ΔΓΙ - Ἀπιστία (partie 5)

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Aphrodite se trouvait désormais dans la chambre de son fils et de sa belle-fille. Éros était couché sur un matelas accroché au mur à l'horizontale, Psyché dans ses bras, dégustant, tous deux, nectar dans des calices en verre et ambroisie sous forme de petits biscuits sablés. Volupté n'était toujours pas venue rejoindre ses parents. Tant mieux, Aphrodite préférait ne pas avoir la famille au grand complet pour l'heure.

Elle se posa délicatement sur le matelas mou, sans se soucier de la gêne que sa présence pouvait prodiguer à Psyché.

Éros ne la chassa pas pour autant, la regarda droit dans les yeux et lui dit :

— Tu es soucieuse, Mère.

— Pardon, tesoro. C'est toute cette histoire avec Daímôn. Mes nerfs sont un peu à fleur de peau depuis quelques jours.

— Est-ce seulement à cause de Daímôn ?

L'Olympienne sourit. Elle oubliait parfois que Cupidon était aussi Éros, le Père des Sentiments. Nul ne pouvait lui dissimuler quoi que ce fût.

— Héphaïstos également, avoua-t-elle à mi-voix.

Elle détestait l'admettre.

— Tu es préoccupée par le dieu de la Forge ? Voilà qui ne te ressemble guère, la taquina-t-il.

— C'est mon mari, après tout. Pour le meilleur, comme pour le pire...

— Surtout pour le pire, commenta Éros en riant.

Aphrodite sourit doucement à la pique de son fils, tandis que Psyché lui infligeait un coup de coude douloureux dans les côtes qui le fit pouffer.

— Outre toi et Pandore, cela concerne ton frère. Héphaïstos pense que nous pouvons lui faire confiance, tandis que moi... (Elle se tut un instant, comme pesant la valeur de ses propos.) C'est un Primordial, après tout.

La réponse d'Éros ne se fit pas attendre.

— J'en suis un aussi, fille d'Ouranos.

Aphrodite se rembrunit au ton qu'avait pris l'enveloppe corporelle de son fils.

— Oui, mais tu vis depuis plus longtemps que lui aux côtés des dieux, et tu profites du corps d'un enfant d'Olympiens. Daímôn, lui, souffre d'une profonde amnésie, a failli tuer Arès et Apollon, même Zeus ! à cause de celle-ci. Il est instable, sauvage, forcément menaçant. Et tu le sais !

Éros ne répondit pas. L'Olympienne avait raison : par de nombreuses fois, lui-même avait observé la menace grandissante que représentait le pouvoir de son frère, jumelée à cette perte de mémoire, notamment contre Mars. De plus, il s'était passé quelque chose en Arctique que Daímôn comme Athéna s'échinaient à occulter. Le dieu des Sentiments l'avait senti ; or il n'avait guère réussi à percer le bouclier jusqu'à la vérité.

— Et que proposes-tu comme alternative afin de contrôler son pouvoir, si tant est que cela soit possible ?

— Le surveiller. Que faire d'autre ? Mais comprends-tu que ceci est crucial ?

— Aphrodite a raison, appuya Psyché. En outre, je crois que tu es le seul à pouvoir le faire. Athéna pense qu'elle peut réussir, mais nous savons tous que la Sagesse souffre d'une trop grande confiance en elle-même. Souviens-toi de l'état dans lequel Daímôn a plongé Arès et Apollon : Athéna n'aurait strictement aucune chance de l'arrêter sans perdre la vie.

— Écoute ton épouse.

Éros, pris entre les feux de deux des femmes les plus importantes de sa vie, ne pouvait évidemment refuser. Mais il était déjà convaincu avant même que Psyché n'enrichît la plaidoirie d'Aphrodite.

— Fort bien, je m'y attèlerai. J'aimerais par ailleurs que vous trouviez Hécate. Je suis très inquiet !

— J'en ai déjà fait la promesse à Athéna, fit Aphrodite.

— Ramène-la parmi nous. Elle est importante dans cette quête. Rien ne peut se faire sans la Maîtresse des Carrefours. Elle peut nous aider à canaliser les pouvoirs de Daímôn. Il faut qu'elle soit avec nous. Je sens son énergie, mais elle est très faible, et fort éloignée de l'Olympe. Pis, je n'arrive pas à la localiser avec précision.

— Ne te préoccupe pas de cela. Concentre-toi sur Daímôn. Nous la trouverons, promit Psyché.

Eucharist.

— Sois prudent lorsque tu te rendras auprès de Poséidon, le mit en garde Aphrodite. Ce ne sera guère de tout repos.

— Je n'en doute pas, répondit-il. Je devrais aller trouver Daímôn, afin de m'assurer qu'il a pleinement pris compte des dangers qu'il encourt à vouloir se rendre immédiatement auprès de Poséidon.

— Je t'attendrai ici, dit Psyché.

Son époux l'embrassa, se leva du lit et s'envola vers la sortie. Aphrodite l'interpella avant qu'il ne disparût.

— Je viendrai chaque jour ici, afin de savoir si vous êtes revenus sains et saufs.

— Ne prends pas cette peine, Mère. Tu le sentiras lorsque notre nouvelle tâche aura été accomplie. En attendant ce jour, évite d'affronter Héphaïstos. Tu ne ferais que gâcher du temps et de l'énergie pour des futilités.

Il sortit sans un mot de plus, tandis qu'Aphrodite se dématérialisait dans une pluie d'étincelles bigarrées, laissant Psyché seule.

Le dieu des Sentiments chercha l'énergie unique de son frère et la détecta dehors, sur le flanc de la colline la plus proche. Il emprunta l'une des nombreuses sorties camouflées en appuyant sur un énorme bouton en forme de main. La roche roula silencieusement, laissant l'air frais de la nuit caresser sa peau.

Il trouva finalement Daímôn, couché dans l'herbe, la main à proximité du pommeau de son épée.

— Toujours prudent à ce que je vois, dit-il.

Aucune réaction de son frère.

Il s'approcha davantage et l'appela plusieurs fois. Toujours aucune réaction... Il se posa alors près de lui et écarquilla les yeux : Daímôn tremblait violemment, comme pris de spasmes, les yeux fermés. Sa bouche se tordait en un rictus de souffrance. Cupidon lui toucha le bras et fut violemment projeté en arrière par une vague d'énergie noire. Il se releva et sonda l'esprit de son frère. Il ne réussit qu'à se perdre dans un océan de noirceur totale que même une déité psychopompe n'aurait pu percer.

— Par tous les dieux, souffla-t-il pour lui-même.

Il rêve, l'interpella une voix derrière lui. Le cauchemar est souffrance, mais la vérité irréfragable éclot toujours en son sein.

Éros fit subitement volte-face ! Il ne vit personne...

— Qui es-tu ? appela-t-il.

Il connaissait cette voix, archaïque, usée par le temps, mais tout aussi omnipotente. Elle ne répondit pas.

Le dieu se tourna de nouveau vers son frère, poings serrés : il ne pouvait rien faire, ni même l'approcher sans recevoir une nouvelle décharge d'énergie négative.

« La vérité irréfragable éclot toujours en son sein » ? se répéta-t-il. Non, pas maintenant !


(suite du chapitre 16 en suivant...)

Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant