ΓΙΙ - Ἀπόλλων (partie 6)

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Pleurant dans ses coussins, elle n'entendit point Aphrodite approcher. La déesse de l'Amour s'assit à ses côtés et caressa délicatement ses cheveux. Il lui était insupportable qu'Athéna pût pleurer à cause de sa famille, bien que les tensions entre elles deux fussent à jamais palpables.

Athéna se retourna enfin.

— Ne laisse pas la tristesse t'envahir, Athéna, fit Aphrodite. Il ne sera rien fait à Daímôn. Je puis te l'assurer.

— Je sais. Mais...

— Ta famille te trahit éhontément, je comprends.

Aphrodite sécha ses larmes des pouces et l'incita à se rendre dans la salle au foyer brûlant. Athéna se leva, retoucha son visage en effaçant les traînées humides et le rouge de ses joues et suivit Aphrodite. Les attendaient Hadès et Héphaïstos. Ils devaient, tous quatre, discuter sérieusement des prochaines heures qui allaient s'écouler.

— Mon frère fait une grave erreur, commença Hadès. Il a toujours été le plus stupide de la portée, de toute façon !

— Qui est le plus stupide ? le coupa Aphrodite. Celui qui proclame la stupidité, ou ceux qui le suivent ?

— Bah, peu importe ! Il nous faut contrôler le Dragonique, non le réduire à néant !

— Apollon va pourtant se tenter à le tuer, fit Héphaïstos.

— Mais il n'y parviendra certainement pas, répliqua Athéna.

Bien sûr... Jamais Apollon n'arriverait à éliminer Daímôn sans perdre la vie. Le dieu-Forgeron et la déesse de l'Amour gratifièrent Athéna d'un regard compatissant. Seul Hadès resta de marbre, comme toujours.

— Nous devons être présents au moment où Apollon se lancera dans cette folie, dit Athéna. Je me porte garant de cette tâche, qu'importent les conséquences. Il m'écoutera peut-être.

— Apollon utilisera sans doute son poignard, ainsi que les flèches de lumière que les Cyclopes ouraniens lui ont forgées, commenta Héphaïstos. Tu vas devoir mettre au point un stratagème pour empêcher Apollon de le frapper, car si la lame effleure ne serait-ce qu'un peu Daímôn, sa force vitale sera aspirée, comme Hadès aspire les âmes. Et qu'est une entité sans son âme ou sa force vitale ? Rien du tout !

— Je le pétrifierai avec mon bouclier.

— Je ne sais si c'est une bonne idée. La tête de cette immondice attachée dessus, depuis que tu l'as transformée, est en partie reptilienne. Ses cheveux ! Ce sont des serpents, descendants des Dragons Primordiaux, dont Daímôn est le maître. S'il voit la tête de cette demi-femme sur ton bouclier, j'ai bien peur qu'il ne te voie toi aussi d'un mauvais œil. Ce peut paraître idiot, je le conçois, mais il est imprévisible. Et tu sais que j'ai raison, Athéna.

— Effectivement, je suis d'accord avec lui, appuya Aphrodite, ce qui ne manqua guère de surprendre tout le monde au plus haut point, Héphaïstos le premier.

Ce dernier était le plus grand forgeron de tout l'Olympe, ce qui lui en conféra le titre divin, ainsi que de son élément indispensable : le feu. Mais Héphaïstos revenait de loin. Né de Zeus et d'Héra, le jeune bébé était bossu, ce qui dégoûta sa mère. On racontait qu'elle l'avait créé seule pour se venger des tromperies de son mari et que, devant la monstruosité qu'était son échec né sans père fécondateur, elle l'avait jeté du haut du mont Olympe. La mer avait amorti la chute du nourrisson et une divinité marine s'était alors occupé de l'élever durant neuf ans. Héphaïstos, au fait de sa parenté et de l'acte de sa mère, avait ourdi un plan pour rejoindre l'Olympe. Il avait ainsi façonné en cadeau pour Héra un trône d'or. La reine des dieux s'était assise dessus, vaniteuse de posséder une telle merveille. Des chaînes invisibles l'avaient alors emprisonnées ; les dieux avaient dû faire appel à Héphaïstos pour qu'il libérât Héra. Il avait ainsi pris sa place sur l'Olympe en tant que dieu de la Forge. Pour le récompenser de ses prouesses artisanales, Zeus l'avait marié à la parfaite Aphrodite ; mais cette dernière n'aimait point le plus laid des dieux. Elle s'acoquinait secrètement à Arès avec qui elle eut plusieurs enfants. Hélios, la divinité qui voit tout, avait alerté Héphaïstos de l'incartade répétée d'Aphrodite ; le dieu-Forgeron avait piégé l'infidèle épouse et son amant en plein ébat dans un filet invisible et incassable devant tout l'Olympe.

Depuis, la tension sous-jacente entre les deux époux était devenue plus que tangible.

— Penses-tu être capable de négocier avec Apollon devant Daímôn, sans que celui-ci ne tente de s'en prendre à son bourreau ? s'enquit Aphrodite.

— Ai-je vraiment le choix ? fit remarquer Athéna. Apollon va sûrement l'attaquer dans son moment de faiblesse, c'est-à-dire quand il dort. Je ne peux prendre le risque de l'arrêter avant. Zeus le surveillera sûrement, et Père est incapable de pénétrer avec son esprit à l'intérieur de la demeure de Psyché et d'Éros depuis qu'Hécate a installé ce qu'elle nomme un « miroir anti-Zeus ». Lorsqu'Apollon s'y engouffrera, il sera temps que j'agisse.

— Sans réveiller Daímôn ! ajouta Hadès.

Athéna inspira un grand coup.

— Je suis ravie de voir que la Raison vous guide toujours. À moins que vous n'ayez des raisons personnelles de préférer sa vie à sa mort.

— Daímôn est notre aïeul commun, fit aussitôt Aphrodite. Il ne profite pas du sang de Cronos, mais d'un sang beaucoup plus pur : celui de Kháos. Je ne puis que ressentir de l'affection pour ce garçon : tout comme moi, il est différent de ceux qu'il côtoie. Et plus que tout, je tiens à garder l'harmonie dans le monde des dieux et des mortels. Nul dieu, surtout pas un Primordial, ne doit totalement disparaître : c'est la règle la plus importante qui soit.

— Et détruire son corps, pour qu'il n'attente plus, ne serait pas une solution ?

— Zeus ne désire pas simplement détruire son corps, mais l'anéantir entièrement, tu le sais bien. (Athéna sourit.) Ne te moque pas de moi, déesse de la Sagesse !

— Et vous, mon oncle, continua Athéna. Pourquoi nous aidez-vous ?

— Personnellement, jamais je n'écouterai Zeus et Poséidon, répondit Hadès. Ce sont tous deux des imbéciles. Et puis, je veux surtout voir de quoi est capable Daímôn. Le Dragonique m'est foncièrement inconnu, et je ne possède aucune âme de Dragon Primordial en mon royaume.

— Et toi, Héphaïstos ? s'enquit Athéna. Que peut bien être la raison qui mérite ton assistance spontanée ?

Le dieu de la Forge médita un instant.

— Je le fais pour ma fille, Pandore (Ξ) . (Aphrodite sembla vouloir répliquer, mais Héphaïstos la tança d'un vilain rictus.) Elle a entendu parler de ce garçon aux pouvoirs incommensurables et souhaite le rencontrer. Le bonheur de Pandore est le plus important, et je ferai tout pour que la rencontre ait lieu.

» Mais ce n'est que la seconde raison de mon soutien. La véritable, je ne peux vous en parler pour le moment... Vous la connaîtrez au moment opportun. Tout ce que je puis dire, c'est que cela pourrait s'avérer dangereux. Très dangereux. Pour nous tous !

— Peu importe, dit Hadès. Lorsque Daímôn aura été tiré de cette affaire, nous nous soucierons du reste.

Alors les dieux conclurent. Athéna s'occuperait d'arrêter Apollon, tandis que les autres se tiendraient prêts à agir une fois tout ceci terminé.

Athéna laissa les dieux disparaître et patienta toute la journée. Elle conta tout à Hécate mais lui ordonna de n'en rien dire à Éros ou Daímôn. L'ignorance des Primordiaux était leur meilleur atout, assurant ainsi à Athéna le pouvoir d'agir à sa guise. Hécate accepta, remettant entièrement le sort de Daímôn entre ses mains. Le soir venu, la déesse de la Magie lui certifia que Daímôn dormirait à poings fermés plusieurs heures à l'aide d'un sortilège qu'elle lui administrerait. Athéna profita de la nuit pour se sustenter et se reposer.

Puis l'aube vint... et avec elle le flamboiement du destin.


(suite du chapitre 7 en suivant...)


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Une partie de chapitre un peu plus courte cette fois-ci, mais pour vous réserver un passage bien plus long et éminemment crucial qui clôture le chapitre en suivant et, pour ainsi dire, la première partie du tome 1 ;)

Kháos, tome I : Le Parjure de l'Olympe [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant