ΔΙΙΙ - Δύο δράκοντες (partie 1)

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Prétendre que fuir de la citadelle de Borée et de ses garnisons avait été laborieux relevait de l'euphémisme lamentable. La mort manqua de faucher les quatre fugitifs par de bien nombreux moments ; car à peine quelques secondes se furent écoulées après que Phúlax eut pris son envol, la cacophonie générale envahit le ciel drapé de nuages floconneux. Les flèches fusèrent de toutes parts, tout comme les carreaux, et le reptile tournoya tellement sur lui-même que Cupidon chut par-dessus bord, entraînant presque Athéna avec lui. Daímôn commanda à Phúlax de piquer pour porter secours au bébé-dieu qui, malgré ses ailes, dégringolait à pleine vitesse, fouetté et balloté par les vents comme une vulgaire plume. Le roi des Dragons parvint à attraper Éros de justesse par la main et le hissa derechef sur le dos de Phúlax en le tenant bien serré contre son torse, au point de l'étouffer. Phúlax remonta comme une furie dans le ciel.

Ce fut sans compter les colosses de glace qui les criblèrent de stalactites mortelles. Par la bonne fortune, et surtout grâce à la vivacité indiscutable du Dragon, les fugitifs parvinrent à esquiver chaque projectile, aussi gros que des menhirs. L'un d'eux les aurait sûrement atteints si Daímôn n'avait pas déchargé une boule de flammes sur lui. Enhardi par son coup, le fils de Kháos tenta de frapper les monstres de glace de plein fouet ; mais épuisé et souffrant d'une sévère carence en énergie, les flammes se consumèrent à peine échapper de ses doigts.

Notant l'éreintement de son jumeau, le Dragon bleu décupla alors sa vitesse, puisa dans ses dernières forces pour s'éloigner le plus rapidement possible de la citadelle et du dieu déjanté qui y régnait. Il entendit encore les cris de colère des soldats avides de sang et des colosses... et tout se tut.

Durant un long moment, les trois anthropomorphes ne pipèrent mot, laissèrent l'air glacial caresser leur peau et les rasséréner quelque peu.

— Je ne savais les Hyperboréens si prompts à la guerre, commenta Éros.

— Moi non plus, fit Athéna. Ils ont été pervertis par Borée et ses enfants. Le froid, sans doute.

— Qui sont les Hyperboréens ? s'enquit Daímôn.

Athéna lui expliqua alors qu'aux origines, ce peuple vivait bien « au-delà du souffle de Borée », le Vent du Nord. De là était né leur nom. Pacifiques, toujours embaumés de la félicité et de la chaleur omniprésente de l'Hélios lointain, les Hyperboréens vivaient reclus de tous. Les dieux avaient fini par nommer leur pays « Utopie », car là-bas, le sol produisait deux récoltes en toute année. Les Hyperboréens possédaient les plus belles mœurs et vivaient toujours en plein air. Leur pays tout entier était recouvert de champs et de bois sacrés, que les dieux aimaient à visiter. Jouissant d'une vie plus longue que n'importe quel mortel, seule la mort heureuse venait cueillir les vieillards qui avaient suffisamment profité du monde : ils se jetaient alors du haut d'une falaise pour s'offrir aux bras bienveillants de la mer, la tête couronnée de fleurs. Athéna se souvenait précisément de ce rite mortuaire.

Apollon, comme beaucoup d'autres divinités, avait bien souvent visité le pays des Hyperboréens. Jeune, le dieu de la Lumière y avait fait escale alors qu'il se rendait à Delphes par ordre de son père. Apollon s'y était tant plu que chaque dix-neuf années écoulées, lorsque les astres avaient accompli leur révolution complète, il y retournait afin de se complaire dans la félicité des Hyperboréens.

— Ce pays semble absolument incroyable ! commenta Daímôn.

Phúlax était on ne peut plus d'accord.

— Il l'était, mais il n'est plus, soupira Athéna. Des siècles jadis, Borée s'est mis à souffler bien au-delà du premier point où il avait élu refuge. Son froid l'accompagne toujours et a totalement envahi le pays d'Utopie. Aujourd'hui, Hélios n'y brille plus, les terres ne sont plus cultivables, et la villégiature des dieux n'en est plus une. Les Hyperboréens ont fini par suivre Borée jusqu'en Arctique, où il fit d'eux sa garde personnelle. Ils sont adaptables, alors ils surent s'accommoder à l'aquilon ; mais ils ne profitent ni du bonheur éternel ni de la longue vie. Nous ne devrions même plus les nommer « Hyperboréens » mais simplement « Boréens ».

— Les dieux n'ont jamais puni Borée pour avoir ainsi envahi Utopie ? s'enquit Daímôn en fronçant les sourcils de dépit.

— Jamais. Zeus a dû accepter cette transition, car Borée a perdu une part importante de son territoire primaire à cause du réchauffement climatique que subit le monde. Afin de ne pas le perdre, Zeus l'a laissé envahir le monde des Hyperboréens, car ceux-ci, contrairement à l'Aquilon, ne sont pas indispensables.

Un nouveau silence s'installa.

— Comment ai-je pu arriver ici sans même m'en rendre compte et sans en garder souvenir ? s'enquit alors Éros en fronçant les sourcils.

Daímôn lui narra tout ce qui s'était passé depuis cette fameuse nuit où Apollon avait attenté à sa vie. Il n'omit aucun détail, sentit sa voix défaillir au moment où il évoqua l'intervention de son frère pour le protéger. Cupidon chercha par tous les moyens à se souvenir de cet événement, mais il n'y parvint pas.

— Je vois..., fut tout ce qu'il finit par répondre.

Et le silence s'imposa derechef.


(suite du chapitre 13 en suivant...)

Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant