Daímôn fut immédiatement frappé par la simplicité désarmante et la petitesse de la demeure, qui pourtant lui semblait si démesurée vue de l'extérieur. Certainement un nouveau gage de la magie d'Hécate, songea-t-il. Elle ne comportait qu'une seule et unique pièce, sans étage ni mansarde, à l'instar de celle de Cupidon, mais nettement plus exiguë. Il y avait en tout et pour tout un lit à baldaquin dans le fond droit de la pièce, un lébès – une sorte de chaudron en bronze posé sur un petit support pour chauffer son contenu – et des bancs et un trépied au centre. Les seules lumières de l'espace provenaient de lanternes minuscules brûlant de flammes vertes, jumelles à celles de l'extérieur. La luminosité étant très faible, il fallut un certain temps pour que Daímôn s'habituât à l'obscurité ambiante de la pièce et aux lueurs verdoyantes.
Lorsqu'Hécate s'approcha du lébès, le feu naquit sous celui-ci, diffusant une chaleur surnaturelle. La lumière orangée donna un aspect plus jovial à la pièce, mais le feu changeait de couleur toutes les secondes. Hécate fit signe à Daímôn et Cupidon de s'asseoir sur les bancs en marbre blanc devant le lébès tandis qu'elle prenait place sur le trépied archaïque à l'opposé d'eux qui semblait fort inconfortable. Le liquide à l'intérieur du lébès se mit à bouillir, laissait une fumée blanche embaumer l'atmosphère d'odeurs exotiques inconnues – un détail qui sembla familier à Daímôn, fronçant les sourcils d'interrogation. La solution dans le chaudron avait une couleur verdâtre ; Daímôn ne s'attarda pas à savoir ce que c'était.
— Je vais avoir besoin de quelques gouttes de ton ichor, fit Hécate en matérialisant un poignard en argent dans sa main. Le sang d'un individu recèle toutes ses facultés, ses mémoires, ses origines...
— De la magie noire, je suppose, répliqua Daímôn perplexe.
L'idée de faire appel à de telles forces obscures le rebutait quelque peu. Les souvenirs du nécromant et de ses sbires cadavérés étaient restés bien ancrés en lui.
— Bien sûr ! répondit Hécate en souriant. Seul cet aspect de la Magie peut offrir des résultats convenables et exploitables, dirais-je même probants. Même si parfois cela s'avère dangereux – très souvent, en réalité. C'est ce qui m'a valu d'être à la fois haïe, crainte et vénérée par les mortels naguère, et les dieux aujourd'hui. Mais tu ne risques rien avec ce procédé. Maintenant, tends ta main.
Daímôn hésita un moment. Cupidon le bouscula alors légèrement d'un coup d'épaule, l'incitant à obéir à la déesse qui patientait, la lame du poignard brillant à la lueur du feu comme avide de sang. Il s'y résolut ; Hécate prit délicatement sa main droite et posa le poignard contre sa paume avant de l'entailler suffisamment pour qu'un filet de sang s'échappât de la coupure. Daímôn grimaça ; Hécate laissa couler l'ichor sur le plat de la lame, surprise par la couleur bleue scintillante. Elle porta ensuite la main de Daímôn au-dessus du lébès et lui fit serrer le poing, de façon à laisser plusieurs gouttes de sang se déverser.
Daímôn desserra le poing pour observer l'entaille mais n'en vit aucune. La peau s'était régénérée comme si de rien n'était, ne laissant plus que quelques taches d'hémoglobine bleutée sur l'épiderme intacte. Il présenta sa paume à Cupidon et Hécate qui ne parurent pas le moins surpris du monde. La déesse de la Magie se focalisa sur son incantation.
Psalmodiant des paroles incompréhensibles, elle versa deux gouttes de plus dans le lébès en agitant la lame. Au contact de ces deux dernières perles, le liquide dans l'antique chaudron adopta une couleur bleutée brillante se reflétant dans la pièce, tels les rayons d'Hélios.
Les forces obscures emplirent la demeure, se tortillèrent autour des divinités, rebroussant tous les poils de Daímôn. Celui-ci dénota bien les ténèbres envahir l'espace, ramper contre lui, s'immiscer en lui. Ce pouvoir si mystérieux et lugubre lui donnait froid dans le dos, et il se mit à espérer au plus profond de lui qu'il n'avait aucun lien avec une telle énergie noire.
Soudain, les yeux d'Hécate se révulsèrent et phosphorèrent de mille feux. Un brouillard s'échappa du lébès et engloba la Magicienne, avant d'occulter toute la pièce.
Daímôn et Cupidon se retrouvèrent ainsi à la merci du sortilège de la déesse de la Magie.
(suite du chapitre 5 en suivant...)
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Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
Fantasy« La vie d'un mortel est difficile ? Celle d'un dieu l'est infiniment plus ! » Lorsque les Bienheureux emportent la jeune sœur de Daímôn, son existence s'en retrouve chamboulée à jamais. Mais telle est la voie que le destin a choisie afin de l...