Chapitre 85 [Shannon]:

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Le vol est court entre Londres et Paris, mais Jai n'est pas très contente. Elle aurait préféré que je lui dise. Elle ne veut pas aller voir ses frères avant de partir, ni remettre les pieds dans ce pays.

Mais il le faut, pour désinfecter toutes les plaies de son passé. Faire table rase. Histoire de guérir sainement. Il faut qu'elle accepte, pas qu'elle occulte.

- Je n'ai jamais trop aimé la France, dis-je.

Elle se tourne vers moi. Jusqu'ici, elle contemplait le ciel à travers le hublot, le menton sur sa main, l'air pensive. Ce même froncement de sourcils que quand elle lit un livre.

- Pourquoi?

- Je ne sais pas... Enfin, si, je l'aime, mais que pour la bouffe. Putain, c'est la meilleure cuisine au monde. Même les muffins aux trois chocolats de Tomo ne font pas le poids... Et Dieu sait qu'ils sont bons.

Jai rit doucement. Il n'y a pas beaucoup de monde sur ce vol, et c'est pratiquement le silence complet, alors tout le monde doit nous entendre rire et parler.

Ca me rappelle ce vol avec Tomo, où nous avions eu un fou rire horrible après qu'il ait roté super fort... et ça a été pire quand on s'est rendu compte que les gens étaient en colère contre nous. Une heure de fou rire incontrôlable en première classe.

- Il n'y a qu'une chose à laquelle je suis vraiment attachée, dit-elle. C'est le pain.

Cyan et Jai font une heure de route à travers Londres pour faire leur réserve de pain français, qu'elles considère comme un Dieu. Ceci dit, j'ai appris à l'aimer... et je crois que je ne pourrai plus m'en passer.

Sur la terre ferme, il nous faut presque quarante minutes pour pouvoir récupérer nos valises, Boo (terrifié et en colère), et passer la sécurité. Je dois trainer la valise de Jai, parce que Boo a décidé de ne pas vouloir marcher... elle doit donc le porter.

- J'espère que Arès ne me fera jamais ça.

- Tu rêves, ricane-t-elle péniblement. C'est la pire des races. Ils font ce qu'ils veulent, ils font des trucs chelou et te gueulent dessus quand ils ne sont pas d'accord.

- Mais tu l'aimes quand même...

- Je me ferais pas chier à trainer son poids si c'était pas le cas.

Je ricane, et retombe dans cette agitation. Un homme me bouscule et ne se retourne même pas. Les français sont malpolis.

Comme Jai connait le métro parisien par coeur, le trajet jusqu'à l'hôtel n'est pas long. Tant mieux, parce que je suis fatigué. J'ai dût bidouiller pas mal pour avoir une chambre qui accepte les chiens... et encore, j'ai dût jouer avec mon nom.

- On n'a pas beaucoup de temps, dis-je. Tu sais pourquoi on est là?

Je délaisse mon jogging rouge au profit d'un jeans et l'attire contre moi. Je suis tenté de lui dire à nouveau ces trois mots, mais je veux l'entendre de sa bouche avant.

Elle secoue la tête, les yeux cernés et les yeux brillants.

- On va aller au cimetière... Si tu veux, tu peux aussi appeler Niamh, passer un peu de temps avec elle.

Niamh est comme sa mère, mais Jai a tenu à garder une distance après l'accident. Elle ne s'envoient que de rares mails, même si les messages facebook de Niamh sont quasi-quotidiens. Jai ne pardonne pas, que ce soit aux coupables ou aux innocents.

Elle a besoin d'un lien. De soutien.

- Tu fais beaucoup de choses pour moi, Shan. Comment je vais pouvoir te rendre la pareille?

- Je ne fais pas ça pour que tu me doives quelque chose par la suite. Dans quel monde tu vis?

Je l'attire au lit, ne résistant pas une seconde de plus à l'idée de l'embrasser. Nous sommes en train de nous désirer en quasi-permanence. Toujours dans cette quête du plaisir.

- Je ne sais pas dans quel monde tu vis, toi, monsieur Leto. Mais dans le mien, les gens ont seulement deux raisons de faire quelque chose pour toi. Soit ils ont le sentiment de te le devoir, soit ils attendent quelque chose en retour.

- Je ne suis pas de ton monde, soupiré-je. Si je veux t'emmener à Paris ou L.A, c'est parce que je le veux, pas parce que je veux quelque chose ou que je me sens redevable.

Sous son t-shirt, sa peau est douce et chaude. Ses cheveux sentent la cerise, et sa peau le caramel. J'aime son odeur, surtout la nuit, quand je me réveille après un cauchemar. Elle est là, soit en train de lire, soit en train de dormir.

Ma constante. Jour après jour.

- Tu viendras avec moi? Demande-t-elle d'une voix craintive.

Ses yeux sont baignés de larmes. Elle se mord la lèvre et respire fort à plusieurs reprises pour se maitriser. J'ai conscience que c'est beaucoup lui demander d'aller au cimetière et chez ses presque parents...

- Tu veux de moi?

Jai hoche doucement la tête. Très bien. Il est neuf heures et quart, nous devons être à l'aéroport à deux heures du matin. Autant s'en occuper maintenant pour pouvoir se reposer un peu avant de partir.

- Ca fait vraiment bizarre de revenir ici, dit-elle. C'est comme si... comme si j'avais rêvé tout ce temps où j'étais à Londres. J'ai presque l'impression que toi aussi, t'es un putain de rêve.

- Un putain de rêve? Très aimable...

- Ce que je veux dire, reprend-elle doucement. C'est que j'ai peur de me réveiller en plein cauchemar, ces rues je les aient parcourues des milliers de fois en pleine nuit... défoncée... super mal...

Sa main agrippe la mienne, la serre, et ses doigts se glissent entre les miens. J'en reste choqué. Elle n'a jamais fait ce genre de chose en public.

- Parfois, je me dis que je vais cligner des yeux, et que tu auras disparu.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant