Être ainsi totalement privé d'emprise sur le monde réel fut à la fois l'expérience la plus grisante et la plus traumatisante pour Daímôn. Jamais il n'avait connu une sensation pareille. Pûr avait raison : c'était bien différent d'un simple contact télépathique. Plus rien ne répondait aux notions du temps et de l'espace. Il se sentait terriblement loin de son corps, qu'il avait instinctivement tenté d'approcher de son esprit, mais qu'il n'avait guère pu. Il se sentait également incroyablement... léger, plus encore qu'une plume, dépourvu de toute matière physique.
Il en fut de même pour Athéna et Cupidon. Cette découverte leur fut étourdissante. D'ordinaire, les dieux ne canalisaient jamais leur esprit en un seul et même lieu, et se détachaient encore moins de leur enveloppe corporelle. Ce phénomène, ce partage de souvenirs, concentrait entièrement leur être spirituel, si bien qu'ils ne se furent guère senti aussi « entiers » depuis bien des millénaires.
Tous tourbillonnèrent indéfiniment, perdus et étourdis, tandis que Pûr faisait appel à sa mémoire pour reconstruire l'événement précis. Au début, ils furent plongés dans l'obscurité totale, au-delà de toutes lois physiques et divines du monde des mortels. Puis, peu à peu, le monde autour d'eux s'illumina et dessina un univers de prime abord très antérieur à l'ère où leurs corps les attendaient.
Daímôn tenta de discerner son enveloppe, mais là encore il ne le put. Il voletait allègrement dans l'air – ou quoi que ce fût – où, en dessous de lui, s'étirait un infini cours d'eau aux rapides torrentielles. L'eau bleue cristalline s'élevait haut, formait de violentes vagues par le vent qui les poussait. Puis, le calme s'empara de l'immensité aqueuse et ce ne furent plus que rouleaux coiffant la mer. Il regarda autour lui et admira le paysage qui lui fut à la fois familier et inconnu, comme des résidus de mémoires incomplètes. Je suis déjà venu ici, se dit-il. Mais tout paraît si irréel. Il désira avancer et sentit littéralement son énergie astrale flotter. La sensation était intensément étrange et dérangeante, à deux doigts de le faire souffrir, et pourtant si jouissive. Très vite, il s'habitua à cette dichotomie, et observa l'environnement tout autour de lui.
Au loin s'étendaient des chaînes de montagnes semblant toucher les cieux, dont les sommets étaient camouflés par la brume opaque. Des coulées d'eau dansaient le long de leurs flancs, tel du sang dessinant leurs veines naturelles. Les forêts denses et verdoyantes protégeaient leurs puissants corps. En dessous, la rive courait et se rejetait dans la mer baignée d'un soleil éclatant. Daímôn regarda à l'horizon, mais celui-ci lui sembla étrange, comme brouillé.
Outre les montagnes et la mer, une immense citadelle de marbre et de pierre s'étendait à perte de vue sur la plus grande des montagnes. Au sommet trônait le palais, encerclé d'une vaste cité. Il lui fit très vite penser à la citadelle de Borée, riche et puissante, mais baignée de chaleur et de bien-être, a contrario du froid et de l'étouffement perpétuels qui régnaient en Arctique. Le palais était immense, très haut, fortement décoré. Sur les façades étaient agencées des bannières figurant les dieux olympiens – Daímôn en décompta douze, excluant Hestia et Déméter.
Sur les corniches du palais, à l'instar de gargouilles médiévales, trônaient les statues des douze divinités olympiennes qui semblaient garder un œil bienveillant sur les citoyens et la famille royale. D'autres bannières étaient visibles sur tous les flancs du fort, décorées d'un immense lion crachant des flammes face à un aigle royal sur une foudre dans un affrontement bestial. Daímôn y reconnut un hommage au dieu de la Guerre et au dieu du Tonnerre, afin de s'attirer leurs faveurs et faire acte d'une dévotion des plus totales. Ainsi, Arès et Zeus devenaient les dieux tutélaires de cette cité.
Une muraille entourait le château, sur laquelle étaient positionnés nuits et jours des archers et des arbalétriers. Près des portes du palais se tenaient les gardes personnels du roi. Ils étaient placés de part et d'autre d'un immense escalier en marbre, croulant sous diverses armes – glaives, lances, massues – ainsi que des boucliers. Sur leur plastron de bronze était cousu un blason au même motif animalier que celui sur les bannières flottantes. Il sembla impossible pour Daímôn qu'un quelconque envahisseur eût une chance de venir à bout de cette cité somme toute inexpugnable.
VOUS LISEZ
Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
Fantasy« La vie d'un mortel est difficile ? Celle d'un dieu l'est infiniment plus ! » Lorsque les Bienheureux emportent la jeune sœur de Daímôn, son existence s'en retrouve chamboulée à jamais. Mais telle est la voie que le destin a choisie afin de l...