La veille, après que Daímôn et Éros s'en furent allés chez ce dernier, Athéna était retournée dans son propre foyer. Elle avait longuement hésité à se perdre en plein cœur de l'Acropole d'Athènes, là où nul mortel ne pourrait la voir, mais avait finalement décidé de jouir de la tranquillité de son chez-soi divin.
Sa demeure était magnifique, un édifice tout en marbre, à l'instar des autres architectures du mont Olympe, mais dont elle avait elle-même dessiné les plans et suivi la construction étape par étape. Il ressemblait, vu de l'extérieur, beaucoup au Parthénon, avec ses huit colonnes de face et ses dix-huit latérales, mais intégralement fermé et recouvert d'un dôme ellipsoïdal doré. L'intérieur était incroyablement vaste et comportait quatre pièces disparates : une chambre à coucher, une salle d'eau, une salle d'entraînement remplie d'armes et de mannequins de bois, et un immense salon où brûlait le feu bienveillant de la déesse du Foyer, Hestia.
Se rendant directement dans sa chambre, Athéna s'était défaite de ses armes, de son armure et de son casque, ne gardant que son léger chiton sur les épaules.
La chambre était parsemée de tableaux mouvants figurant une multitude de merveilles architecturales édifiées par les mortels : la Tour Eiffel, le Big Ben, la Sagrada Família, le Tāj Mahal, entre autres. Les images changeaient toutes les dix secondes, tandis que certaines duraient plus longuement dès lors qu'elles étaient en lien avec un monument grec. L'Érechthéion, lieu emblématique sur l'Acropole et cher à l'Olympienne de par son histoire, demeurait en tout temps sur le mur du fond à côté d'autres temples orientaux et hellènes.
Athéna, déesse de l'Architecture, supervisait de loin toutes les constructions des mortels depuis la nuit des temps. Aujourd'hui, leur technologie et leur savoir-faire avaient grandement évolué ; leurs machines leur permettaient désormais de construire de titanesques monuments en un temps record. Et ils n'étaient jamais à court d'idées révolutionnaires ! Elle suivait actuellement le chantier de la plus grande tour américaine, se demandant quand elle devrait intervenir pour les aider – mais ils semblaient bien se débrouiller seuls.
Elle se remémorait l'ancien temps, où tout prenait un délai nettement plus colossal. Mais surtout, elle se rappelait le plus grand architecte qu'elle avait connu, en la personne de Dédale.
Ce mortel au génie incroyable – qu'on aurait volontiers pu considérer comme son fils légitime si elle n'avait fait vœu de chasteté éternelle – était le créateur du Labyrinthe, une construction si monumentale qu'il était parfaitement impossible de s'y retrouver sans en connaître les plans dans les moindres détails. Seul un mortel avait réussi à s'en échapper : le héros Thésée. Une fois que la construction fut terminée, le roi Minos y enferma le Minotaure. Puis, pour avoir favorisé l'amour d'Ariane et de Thésée, le tueur du Minotaure, et avoir trahi son souverain, Dédale et son fils Icare y furent à leur tour emprisonnés jusqu'à la mort. Mais le génie de l'architecte lui fit créer des ailes qu'il colla avec de la cire aux épaules d'Icare. Ils purent ainsi s'échapper du Labyrinthe. Et seul Dédale parvint à Cumes, la petite cité italienne.
Délaissant les souvenirs de ce cher mortel, Athéna s'était jetée sur son lit. Le moelleux incitait même les esprits les plus insomniaques au repos ; mais Athéna songeait sans cesse à son protégé, Daímôn, l'empêchant de dormir. Ces pouvoirs... Qu'adviendrait-il lorsqu'il les comprendrait, et surtout les maîtriserait ? Elle faisait néanmoins confiance à Éros, fils de Chaos, pour le canaliser.
Pour se changer les idées, la fille de Zeus s'était échappée du lit pour se pencher sur une longue table dans le coin gauche de la chambre. Sur celle-ci, étaient déroulés sept plans griffonnés par ses bons soins. Elle travaillait depuis quelques semaines sur la reconstruction des sept merveilles du monde, qu'elle offrirait aux mortels pour redorer l'Âge des Anciens. Les schémas du phare d'Alexandrie, du temple d'Artémis autrefois situé à Éphèse, ainsi que celui des jardins suspendus de Babylone, étaient terminés. Le mausolée d'Halicarnasse le serait bientôt, après une dizaine de détails supplémentaires. Seuls le colosse de Rhodes et la statue chryséléphantine de Zeus à Olympie lui posaient de gros problèmes de gestion, mais aussi de souvenir. Elle avait beau se référer aux ouvrages d'auteurs anciens en ayant fait une description, elle ne parvenait toujours pas à leur réattribuer toute leur majesté. Athéna avait même pensé faire appel à l'esprit du bienheureux Phidias qui avait construit la statue de Zeus en 436 avant cette ère, ainsi que l'Athéna Parthénos environ deux ans plus tôt – de vrais trésors de sculpture ! –, pour l'aider à reconstruire les deux effigies, mais Hadès lui avait assuré que le sculpteur renommé avait sans nul doute perdu la mémoire, à l'instar de tous les esprits peuplant les champs Élysées. Au moins, elle n'avait pas à travailler sur la pyramide de Khéops, la dernière des sept merveilles ayant survécu au feu, au tremblement de terre ou aux vicissitudes du temps et de la guerre.

VOUS LISEZ
Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
Fantasy« La vie d'un mortel est difficile ? Celle d'un dieu l'est infiniment plus ! » Lorsque les Bienheureux emportent la jeune sœur de Daímôn, son existence s'en retrouve chamboulée à jamais. Mais telle est la voie que le destin a choisie afin de l...