Chapitre 78 [Jai]:

120 9 0
                                    

- Il est déterminé à t'accompagner, n'est-ce pas? Sourit doucement Sophie.

Je hoche la tête. Effectivement, Shannon m'attend dans la salle d'attente à chaque rendez-vous. Il ne cherche jamais à savoir de quoi nous parlons. Je ressors déjà trop lessivée de ces séances pour avoir la force de continuer à parler.

- Et si tu me parlais plus de lui?

- Il est cool, dis-je en haussant les épaules.

Je ne suis jamais bavarde concernant Shan. Sophie le sait. Buvant une gorgée de mon thé, je fredonne une chanson dans ma tête pour me calmer et me concentrer.

- Ca ressemble à une berceuse, dit-elle.

Merde. C'était pas dans ma tête que je chantais.

- C'est une chanson en Hébreu que j'ai appris pour... mes frères. Ils adoraient quand je la chantais.

Yeroushalaim Chel Zahav était la berceuse attitrée des jumeaux. Je voulais qu'ils aient un bout de leur pays avec eux, même si pour ça je devais apprendre une langue très compliquée.

Je ne connais finalement que quelques mots d'Hébreu.

- Shannon m'a proposé d'aller à L.A avec lui et de bosser dans son café, mais je ne sais pas quoi faire, dis-je rapidement. Je ne sais pas si je dois quitter mon boulot pour le suivre ou rester et être sûre de ne pas...

- Tu doutes de ses sentiments?

- Je ne sais pas ce qu'il ressent.

C'est la stricte vérité. Si mes sentiments commencent à me bouffer, je ne connais toujours pas les siens avec exactitude, et son silence me pousse à me taire. Je ne veux pas faire fausse route.

- Pourquoi ne pas lui demander?

- Ca ne marche pas comme ça entre nous. Pas de romance.

- Est-ce qu'il fait ou dit des choses qui pourraient te faire penser qu'il ressent des choses pour toi?

Un jour, Niamh m'a dit que les hommes étaient incapables de voir ce qu'il y a sous leur nez tant qu'on ne leur montre pas. Et aussi qu'il faut les prendre au mot, parce qu'ils ne sont pas si difficile que ça à comprendre.

- Pleins de choses pourraient me faire croire qu'il a des... sentiments. Mais je ne veux pas y penser, je ne veux pas me faire de films. C'est compliqué...

- Pourquoi? Comment il est avec toi? Il ne comprend pas ce que tu fais?

- Je ne sais pas s'il comprend, mais il est là. Il m'aide. Il est toujours là quand j'ai besoin de parler ou juste de... quand j'ai besoin de réconfort.

- Un vrai Teddy Bear.

- C'est exactement ça, ricané-je.

Mais j'ai de la chance de l'avoir. Tellement de chance. Il agit comme un guide dans mon obscurité, et je ne sais pas trop où il m'emmène, mais il me fait avancer. Je suis toujours dans le noir, et peut-être qu'il m'emmène droit dans un gouffre ou en enfer, mais je sens sa présence.

Je ne suis plus seule.

- Ton boulot, hormis l'aspect financier, compte-t-il vraiment pour toi?

- Non, ce n'est pas exactement mon rêve de passer la serpillère.

- Pourquoi ne pas tenter ta chance, alors? Il te propose un nouveau départ. De ce que tu me dis, je vois à quel point il t'es précieux, et si ça ne marche pas, ce n'est pas la fin du monde.

Ca ne sera pas la fin du monde, non, mais du mien, oui. Putain, je n'aurai pas la force de me relever. Il me fait seulement vaciller dans l'obscurité, je ne peux pas encore tenter de marcher ou penser à aller de l'avant, voir plus loin.

- Alors selon vous, je devrais tout plaquer et partir à L.A? Au risque que toute sa fanbase, la mienne, me déteste? Je ne veux pas qu'on me voit à son bras comme si j'étais simplement une profiteuse.

- Jai, tu es plus haute que tout ça, non? Sois indifférente de tout ce qu'ils pourront dire de toi. Tu sais qui tu es, et Shannon le sait aussi. Les autres ne savent rien de plus que ce qu'ils verront. Les spéculations et la haine des jaloux n'ont rien à faire dans votre couple.

- Ouais. Ouais... peut-être.

Son discours me gonfle à bloc, fait poindre un élan d'espoir, mais j'ai peur de le saisir, peur qu'il m'échappe lui aussi. Peur que la réalité soit mille fois pire que ça.

Partir en Californie? Ca implique d'avoir une tonne et demi de papiers à remplir et de choses à penser, beaucoup d'heures d'avion, d'habiter dans sa maison immense, de peut-être rencontrer sa mère, de bosser avec lui...

Ca implique de sceller mon quotidien à lui. Mais n'est-ce pas ce que nous faisons? Ca fait cinq mois que nous gravitons autour de l'autre.

- Fais-lui confiance, et fais-toi confiance. Pense à toi et à ta santé. Tu manqueras à Cyan, mais elle comprendra. Et tu auras un autre travail, donc un salaire, tu auras donc de quoi revenir si ça ne marche pas.

Ca a l'air si facile, dit comme ça.

Tard dans la nuit, je pense encore aux paroles rassurantes de Sophie, fatiguée de ma semaine de travail, mais incapable de dormir. A côté, Shan ronfle doucement sur le ventre.

Fais-lui confiance. Tu l'aimes. Il a dit qu'il avait besoin de toi dans sa vie.

Je n’ai plus la force de combattre et repousser ce que je ressens. Peut-être ne l’ai-je jamais eue, parce que combattre tout ça, c’est aussi lutter contre moi-même.

Je sors courir puis prends une douche tiède, mais mon cerveau est toujours en ébullition. Qu'est-ce que je dois faire? L'aube ne m'aide pas, et j'ai une pensée pour tous mes absents.

Où serais-je si Amon, Coquillette, Sam et Simon étaient vivants? Où serais-je si ma mère avait eu le courage de me garder? Serais-je aussi amère, désabusée, mal en point et à contre-sens que je ne le suis?

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant