À quelque deux cents mètres à l'est, Athéna et Cupidon observaient Daímôn se battre avec ardeur pour garder son équilibre sur le Dragon du Feu. Celui-ci ne cessait de tourner sur lui-même, dans l'espoir que son assaillant chût. Plus d'une fois, Daímôn se rattrapa in extremis.
Éros serrait les dents et Athéna priait la déesse de la Victoire.
— Courage, mon frère ! fit le Primordial.
— Il y arrivera, le rassura Athéna. Il est fort et déterminé, et Phúlax ne le laissera guère seul dans ce combat. La victoire sera nôtre et nous pourrons rentrer sains et saufs auprès de nos alliés.
— Mais que cherchent-ils à faire ? As-tu la moindre idée de la raison pour laquelle Daímôn a subitement grimpé sur Pûr ?
— Je pense que c'est en rapport avec Díkê. As-tu remarqué que lorsque la lame a entaillé la chair de Pûr, une sorte de volute noirâtre s'est échappé de lui ? J'ose croire que cet amas de ténèbres est l'instigateur de la folie qui afflige notre ennemi.
— Après tout, tu es la déesse de la Sagesse, et ton instinct ne te trompe jamais.
Si seulement..., se dit-elle avec mélancolie.
Elle avait espéré que ses frères et sœurs, parents et amis, seraient revenus sur leur décision commune. L'assurance dont elle était généralement pourvue lui avait juré qu'ils ne considéreraient plus Daímôn comme un ennemi mais un précieux allié, porteur d'espoir et de pérennité. Et pourtant, ils avaient voté pour l'exécution du fils de Kháos, sans même s'attendre à des représailles de quiconque.
Qu'ai-je été stupide ! se gronda-t-elle. Ta famille est stupide ! L'extinction de notre éternelle existence sera notre seule destinée si la peur substitue notre raison !
— Comment pouvons-nous en cet instant être si faibles et inutiles ?! vociféra Cupidon, ce qui sortit la déesse de ses pensées. Nous sommes autant incapables de cesser cette folie que les mortels !
Son bras embrassa les colonnes de lave qui détruisaient peu à peu la plage.
— Nous ne pouvons rien contre le destin, fit Athéna posément. Il n'y a que Daímôn qui puisse arrêter Pûr et les Dragons.
— Et si ce n'étaient que mensonges ? Et si nous pouvions tous faire quelque chose ? Chacun possède son libre arbitre ! Et si les Primordiaux ne possédaient guère de destin à proprement parler ? Nous sommes antérieurs aux Parques, après tout.
Athéna ne répondit pas. Éros n'avait peut-être pas tort ; pourtant, les Moires avaient retracé le fil de la vie de Daímôn lors de sa première rencontre avec le Dôdekátheon, mais elles avaient mis en évidence l'impossibilité de le couper et sa longueur incroyable. Peut-être alors que les Primordiaux ne répondaient pas aux règles du destin61. Pourquoi n'en seraient-ils pas de même pour les dieux antérieurs aux Moires ?
— Peut-être as-tu raison, dit-elle. Mais l'évidence est là : nous ne pouvons rien faire contre une force comme celle de Pûr, du moins non sans gêner Daímôn.
Cupidon grommela de plus belle et porta de nouveau son attention sur le combat tendu entre le maître et son dragon. Le Primordial n'arriverait jamais à le vaincre seul, et Athéna et Éros ne pouvaient faucher le monstre de feu avec leurs flèches déflagrantes sans certainement blesser Daímôn par la même occasion. Ne restait donc plus que Phúlax, mais celui-ci demeurait sonné par le coup de Pûr, le rendant incapable de se battre.
Phúlax, aide-le !
La prière de Cupidon se dissipa dans l'air carbonisé. Il espéra simplement avoir été entendu.
Φ
Daímôn se morigéna une nouvelle fois. Il avait encore fait preuve de négligence et manqué de lâcher prise. Le Dragon rouge ne cessait de tournoyer sur lui-même, de plus en plus vite, entre rugissements et tentatives de morsure. Daímôn souffrait de trouver des prises solides et un moyen d'atteindre le cœur. Comme s'il était au fait de mon but !maugréa-t-il. De plus, Díkê l'encombrait plus que tout, mais sans sa lame, son entreprise était vouée à l'échec.
Agacé des initiatives de Pûr, Daímôn joua de Díkê et trancha la chair de Pûr, ce qui lui arracha un nouveau cri aigu et fit s'évaporer une nouvelle quantité d'ectoplasme. La tête de Daímôn bourdonna de plus belle d'un ultrason confus. Il serra les dents, oublia la douleur et se focalisa sur son objectif. Il força de nouveau sur ses jambes et parvint à monter sur le dos de Pûr après sa malencontreuse descente.
— Je suis désolé, Pûr, souffla le Primordial devant sa douleur. Mais je ne fais que te sauver !
Pûr eut la gentillesse de ne guère lui répondre.
Daímôn s'avança lentement vers le cou de Pûr. Son objectif se trouvait juste en dessous, au milieu de cette lave organique bouillonnante.
Comment vais-je réussir à atteindre son cœur tout en évitant les crocs de cette gueule monstrueuse ?!
Il tenta le tout pour le tout et s'accrocha au cou de Pûr, le corps dans le vide. Il vit alors le muscle convoité : le cœur ressemblait à un gros joyau brillant tel un soleil. Il battait rapidement, noyé dans les flammes. Daímôn entendait le « boum-boum » véloce caractéristique du muscle pompant le sang. Il fut si ébloui par cette vision qu'il en oublia un bref instant la gueule parsemée de crocs déchirants... Le cou de Pûr se tordit et Daímôn sentit les crocs de feu s'enfoncer dans le haut de sa cheville. Telle une pince, la gueule de Pûr le happa et le tira violemment en arrière. Daímôn hurla de douleur, fut à deux doigts de plonger dans les ténèbres, d'autant plus lorsque son corps se mit à gigoter en tous sens : tel la grande Python, Pûr cherchait à désarticuler sa proie !
Φ
Cupidon nota lui aussi cette torture aiguë. Les larmes coulèrent le long de ses joues rougies.
— Phúlax, je t'en prie, sauve-le, ou il va le tuer !
Le Dragon bleu hurla soudainement !
(suite du chapitre 14 en suivant...)

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Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
Fantasy« La vie d'un mortel est difficile ? Celle d'un dieu l'est infiniment plus ! » Lorsque les Bienheureux emportent la jeune sœur de Daímôn, son existence s'en retrouve chamboulée à jamais. Mais telle est la voie que le destin a choisie afin de l...