Course Contre La Vie

Chapitre 5 [Jai]:

J'ai le coeur qui bat à cent mille kilomètres heure et je m'insulte mentalement. C'est sortit comme ça. Proposer ça à un ami ou de la famille, ok, mais là, c'est Shannon! Il n'est ni... Il est quoi, d'ailleurs? Je fronce les sourcils, épuisée par ma journée de travail, et le regarde aller à la salle de bains. C'est seulement maintenant que je remarque sa main en sang. Crétin. Même pas ça lui est venu à l'idée de me demander un pansement ou des soins. Double crétin.

Je désinfecte et enroule son index dans une compresse et un petit bandage stériles avant de le laisser occuper ma chambre, résolue à dormir sur le canapé. C'est le problème, avec lui. Dormir avec un homme de mon âge ou un peu plus âgé ne m'aurait pas posé de problème, mais il a l'âge d'être mon père... Et puis, il a vu le chantier sur mes cuisses.

- Je ne vais pas te mordre, tu sais, insiste-t-il en souriant.

- Je vais quand même dénicher du scotch pour que tu ne sois pas tenté.

Il rit. Je secoue la tête. Pourquoi ai-je l'impression d'être la reine du monde quand je le fais rire? Il garde son t-shirt, ce dont je lui suis reconnaissante, ça évite les trop grandes tentations. J'éteins la lumière pour pouvoir retirer mon jogging sans qu'il ne me regarde et me glisse de mon côté du lit, froid. Je l'entends respirer doucement, et sa présence proche - qui aurait dût m'effrayer- me rassure.

- Je suppose que je ne dois pas te toucher? Lance-t-il.

- Tu supposes bien.

- Et si mon cul rentre en contact avec le tien pendant la nuit?

Je réprime un ricanement en levant les yeux au ciel. Je pose le traversin entre nous, sous la couverture. Qu'il vienne toucher mes fesses avec les siennes, maintenant. II ricane à son tour et puis se tait après avoir souhaité bonne nuit. Sa respiration s'apaise au bout de quelques minutes seulement, et après m'être tourné encore et encore, j'abandonne l'idée de dormir et allume ma DS pour une chasse Pokémon.

Sauf que je ne parviens pas à me concentrer assez longtemps, mon regard dérive sur le visage de l'homme. Il a l'air plus jeune dans son sommeil, moins abimé, et je repense a toutes ces vidéos où je l'ai vu rire et s'amuser. Perdre un frère ou une soeur n'a jamais été quelque chose de facile, mais je suppose que ce doit être mille fois pire quand les liens du sang dépassent l'entendement, que l'autre vous est indispensable au quotidien...

- T'es moche, dit-il en guise de bonjour.

- Toi, c'est pire. Tu ressembles à un derrière de babouin.

- Merci.

- Je t'emmerde.

Il éclate de rire et s'étire avant de prendre toute la couverture pour s'enrouler dedans. Je la tire de mon côté, subissant le changement de température désagréable et la honte de mon corps. Il me tire à lui par les poignets et m'envoie valser de l'autre côté du lit en reprenant la couverture avant de m'envoyer mon oreiller à la figure. Je grogne et me jette à nouveau sur lui.

Il hurle quand mes dents s'enfoncent dans sa clavicule, et je ris tellement que j'en pleure. J'en suis tout d'abord étonnée, puis je manque de suffoquer quand il me chatouille les côtes en riant. Nous ne sommes qu'un fouillis de draps froissés, et la scène ne manquerait pas de piquant pour un observateur extérieur... Et c'est un oups étouffé suivi d'un rire qui me ramène à la réalité.

La porte se referme sur une Cyan hilare.

Je me tourne vers Shannon, qui a les yeux qui brillent et le souffle court. J'enfile un collant et rejoins mon amie au salon, qui discute avec Dan tout en préparant le repas. Avec notre nouvelle indépendance, on a dû apprendre à faire à manger sans tout brûler, ce qui est plutôt pas mal, si on excepte le fait qu'on possède toutes deux une flemme monumentale. Vive la malbouffe.

- Je croyais que tu devais mater un film?

Attention, inquisition façon Cyan. Je m'assieds au bar et grogne en essayant d'arranger mes cheveux, sans grand succès. Dan, à côté de moi, sourit largement, ce qui découvre ses fossettes.

- J'ai maté un film.

- Et Shannon est venu, parce que c'est tellement érotique de regarder Harry Potter!

- Ferme-la...

Elle me lance la cuillère en bois qu'elle tenait, et je n'ai pas le temps de l'esquiver que je me la prend en plein front. Ces traitres sont en train de rire alors que je vais sûrement avoir une bosse dans les minutes qui suivent. Shannon, qui vient d'arriver, s'assied à côté de moi et demande si ça va, passablement inquiet, et il ne me rit pas à la face, ce dont je lui en suis reconnaissante.

Je lance un geste obscène de la main à Cyan, qui hurle de rire en se tenant au comptoir, un sourire aux lèvres.