ΔΙΙ - Ἀνάστασις (partie 7)

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La température était encore plus froide dans les appartements privés de Borée. Le long couloir, parsemé de tableaux qui croquaient aussi bien le dieu de l'Hiver que ses enfants, était étonnamment large, de façon à laisser pleine place aux statues de glace positionnées de part et d'autre, contre les murs. Celles-ci reposaient sur des socles, surmontés d'une plaque en or gravée du nom en grec ancien de chaque espèce cristallisée dans la glace éternelle par la pointe de Borée. Daímôn vit une incroyable diversité de créatures, du musculeux satyre au bedonnant cyclope.

Avec Athéna, il s'arrêta finalement devant une gargantuesque porte dorée, gravée de deux mots aux alphabets différents.

Boréas et Aquilo, lut Daímôn.

— Respectivement le nom en grec ancien de Borée et son homonyme romain plus tardif en latin, expliqua brièvement Athéna. Entrons.

Si Daímôn ne s'était jeté sur Athéna lorsque celle-ci avait ouvert la porte, la déesse aurait fini embrochée par un énorme pendule agrémenté de lances qui s'était détaché du plafond. Il se balança telle l'aiguille d'un métronome à travers la chambre pour enfin s'immobiliser.

— Maudit Borée ! siffla Athéna. Je vais le tuer !

— Je croyais que l'on ne devait surtout pas tuer un dieu, la taquina Daímôn.

Athéna ne pipa mot, encore transie d'effroi en revoyant le Primordial sur le point de pourfendre Borée. Elle dépassa le pendule et embrassa la pièce d'un regard inquisiteur.

La chambre privée de Borée était grandiose, presque aussi grande que le hall d'entrée du palais. D'autres tableaux cadrés d'or étaient fixés aux murs, un immense lit à baldaquin croulant sous les draps et les coussins blancs dévorait le centre de la pièce. Une grande fenêtre laissait la lumière baigner toute la pièce. Mais Hélios, dans son infinie brillance, n'apportait nulle chaleur.

— Regarde, dit alors posément Athéna en pointant une statue à côté du lit.

Celle-ci était à l'effigie d'un angelot aux ailes déployées, le visage radieux, des petites bouclettes dorées sur la tête.

— Éros..., émit faiblement Daímôn.

Il courut jusqu'à son frère... entièrement recouvert de la même couche de glace dans laquelle Daímôn avait été entravée.

— Comment le libérons-nous ? s'enquit-il à l'attention d'Athéna avec assistance, presque terreur.

— Je l'ignore... Je ne connais pas suffisamment le pouvoir de Borée pour savoir comment l'annihiler.

Daímôn grimaça. Il se remémora sa cryogénisation, son souhait que la sphère d'Aphrodite se matérialisât pour le délivrer. Le Feu Originel avait dévoré le givre sans lui causer le moindre mal. Il regarda sa main, où des étincelles crépitaient.

— Tu crois que... ? commença Athéna en lorgnant les flammèches.

— Il n'y a qu'un moyen de le savoir.

Daímôn tendit sa main vers Cupidon, craintif quant à la grande possibilité que le Feu Originel blessât son frère. Lui y était insensible, car il s'agissait de sa propre source de pouvoir, laquelle ne lui désirait aucun mal. En serait-il de même pour Éros... ou tout le contraire ?

Alors, les flammes dorées churent de sa paume et léchèrent le corps d'Éros. La glace se craquela dans un premier temps. Daímôn tressaillit d'horreur... puis se ravisa lorsqu'elle fondit, sans meurtrir aucunement l'épiderme du prisonnier.

Quelques secondes plus tard, le dieu des Sentiments était libéré de la paralysie de glace. Daímôn le recueillit dans ses bras avant qu'il ne s'étalât sur le sol. Les larmes de joie commençaient déjà à se former.

— Éros, réveille-toi ! exhorta-t-il.

Athéna s'approcha et posa une main sur le front du dieu ailé, guettant sa force vitale. Daímôn retint sa respiration, observant toute expression qui transparaissait sur le faciès de l'Olympienne.

