de pouvoir jeter pleinement son regard pers, baigné de la lueur sélène de la nuit, dans les iris de Daímôn.

— Nous avons entendu hurler terriblement fort, lui dit-elle. Tes dragons ont appelé ? Que se passe-t-il ? Un ennemi ?

Daímôn essaya de feindre l'ignorance.

— Non, ce n'était pas eux, mais moi. Juste la conséquence d'un mauvais rêve. Je me suis réveillé en sursaut et le hurlement s'est échappé de ma gorge sans que je ne puisse le retenir. Je suis désolé.

— Es-tu sûr que tout va bien ?

— Oui, oui. Je te le promets.

Athéna le sonda du regard. Il lui dissimulait quelque chose, elle en était persuadée.

« Tu as vu ses yeux ? » dit-elle à Éros par télépathie.

« Évidemment. On ne peut pas les rater. Ses pupilles ne sont plus rondes mais fendues, comme celles des dragons et des serpents venimeux. »

— Je vous assure que je vais très bien, dit Daímôn en voyant Pandore, Héphaïstos, Athéna, Psyché et Éros le toiser avec autant d'intensité. Ne vous inquiétez pas ! Allez vous reposer.

Athéna ne le croyait pas, mais s'il ne voulait pas en parler, pas même à Éros, alors il était inutile d'insister.

— Très bien. Repose-toi aussi. Rappelle-toi que nous sommes là si tu as besoin de quoi que ce soit.

Daímôn opina du chef et leur dit qu'il voulait passer un peu de temps avec ses dragons avant d'essayer de dormir de nouveau sans cauchemarder. Ça lui semblait peine perdue... La voix l'avait dit... Toujours est-il que personne ne s'y opposa, non sans des milliers d'interrogations et de doutes qui leur brûlaient les lèvres. Ils rentrèrent dans la montagne afin de s'occuper de leurs affaires personnelles : se sustenter et dormir quelques heures avant que l'Aube ne s'échappât de ses draps de soie.

Le fils de Kháos se tourna vers ses deux dragons qui s'étaient couchés. Ils levèrent la tête et le regardèrent.

« Nous ne sommes pas dupes ! » dit un Phúlax coléreux.

« Tu as vu quelque chose dans ton cauchemar qui t'a terrifié, renchérit Pûr. Ne nous prends pas pour des idiots. Nous avons ressenti ta peur, l'avons partagée. Nous étions cependant incapables de venir à toi. »

Daímôn bougonna contre son don. Il était absolument fantastique d'être connecté en permanence avec ses dragons, mais parfois il regrettait de ne pouvoir s'offrir un moment de pleine solitude. Il ne pouvait décidément rien leur cacher, ce qui ne manquait guère d'accroître sa frustration.

« Je ne veux pas en parler. Pas tout de suite. Je dois essayer de comprendre moi-même tout ce que cela implique avant », leur dit-il simplement.

« Comme tu voudras, le réconforta Phúlax. Mais si tu as besoin, nous sommes là ! Ne l'oublie jamais. »

Daímôn leur sourit.

« Nous avons remarqué que tes yeux sont désormais comme les nôtres », s'exclama Pûr.

« Que veux-tu dire ? »

« Eh bien, tu n'as plus les pupilles rondes comme les dieux, mais comme les serpents et les dragons. Fendues verticalement. »

Mon apparence de demi-dragon prend donc de l'ampleur, pensa-t-il. Finirai-je par me transformer totalement en dragon ?

« J'ai envie de voler un peu, de profiter de la fraîcheur de la nuit », leur proposa-t-il.

Les Dragons furent plus que ravis d'assouvir son désir. Daímôn grimpa alors sur le dos de Phúlax, attisant la jalousie de Pûr. Ils s'envolèrent tous les trois, observèrent de plus près les étoiles et la lune baignant le monde de sa lueur bienveillante, qui laisserait bientôt place au jour et au soleil qu'Hélios tirerait...

... et à une légion d'ennemis !


Fin du chapitre 16

Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant