Chapitre 93 [Shannon]:

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- Laisse moi t'aider à vivre! Je te ferai vivre.

Elle se crispe et détourne le regard. J'aurais envie de lui hurler de me faire confiance, qu'on pourrait être bien les deux, mais elle me hurlerait sa rengaine habituelle, à savoir: Je ne veux pas vivre, Shan! Il est déjà trop tard!

Et je ne veux pas la croire. Il n'est pas trop tard. Elle a déjà changée, même si elle ne s'en aperçoit pas. Du coin de l'oeil, je la regarde jeter des coquillages dans l'eau, percutant les vagues, le menton sur les genoux. A quoi pense-t-elle? Elle fait si jeune.

Mais c'est encore une enfant, Shannon! Je crispe les poings à ce souvenir. Ma mère est toujours réticente pour nous, je hais être en froid avec elle.

- Je t'aime, Shan.

J'inspire brusquement et m'étouffe avec un brin de pollen que j'ai avalé sous le choc. Merde! La Terre semble avoir changé d'axe et le paysage semble tourner autour de moi. Jai n'a pas bougé, toujours dos à moi, voûtée, à l'autre bout de la serviette.

Allongé, les bras en croix, je regarde le ciel d'un bleu limpide, qui se fond dans celui, foncé, de l'océan. En six mois, aucun mot de ce genre. Je me suis demandé plusieurs fois si elle pouvait éprouver ce genre de sentiments... et puis, ça...

Je l'attire près de moi, pour qu'elle soit face à moi. Allongés comme ça, nos pieds se font régulièrement touchés par les vagues, et l'eau est froide... mais peu importe.

Ses yeux sont d'un gris métallique, aujourd'hui, aucune trace de bleu. Ma main sur sa joue, je l'embrasse comme si demain signait la fin. Il pourrait se passer n'importe quoi, ma tête fixe sur la priorité que Jai m'aime! Elle m'aime, bordel!

Vingt-sept ans nous séparent, mais j'en ai plus rien à faire. Je veux croire à ceux qui disent que l'âge n'a jamais empêché l'amour, que ce ne sont que de vulgaires chiffres parmi d'autres.

Elle se recule, haletante, le teint écarlate.

- Pour de vrai? Demandé-je, timide.

- Plus que jamais, dit-elle en enfouissant son visage dans mon cou.

Mes bras s'enroulent autour de son corps, une odeur de sel s'est déposée sur sa peau. Les vagues continuent de s'abattre avec un doux bruits, les bruits de la ville et sur la plage ne s'atténuent pas, mais notre monde à nous s'est arrêté.

Je suis bien. Osmose totale. Ca me fait toujours une étrange sensation de savoir que quelqu'un m'aime... mais je me sens le roi du monde.

- Je t'aime, Jai.

Un murmure enroué qui contraste avec la voix ferme avec laquelle elle m'a annoncé ses sentiments. Elle en est sûre. Elle ne doute pas. Ca y est, c'est dit. Même si je n'avais pas besoin qu'elle me le dise pour le ressentir à travers ses gestes.

C'est toujours bien de l'entendre. Et je ne lui dirais certainement pas tous les jours. Je suis pudique de mes sentiments, très réservé et timide... Ca m'a posé pas mal de problèmes avec toutes mes autres copines, parce qu'elles étaient coeurs tendres.

Mais avec Jai, ça ira.

- Pas capable d'aller te baigner...

Je ricane quand elle relève la tête, d'humeur joueuse. Jai aime les défis, aussi stupides et dangereux soient-ils. Elle retire son débardeur blanc et s'élance dans l'eau pour y plonger sans hésitation.

Elle refait surface à dix mètres de moi, en soutien-gorge, pas gênée. Je retire mon t-shirt et la rejoins, en essayant de faire abstraction de la froideur de l'eau. Peu de gens se baignent, et les seuls à l'eau sont les surfeurs avec leurs combinaisons.

Mais avril est une bonne période pour se baigner en toute tranquilité.

Elle s'accroche à moi et ses lèvres ont le goût du sel. Elles ont le goût de la vie. De l'eau s'accroche à ses cils et le soleil miroite sur sa peau humide. Elle hurle de rire et bat des jambes quand je la balance à l'eau, et je la trouve belle... Même quand elle refait surface en braillant des insultes.

- Je voudrais déménager, dis-je.

On sèche au soleil en frissonnant, du sable plein les cheveux. A quelques mètres de nous, les surfeurs ont fait un feu et jouent de la guitare. J'aime énormément L.A, et si je n'étais pas venu ici, il y a fort à parier que je serais mort ou en prison, mais je ne me vois plus vivre ici.

Pas sans Jared, pas sans la musique.

- Tu veux aller où?

- J'hésite entre un châlet dans les montagnes du Colorado ou la Louisiane. Quelque part où on pourrait être tranquille.

- Et Black Fuel? Il n'est même pas ouvert que tu songes à partir!

- Pas dans l'immédiat. Je vais voir si ça marche et si les employés sont compétents... Je veux juste prendre un peu d'avance, ça pourra faire maison de vacances en attendant.

- Tu m'épuises, dit-elle en roulant des yeux.

- Pourquoi?

- Parce que tu dépenses trop d'argent. Je ne te reproche rien, c'est le tien... mais c'est pas naturel pour moi! On dirait que tu joues à un jeu!

Je dépense parce que je sais ce que c'est de ne pas pouvoir s'offrir ce que l'on veut. Je dépense pour avoir toujours plus de choix, pour exister... J'en sais rien. Je le peux, et je ne vais pas m'en priver.

Je veux juste ne rien regretter. C'était un des mantra du groupe, après tout, non?

Plus tard dans la soirée, alors que Jai discute avec Cyan, je contemple les photos de mon enfance, agrandies et encadrées, qui me crèvent le coeur. Deux bébés. Deux petits garçons. Deux adolescents. Deux adultes... Aujourd'hui ne reste qu'un homme vieux et fatigué en quête de la vie.

Moi.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant