Chapitre 79 [Shannon]:

114 9 0
                                    

Un grand fracas me réveille en sursaut. Je bondis du lit, nu, et mon regard se pose sur Jai, qui vient vraisemblablement de jeter un coup de poing dans le mur.

- Pas de question, grogne-t-elle.

Samedi, neuf heures treize. Qu'est-ce qui lui arrive? Elle est déjà habillée et ses cheveux sont humides, et l'autre côté du lit est froid. Ca fait déjà donc un bon moment qu'elle est debout.

Mon regard se pose sur ses vêtements de sport, par terre dans un coin.

- Je peux au moins te demander si ça va?

Jai soupire, se passe une main dans les cheveux et pose son regard sur son bureau couvert de papiers avant de me regarder.

- Hmm. Bien dormi? Tu veux déjeuner?

Je déteste sa façon d'esquiver cette question, même si je sais qu'elle répondra toujours oui, même si c'est non. Et si? Je n'ai pas envie de remettre ça sur le tapis, pas une semaine après.

- Je veux bien un café, dis-je. Tu as mangé?

- Pas encore.

- Je ne comprends pas comment tu fais pour courir à jeun...

- Question d'habitude, soupire-t-elle.

A la cuisine, je m'occupe de préparer le café pendant qu'elle tourne en rond, soucieuse, les sourcils froncés. Parfois, j'ai envie de la secouer un bon coup pour qu'elle se décide à me parler, mais ça ne servira qu'à la brusquer.

- Tu ne vas pas me dire ce qu'il se passe? Soupiré-je.

- Y'a rien. J'ai juste rendez-vous chez le médecin à onze heures.

Elle se ronge les ongles, appuyée contre la fenêtre. Un rayon de soleil réchauffe la pièce et des oiseaux chantent. C'est une de ces journées que j'aime, parce qu'elles annoncent le printemps. Je n'aime pas le froid, je n'y suis pas habitué en Californie, même si les nuits sont plutôt froides en hiver.

- Pourquoi?

Regard noir. Elle fait le tour du salon, ramasse les jouets des chiens, leur donne une caresse et passe l'index sur la tranche des livres de la bibliothèque en passant devant, angoissée.

- Ils veulent savoir si j'ai une hépatite.

J'en recrache mon café sur le bar et tout le reste me coule le long du menton et sur le torse. Merde! C'est seulement maintenant que je pense au fait que nous ne savons même pas si l'autre est clean.

- Pas une MST, crétin. Juste par rapport à... Enfin, une hépatite médicamenteuse, quoi.

Je relâche tout l'air que je retenais dans un grand soulagement. Même si l'inquiétude pour son état de santé me ronge, je suis stupidement soulagé de savoir qu'on exclue ce genre de merde. Va vraiment falloir que je fasse une prise de sang.

- Demande lui une contraception, en même temps, dis-je en essuyant le café. Et une prise de sang.

Elle roule des yeux, mi-exaspérée, mi-amusée. Je comprends que ce n'est pas le moment de parler de notre sexualité, mais ce n'est que maintenant que j'y pense.

- T'es un putain de pervers, tu le sais, ça?

- C'est toi qui dis ça? Ricané-je.

- Donc si je comprends bien, adieu les capotes?

Je hoche la tête, souriant comme un enfant pour essayer de la détendre. Je n'aime vraiment pas la voir comme ça... et son stress a tendance à me contaminer.

- Fais-en une aussi. Et s'il y a quelque chose, on deviendra copains de MST.

- C'est pas marrant.

- Non, mais t'as pas attendu de savoir pour rouler en décapotable!

Un seul regard entre nous, et notre fou rire fait un bruit d'enfer. Heureusement que Cyan est chez Dan le week-end, même si elle se lève toujours avant nous.

- Je viendrais avec toi, dis-je. Je suis sûr que ton médecin ne pourra pas résister à mon charme.

- Non, c'est sûr. Monique n'a sûrement pas vu de spécimen masculin depuis des décennies. Elle sera ravie de te tripoter.

En deux pas, je suis contre elle, à l'embrasser, la fermeture Eclair de sa veste froide contre mon torse.

- Tu sens bon... j'ai envie de toi.

- Je vais finir par croire que tu as envie de moi seulement quand j'utilise ce gel douche.

Sa moue amusée adoucit pourtant son ton d'où le dédain perce.

Puis son visage se ferme. Elle crispe les paupières très fort, et l'angoisse commence à me nouer la gorge. Le torrent de larmes qu'elle a versée à l'hôpital reste dans mes pensées en permanence. Je déteste y repenser. J'ai failli me mettre à pleurer aussi, ce jour-là, mais ça n'allait pas lui rendre service... et paye la fierté.

- Ca va aller, ok? Chuchoté-je.

- Je sais... J'espère... Mais si j'avais quelque chose, je le saurais, non?

J'en sais rien, parce que je ne connais pas cette branche-là. Je ne me suis jamais intéressé à la médecine, je suis à peine capable de pouvoir citer tous les os du squelette.

Alors Jai le médecin prend la place de Jai l'angoissée, et je l'écoute attentivement me décrire l'effet néfaste, voire mortel, d'une trop grande dose de paracétamol sur le foie... Une hépatite fulminante nécessite généralement une transplantation d'urgence. Son ton est détaché, elle déverse un tas d'informations comme si elle ne risquait pas elle-même ce genre de chose.

- C'est pour ça qu'il ne vaut mieux pas se rater, dit-elle amèrement.

- Tu m'en veux?

Elle détourne la tête, les yeux baignés de larmes. Elle a beau rester debout, sourire, continuer à vivre, elle n'en reste pas moins une gamine de vingt ans à qui la vie n'a pas fait de cadeau.

- Est-ce que tu m'en veux de t'avoir sauvé?

Mes mains contre ses joues, je la force à me regarder. J'ai besoin de savoir. J'ai besoin qu'elle me parle. Qu'elle arrête de me maintenir à l'écart comme elle s'obstine à le faire.

- Oui.

Un étau se resserre autour de ma cage thoracique. J'en suffoque de douleur.

- Jai, je...

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant