Chapitre 81 [Shannon]:

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Je frissonne, le vent s'engouffrant dans mon t-shirt. Je m'en fous pas mal, il fallait que je sorte. Je ne veux plus entendre la moindre chose sur Jared, pas ce soir.

Le bout de ma cigarette s'embrase, et je recrache la fumée dans l'obscurité. Le balcon de Noah donne sur une petite ruelle déserte et un mur de briques.

- Hey.

Jai enroule ses bras autour de ma taille et pose sa tête entre mes omoplates. Je soupire un gros coup. Ne pas lui montrer mon chagrin. Je ne veux pas que mes émotions négatives rebondissent sur elle.

- Je suis désolée.

- T'as pas à l'être. C'est juste que... ça en fait trop d'un coup.

Elle me contourne et s'appuie sur la barrière, à côté de moi. Aujourd'hui, elle tolère le contact. Elle le recherche, même. Elle a besoin d'être rassurée et protégée. Elle se sent en danger?

- Tu n'as pas beaucoup mangé.

- Je sais...

- Et tu n'as rien mangé ce matin. Je le sais, puisque tu laisses toujours tout à côté de l'évier quand tu es en retard... ce que tu es toujours.

Elle rit doucement, et même sous son pull, elle frissonne. Je l'entoure de mes bras, contemplant la vue restreinte de Londres que nous avons d'ici. Ses collègues ne nous prêtent pas attention, ils rient en jouant aux cartes.

- C'est pas toujours, je te le promets.

Sa voix est basse, hésitante. Je sais à quel point elle a honte de ne rien contrôler, de devoir sauter la case repas parce que son corps le lui refuse. Je ne veux plus la voir maigre.

- Tu n'as rien à me promettre. Mais tu n'es pas seule. Est-ce que tu le sais, Jai? Tu t'en rends compte? Je sais que c'est con à dire, surtout venant de moi, mais maintenant, il faut laisser le passé là où il est.

Je l'embrasse. Je suis en demande constante de son toucher, de ses sourires, de ses baisers. J'ai envie de la ramener à la vie, lui montrer des horizons différents, des choses dont elle ne veut pas voir l'existence parce qu'elle est enfermée dans sa bulle de brouillard.

- Vis, aimes, ris... Sois dans le moment présent. C'est tout ce que nous avons.

Elle laisse échapper un son, mi-sanglot, mi-rire, qui me démollit. J'ai l'impression d'être impuissant.

- Et si je craque?

- Je serai là. Je sais que tu souffres de me voir mal... alors comprends que Cyan et moi sommes inquiets à ton sujet. Vraiment.

Il y a cinq mois, je ne pouvais pas être celui qui la sauverait. Aujourd'hui, je me sens assez fort. Sauf qu'elle ne veut pas être prise en charge. Son indépendance et sa fierté lui interdisent.

Une larme coule le long de sa joue et tombe pour se perdre quelques mètres plus bas.

- Quand les humains se seront éteints, un arbre poussera au même endroit.

- T'es con, rit-elle en s'essuyant la joue. Je pense qu'on devrait rentrer, on a vraiment l'air pitoyable.

Je suis d'accord, on a l'air de dingues. Et puis, je ne veux plus entendre quoi que ce soit au sujet de mon petit frère, ni entendre la voix horriblement aigue de cette dingue de Scarlett. Je veux juste pouvoir aller au lit avec Jai, et oublier cette journée pourrie.

- Vous partez déjà? S'exclame Noah.

Elle est super. Simple, marrante. Je n'ai aucun mal avec cette situation, même si ça me parait complètement dingue. Je ne me verrais pas changer de sexe, mais je suppose que c'est différent.

- Ouais... Jai est crevée. Merci pour le repas, c'était cool.

- On remet ça quand vous voulez! A lundi, Jai! Pas de bébés sur la route!

Il est une heure du matin quand Jai me rejoint, après avoir promené les chiens et pris une douche. Elle se jette sur le lit et soupire lourdement. A la lueur de la lampe de chevet, son patch apparait en bas du dos. Je ne comprends pas comment cette chose qui ressemble à un pansement est supposé être un contraceptif.

J'appuie dessus, ce qui la fait bondir.

- T'es vraiment un gamin.

- Viens te coucher, je suis fatigué. Non, pardon, tu m'as fatigué.

- C'est ça, marmonne-t-elle. Monsieur dort comme un bébé l'après-midi et il trouve encore le moyen d'être fatigué.

A vrai dire, j'ai repris le yoga. Je ne l'ai pas dit à Jai, parce que la plupart des gens se foutent de ma gueule quand je le dis, mais ça me flingue complètement. Alors deux heures de yoga le matin, une grande balade avec les chiens après le déjeuner, et la sieste.

- Je suis vieux, Jai.

Dans le noir complet, elle se blottit contre moi... et colle ses pieds glacés contre mes mollets en ricanant, avant de se reprendre.

- Pas pour moi, chuchote-t-elle. Je m'en fous de ton âge, Shan.

Ma gorge se noue. Je ne sais jamais trop comment interpréter tout ce que Jai m'envoie. Elle peut aussi bien paraitre distante et détachée que jalouse et amoureuse. Merde, comment je suis censé savoir ce qu'elle veut?!

Comment je suis censé savoir ce que nous sommes?

Je déteste naviguer dans le flou. L'aventure ne m'intéresse plus, je préfère savoir où je mets les pieds.

- Oui, mais est-ce que tu m'aimeras quand je serai vraiment vieux? Quand le temps aura laissé ses marques sur moi?

J'ai le coeur battant à tout rompre. Elle doit le sentir. Est-ce qu'elle m'aime? Est-ce qu'elle veut continuer? Qu'est-ce que je suis pour elle?!

- Est-ce que tu seras là?

Elle se raidit, le souffle court. Sa main court de mon bas-ventre à mon coeur. Le silence mêlé à l'obscurité semble vouloir m'étouffer. Le sang bat à ma tête dans une cacophonie assourdissante.

- A jamais, Shan. Je serai là jusqu'à mon dernier souffle.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant