Pandore courut immédiatement se cacher derrière le mur le plus proche ; elle tremblait comme une feuille. Les deux divinités ne bougeaient pas d'un pouce. Voilà bien des lustres qu'une terreur irrationnelle comme celle-ci n'avait guère éclos en eux. Pourtant, au-delà de leur certaine paralysie, elles semblaient prêtes à se protéger : Héphaïstos serrait fermement son marteau tandis qu'Hécate concentrait les flux de sa magie au bout de ses doigts d'où s'échappait une très légère vapeur verte et sombre.
L'on sentait néanmoins plus intensément la panique de la déesse de la Magie. Contrairement à elle, ce n'était pas la première fois qu'Héphaïstos voyait un Dragon Primordial – cela dit, jamais d'aussi près. Certes fugace, la merveilleuse vision s'était à jamais imprégnée dans sa mémoire, au cœur d'un des événements dont il était le plus fier, fruit de sa vengeance.
Lorsqu'Hélios le Soleil était venu lui dévoiler l'incartade de sa femme Aphrodite avec Arès, Héphaïstos s'était trituré l'esprit à façonner un piège pour enfermer les deux amants devant tous les dieux de l'Olympe. L'idée l'avait aussitôt effleurée dès lors qu'il avait croisé le regard comme toujours dédaigneux et dégoûté de sa mère Héra. Il avait mis au point un nouveau filet invisible et incassable. Lors de sa construction, le dieu de la Forge avait soudainement vu une immense créature ailée traverser les cieux, non loin de Thasos. C'était un Dragon Primordial, fils de Kháos, qui bien qu'élevé, mêlé aux nuages, lui avait semblé comme la plus magnifique des créatures de ce monde, ces écailles de rubis brillantes à la lueur du soleil.
Cette majesté était encore plus grande de près. Prudent avant tout pour sa fille, Héphaïstos n'exprimait nulle hostilité au Dragon, ayant simplement saisi son marteau par réflexe.
Hécate, elle, grelottait, comme pétrifiée sous le regard inquisiteur de la créature. Elle sentit soudain l'énergie magique contenue dans ses doigts décroître inlassablement. Quelque chose s'était introduit en elle, brisant toutes ses défenses, l'intimant à ne plus bouger. Elle comprit que c'était là l'initiative du Dragon. Elle avait connu des dragons, à l'instar de tous les dieux : le doré Ladon, les serpents d'Arès, même la grande Python. Mais contrairement aux progénitures de Kháos, la plupart étaient sous le joug des dieux, ou annihilables. Or, les Dragons Primordiaux n'étaient certainement pas à leur solde, uniquement sous le contrôle de leur roi, et semblaient bien capable de faucher un corps en deux d'un simple coup d'aile membraneuse, même divin. Bien qu'il leur échût de les protéger, suffisait-il simplement que la volonté de leur maître fût de tuer les dieux pour qu'ils cédassent à la violence, sans se poser de question, fidèles avant tout ? Et Hécate n'avait pas la moindre idée de ce que pouvait être la volonté de Daímôn en cet instant !
Aucune frayeur n'émanait de lui, uniquement une joie incoercible. Sa créature lui avait tant manqué ! Les souvenirs aux côtés de la bête émergeaient de nouveau, embaumaient la souffrance due au manque qu'il ressentait depuis que ses origines primordiales et ses pouvoirs lui avaient été révélés. La Lame du Dragon, Díkê, continuait d'insinuer en lui de nouveaux souvenirs : il maniait l'épée sur le dos de son dragon dans des combats aériens fulgurants, au cœur des torrents de flammes qui s'échappaient de la gorge de sa monture. S'il se concentrait, il parvenait même à sentir les gifles du vent alors qu'il filait vélocement.
Il s'approcha de la gueule de la créature. Celle-ci tendit instantanément son cou vers lui, ce qui libéra Hécate de l'oppression spirituelle. La tête triangulaire de l'animal affichait comme un sourire, mâchoires et muscles étirés sur toute leur longueur, dévoilant des crocs effilés aussi blancs que la neige.
— Tu m'as tellement manqué ! fit Daímôn en se collant au Dragon.
« Ton bonheur ne peut être plus grand que le mien, Drákôn ! » répondit la bête par télépathie – seul Daímôn, selon sa volonté, put l'entendre.
VOUS LISEZ
Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
Fantasy« La vie d'un mortel est difficile ? Celle d'un dieu l'est infiniment plus ! » Lorsque les Bienheureux emportent la jeune sœur de Daímôn, son existence s'en retrouve chamboulée à jamais. Mais telle est la voie que le destin a choisie afin de l...