Alors elle sourit, tandis que le troisième enfant de Kháos battait des paupières et laissait apparaître le bleu-violet de ses yeux épuisés.

— Daímôn ? s'enquit-il en bâillant ouvertement.

— Oh, Éros ! fit le fils de Kháos en le serrant de toutes ses forces.

Cupidon crut étouffer dans cette embrassade fraternelle.

— Arrête..., hoqueta-t-il. Tu vas... me tuer !

Daímôn desserra les bras et rit, aidant lors son frère à se lever.

— Où sommes-nous ? s'enquit Éros en regardant, déboussolé, la pièce.

— Tu... tu ne te souviens de rien ? répliqua Daímôn surpris.

— Non. Dois-je me souvenir de quelque chose de précis ? Tout ce qui me revient, c'est ma nuit aux côtés de Psyché en notre demeure... et me voici dans un lieu au froid pénétrant et divin. Où sommes-nous ? réitéra-t-il.

— Dans la citadelle de Borée.

— En Arctique ? Mais comment suis-je arrivé ici ?

— Primordiaux, s'interposa Athéna, nous devrions nous dépêcher de quitter cet endroit. Borée et Chioné ne vont pas tarder à se réveiller, et l'alarme sera donnée dans toute la citadelle. Je ne désire pas avoir la garde hyperboréenne sur nos talons.

— Tu as raison, concéda Cupidon. Ne tardons pas plus. On reparlera de tout cela avec tous les détails plus tard, une fois en sécurité.

Daímôn acquiesça à son tour d'un mouvement de tête, rendit ses armes à Éros qui sourit en sentant le contact de son arc ; puis ils s'élancèrent dans le couloir. En arrivant dans la salle principale, Daímôn chercha des yeux le père et sa fille, mais ne les vit pas. Il coula un regard inquiet vers sa protectrice.

— Partons vite, répondit-elle laconiquement.

Dehors, ils s'empressèrent de se diriger vers l'immense portail cristallin surveillé par les deux créatures.

— Arrêtez-les ! cria alors une voix derrière eux.

Borée hurlait à s'en briser les cordes vocales au sommet de l'escalier extérieur. Très vite, une alarme retentit, résonnant dans toute la citadelle. Daímôn vit l'immense gong être frappé par un Hyperboréen sur l'un des remparts. Tout autour d'eux, les soldats arrivaient à bride abattue, armes en évidences, flèches et carreaux prêts à fendre les airs pour les faucher.

« Phúlax ! appela Daímôn. Tu penses pouvoir nous porter ? » Plusieurs flèches filèrent vers eux, que le dieu des Dragons brûla d'une vague magmatique. « Nous sommes piégés ! »

« Je pense, oui. Préparez-vous et accrochez-vous fermement ! Je ne pourrai esquiver les projectiles très longtemps avec vous trois sur le dos. »

Daímôn dégaina Díkê dont la lame se mit à luire avec une intensité croissante. Un éclair turquoise fusa de la pointe vers le ciel et, très vite, la sphère de même nuance grossit jusqu'à devenir énorme. Phúlax atterrit lourdement et cracha des langues de feu sur les Hyperboréens les plus proches. Les cris d'agonie se mêlèrent au son loquace du gong. La peur émergea aussitôt en chaque cœur. La panique fut générale et les soldats reculèrent, à l'instar des colosses de glace qui grognaient étrangement.

Borée lui-même se paralysa, ne sachant comment réagir face au Dragon. Son instinct premier le poussait à affronter la bête, mais alors tout son corps se mit à trembler de terreur, autant que sa fille qui était plus pâle encore que sa carnation de neige.

— Allez ! cria Daímôn à son frère et sa protectrice qui montèrent sur le dos de Phúlax.

Celui-ci gronda, tandis que son maître balançait derechef des sphères incandescentes sur les archers les plus proches. Daímôn grimpa à son tour sur le Dragon. Ce dernier déploya ses ailes et se propulsa. Les membranes fouettèrent l'air et l'élevèrent loin de l'ennemi.


Fin du chapitre 12


Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant