Chapitre 9 [Jai]:

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Il rit un peu et regarde par la fenêtre. Au quatrième étage de cet immeuble, nous regardons ensemble le soleil pâle se coucher en noyant Londres sous la grisaille et le noir.

- C'est vrai.

De toute façon, si ça l'éclate de dépenser son argent aussi stupidement que payer une chambre d'hôtel où il n'y reste pas vraiment, c'est son problème. Il pourrait tout aussi bien balancer sa fortune dans la Tamise que je n'y verrais aucun inconvénient. C'est son fric, pas le mien.

Le lendemain, je me prépare pour aller chercher nos chiens, avec Cyan. On a économisé pendant des mois pour s'offrir nos boules de poils. On l'avait prévu depuis tellement longtemps, on savait déjà leur nom avant même qu'ils naissent! Du coin de l'oeil, je fixe la boite noire, qui était auparavant un bac de glace au citron, remplie d'argent. Est-ce une bonne idée? Dois-je vraiment acheter un chien si c'est pour l'abandonner en me foutant en l'air?

- En fait, on a bien fait de ne pas l'acheter en France, Lupin, dit Cyan dans le métro. Certes, on était sûres qu'il est bien pure race, mais là, il l'est aussi, et sept cents livres moins cher! On a intérêt à leur apprendre à s'aimer super vite...

- Plutôt intérêt, ouais. On nous avait prévenu qu'un Akita mâle ne doit pas être avec d'autres mâles, peu importe la race.

Et comme d'habitude, on ne fait jamais rien à moitié. Deux gros chiens réputés pour être certes beaux et adorables, mais aussi sauvages et indépendants.

On arrive sur le lieu de rendez-vous un peu en avance, et j'ai le coeur qui bat à fond dans ma poitrine, excitée comme une enfant. C'est mon premier animal de compagnie à moi. Et quand la femme arrive pour nous conduire jusqu'à la SPA qu'elle tient avec son mari, je lance un regard impatient à Cyan, la boite à argent tintant joyeusement dans mon sac.

- Pour l'Akita Inu, tout est déjà bon, pareil pour le Husky Sibérien. Vous n'avez plus qu'à remplir les papiers...

En remplissant la petite fiche, signe que je deviens propriétaire, j'ai une angoisse profonde qui remonte du fin fond de mon coeur. Je me rappelle à quel point j'ai été tétanisée de remplir une autre fiche, cinq ans plus tôt, sous le regard désespéré et méchant des médecins présents. Je n'étais qu'un enfant qui ne comprenait plus trop où elle en était. Une enfant qui tomberait définitivement en enfer quelques heures plus tard.

Hannah, souriante, se penche et donne une caresse à chaque chien en guise d'au revoir. Elle aime quand les chiens abandonnés retrouvent un foyer. J'attache le collier autour du cou de Boo Radley, âgé de sept mois. Il est déjà gros, et son regard bleu clair me scrute, méfiant et pourtant heureux, impatient d'aller dehors. Boo; à qui je promets du regard de m'occuper de lui aussi bien que je ne l'aurais fait avec mon enfant.

A l'appartement, nous sommes joyeuses, mettant enfin les croquettes et l'eau dans les gamelles que nous avions acheté il y a trois mois. Lupin, qu'on a appelé comme ça à cause de Harry Potter, a déjà trouvé sa place sur le tapis d'entrée, alors qu'ils ont chacun un gros coussin, et Boo visite l'appartement en remuant joyeusement de la queue. Je redoute un peu de les abandonner pour aller au travail, je n'aime pas les savoir seuls.

- T'es vraiment une gamine, riais-je à la figure de Cyan. Les jouets sont pour les chiens, pas pour toi! Alors arrête de faire pouêt-pouêt avec ce cochon!!

Elle hurle de rire.

En début de soirée, l'engouement est un peu retombé, et après le repas, mon moral aussi. Je n'arrive pas a gérer ces brusques revirements de situation, ça me vient d'un coup, je peux passer du rire aux larmes en moins de deux. Je fais tout pour ne pas y penser, dont le ménage et un peu de sport, et même la balade des chiens ne m'a pas calmée.

Une seule chose me fait envie dans l'immédiat, mais mes cuisses sont encore douloureuses de la veille, et malgré ma haine de moi-même, j'ai assez de contrôle sur l'incontrôlable pour ne pas risquer un séjour aux urgences.

Je suis donc en train de lire un DC Comics quand Boo pousse ma porte entrouverte du bout du museau. D'un simple regard, il me jauge, puis saute sur mon lit avant de se coucher près de moi, la tête sur ma poitrine. Il n'a donc pas eu de problème à intégrer que j'étais sa nouvelle maitresse, ni à repérer ma chambre, à priori. Sympa le gros doudou qui réchauffe.

- Tu vas être un sacré numéro, toi, lui dis-je en refermant mon livre de super-vilains.

Il est à peine minuit, et je tombe déjà de fatigue. Seule la lampe lava verte illumine la pièce alors que je fais un tour sur les réseaux sociaux. Rien de bien palpitant. La vie des gens est misérablement faite de débilités et d'intérêts futiles.

Je mets donc un peu de musique en espérant intimement recevoir un message de Shannon, mais rien, silence radio, alors qu'il a maintenant mon numéro.

Ca craint de se dire qu'il m'est devenu presque normal de l'avoir près de moi en si peu de temps.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant