ΔΓΙ - Ἀπιστία (partie 3)

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Aphrodite et Athéna s'étaient toutes deux retirées dans la chambre de cette dernière, laissant Éros et Psyché profiter pleinement de leurs retrouvailles, tandis que Pandore et son père s'occupaient à leurs mystères dans la forge. Elles s'engouffrèrent dans une pièce plus large où il faisait moins chaud – une aubaine pour elles. Elles ne détestaient pas la chaleur, bien au contraire, mais celle dégagée par la montagne normalement endormie les indisposait rapidement, et devenait même détestable.

— Le doute m'assaille quant à cette expédition qui s'annonce plus dangereuse encore que tout le reste, avoua Athéna après s'être assise sur son lit.

— Toute cette quête est dangereuse, répliqua Aphrodite. Et ce sera pire une fois que Daímôn aura recouvré ses pouvoirs et se lancera à la rencontre de ses frères et sœurs, les Primordiaux.

Les Primordiaux, se répéta Athéna. Quels êtres étranges, tous différents les uns des autres, plus encore que les Olympiens entre eux.

Elle n'en avait côtoyé longuement que deux, Éros et Drákôn ; les autres lui laissaient des souvenirs amers : Gaïa tentant de renverser par trois fois Zeus, Érèbe les trahissant lors de la Titanomachie, la guerre la plus périlleuse que son père lui avait contée63.

Une terrible idée émergea soudain dans son esprit.

— Je crois que les Primordiaux sont responsables de la disparition de Daímôn, mais surtout de la Drakonomakhía, dit-elle doucement.

— Que veux-tu dire ?

—Tu penses que j'affabule, n'est-ce pas ? (Aphrodite resta de marbre, corroborant ainsi les propos d'Athéna.) Eh bien, réfléchis : qui serait assez puissant pour anéantir un membre de cette race ? Les dieux et les Titans ne le sont pas, c'est certain !

— Et s'ils avaient attaqué en groupes ? S'ils avaient déchaîné leur pouvoir contre lui pour l'anéantir, comme nous les dieux l'avons fait contre les Géants aux côtés des demi-dieux64 ou, quand tu n'étais pas encore née, lorsque nous avons affronté les Titans ?

— Je ne pense pas que Kháos nous aurait laissés le champ libre sans réagir. Seuls ses enfants directs auraient pu le berner. Seulement, pourquoi ? Tel est le mystère. Hum... La peur...

— « La peur » ? De quoi les Primordiaux pourraient avoir peur ?

— Pas de quoi, mais de qui, précisément ! Et tu connais la réponse.

— Daímôn..., murmura Aphrodite.

Athéna hocha gravement la tête.

— Oui, Drákôn, leur dieu des Dragons, bien sûr. Il était plus puissant qu'eux, le plus jeune, peut-être même le favori de Kháos, voire le plus intrépide et le plus ambitieux. La jalousie s'ajoute en sus à la peur. L'élimination restait alors le dernier recours, car l'emprisonnement n'aurait jamais perduré.

— Tu es en train d'accuser mon fils d'avoir fomenté la fin de Daímôn ?

La fille d'Ouranos la tança d'un regard noir.

— Pas ton fils, enchaîna Athéna. Mais Éros, le Primordial. Je ne peux malheureusement affirmer ou infirmer mes propos : c'est bien trop dangereux.

— Alors je te conseille de garder tout cela pour toi. Je ne voudrais pas qu'il t'arrive malheur, Athéna.

Aphrodite avait raison, et Athéna le savait fort bien. Elle devait taire tous ses doutes, mais toutes ces questions-là chamboulaient son être : la Sagesse exigeait toujours la vérité irréfragable.

— Je suis également inquiète pour Hécate, compléta Athéna. Personne ne l'a vue ici depuis un bon moment. Trop longtemps même.

— Cela fait plusieurs jours qu'elle ne s'est pas rendue sur l'Olympe, indiqua Aphrodite. Je ne l'y ai ni vue ni sentie depuis qu'elle a fui avec Daímôn.

— Impossible. Pandore m'a affirmée qu'elle s'était rendue sur l'Olympe après notre départ pour l'Arctique...

— Il lui est arrivé quelque chose. Sur le mont Olympe ou avant de l'atteindre...

— Où est-elle ?

— J'enquêterai sur son cas en même temps, si tu me le demandes. Mais je ne comprends pas comment vous pouvez lui faire aussi aveuglément confiance. C'est une fille de Titans, nos ennemis !

— Dois-je te rappeler que tu es leur sœur ?

— Oui, mais je suis une Olympienne. Hécate n'est qu'une déesse mineure ancienne parmi tant d'autres, et qui me semble bien obsolète aujourd'hui dans la mécanique du monde. Elle en garde une amertume muette et profonde. Elle en veut aux dieux.

— Elle ne nous trahira jamais.

— Le proverbe n'affirme-t-il pas : « Il ne faut jamais dire jamais » ? Une expression empreinte de sagesse !

Les yeux d'Aphrodite brillèrent. Athéna maugréa : elle n'aimait guère les moqueries de ce genre.

— Indéniablement, mais elle le fait pour Daímôn et Éros, rétorqua-t-elle plutôt. Elle les apprécie énormément, phénomène pour le moins bien rare. Elle a toujours été seule, coupée des autres, rejetée par le monde. Depuis que je me suis lancée dans cette quête, c'est la seule, avec Éros, à ne guère m'avoir rejetée, à avoir toujours cru en ma clairvoyance, surtout dans les moments de doute, alors que les dieux n'ont fait que m'ignorer, comme si j'étais la plus laide des mortelles. Et c'est pour cela que je lui fais entièrement confiance, plus qu'en les Olympiens. Elle est d'une loyauté et d'une franchise sans pareilles, envers Daímôn, envers Éros, envers moi ! Je ne peux malheureusement en dire autant des Olympiens qui m'ont éhontément trahie... (Athéna se tut, évalua l'expression sur le visage de sa consœur.) Tu offres ta confiance à Daímôn, pourtant indompté, foncièrement inconnu des dieux. Mais tu n'as pas peur de lui.

Aphrodite tiqua.

— Je n'ai ni totalement confiance en Daímôn, ni peur d'Hécate ! Je n'arrive tout simplement pas à la cerner, en dépit de nos millénaires de coexistence. Tu me demandes de la retrouver, et je le ferai. Je ne trahis jamais une promesse.

Athéna lut la sincérité dans le regard de l'Olympienne. Celle-ci détourna alors la conversation :

— J'y pense. Tu as dit que tu avais un plan pour que Poséidon accepte de soutenir Daímôn.

La déesse de la Sagesse lui révéla son stratagème, qui plus fortement à Aphrodite.

Tant de problèmes soulevés par la rancœur et les aléas de l'amour en perspective !

Les immortelles se souhaitèrent par la suite mutuellement bonne chance et prirent congé.

Athéna se coucha sur le matelas de fortune placé dans le coin de la pièce et ferma les yeux, remettant de l'ordre dans ses idées, tandis qu'Aphrodite rejoignait son fils.


(suite du chapitre 16 en suivant...)

Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant