Bonus 12 [Shannon]:

87 6 2
                                    

Les cris du bébé me réveillent en sursaut de ma sieste, mon seul sommeil depuis sa naissance. Je grogne, m'étire, et traine des pieds jusqu'à la petite chambre peinte de gris et jaune.

Rayon hurle à pleins poumons, le visage tout crispé et rouge.

- T'es pire que ta mère, grogné-je.

- J'ai entendu, braille la concernée au salon.

J'emmène Rayon jusqu'à Jai sans prendre la peine de le faire taire, parce tout ce qu'il veut, c'est manger. Et il n'y a que la nuit que je peux le faire de moi-même, quand Jai peut dormir parce qu'elle stocke son lait en biberons.

On est tout deux épuisés, mais quand je regarde mon fils, je ne peux pas lui en vouloir. Il est tout ce que j'ai toujours voulu, et même si du haut de ses deux mois il s'en fiche, moi j'ai plutôt hâte de partager du temps avec lui.

Couché sur le canapé, une girafe en caoutchouc et un doudou sur le torse, je regarde Jai, coupée du monde. Elle n'a d'yeux que pour son fils, notre bébé, qui crispe son poing sur la poitrine de sa mère, avant de lentement déplier son majeur.

Sale habitude.

- Il me fait encore un doigt d'honneur.

- Parce que tu mates mes boobs.

- Ils n'ont jamais été aussi gros, j'en profite.

Elle ricane et baisse son t-shirt alors que Rayon se rendort déjà, parce qu'il préfère confondre le jour et la nuit. C'est assez agaçant.

A vrai dire, Jai me manque. Nos moments me manquent. J'ai l'impression que nous ne sommes plus que des parents, alors que nous étions un couple avant d'être père et mère.

Je peux compter nos moments intimes depuis la naissance sur les orteils de mon pieds droit. Quatre. Ceci dit, c'est pas comme si Travis et Tomo ne m'avaient pas mis en garde.

Je veux bien comprendre que c'est difficile d'avoir envie de sexe entre les tetées, la cicatrice de la césarienne et son utérus qui s'est reconverti en chutes du Niagara, mais merde quoi.

- Bonjouuuur mon petit coeur! S'écrie ma mère en arrivant.

- Hey, maman!

- C'est à Rayon que je parlais! Oh oui, papa prend toute l'attention, ce gros jaloux! Comme tu as grandi... Que tu es beau dans ce body! Et ce sourire...

Ma mère prend Rayon dans ses bras et le couvre de baisers, et je ricane fort parce qu'elle l'a vu pas plus tard qu'il y a trois jours. Quand je dis qu'il n'y en a plus que pour le bébé...

J'en profite que mamie gâteau soit de garde pour attirer Jai dans le jardin, là où la piscine me fait de l'oeil. C'est là que je veux lui rappeler qu'elle est ma femme, et que je reste son mari avant tout.

- Shan...

- Laisse toi aller, chuchoté-je. Laisse-moi te faire du bien. Laisse-moi t'aimer.

L'eau est plutôt froide pour un mois de mai en Louisiane, mais j'en ai rien à faire. Elle enroule ses jambes autour de ma taille et gémit quand je m'empare de ses seins. Elle rit quand j'ai du lait plein la bouche, et je l'embrasse en glissant en elle, en sachant que nous sommes invisibles depuis les baies vitrées du salon.

Et de toute façon, je suis chez moi.

- Putain, t'es tellement serrée.

- Tais-toi, Shan... Et baise-moi avant que je ne te viole ici dans le jardin.

Le soir venu, je l'écoute chanter dans la cuisine, Rayon dans les bras et une cuillère dans l'autre main, pour remuer sa bolognaise. Une mère multi-tâche. Une héroïne de la vie de tous les jours.

Mon fils aime le rock, seulement quand c'est sa mère qui chante, parce que Jai a une voix douce quand elle chante, ce qu'elle fait tout le temps... Et je l'écoute chanter Watching for Comets.

Mon regard glisse vers une photo de Jared.

- Heureux, p'tit frère?

Parce que moi, je crois que ça va. Je me sens même heureux. Grâce à eux, qui ont rendu mon existence supportable. Putain, j'étais si loin de tout ça, il y a un an et demi, si loin de me douter que la vie continuerai en m'apportant du bonheur.

Il me manque, mais la culpabilité m'écrase moins qu'avant, et le fait de lui parler, devant sa tombe, aide à guérir mon chagrin... ainsi que de voir un psychologue. Jai voit une psychiatre aussi, c'est le seul moyen de faire table rase du passé.

Je ne sais pas si ça l'aide énormément, parce qu'elle a beaucoup de pression sur ses épaules, et énormément de chagrin, mais je découvre une partie plus lumineuse d'elle depuis peu.

- Tu veux pas me chanter une chanson, à moi aussi? Demandé-je alors qu'elle se couche.

- J'ai l'impression d'élever deux gosses, râle-t-elle.

Elle ricane et se blottit contre moi en soufflant. Elle cherche ma tendresse. Ses mains parcourent mon corps avec une lenteur à la fois horrible et magnifique. Son souffle chaud contre ma peau, ses lèvres suivent un chemin qui n'est connu que de Jai.

- Qu'est-ce que tu fais? Demandé-je, la voix un peu étranglée.

- Je veux mémoriser chaque partie de toi.

- Tu me connais déjà entièrement.

Elle ne m'écoute plus, et je la laisse effleurer et embrasser chacun de mes grains de beauté, chacune de mes cicatrices. Tout y passe. J'ai une érection terrible.

Son front posé contre mon torse, elle expire doucement, les mains crispées sur mes biceps.

- J'en aurai jamais assez de toi.

- Tu deviens romantique? La taquiné-je.

- Nan, j'ai décidé d'être sincère.

Je l'attire et moi et inverse nos positions, l'écrase sous mon poids, guide ma queue en elle et m'enfonce dans sa chaleur. Au plus profond d'elle. Je pourrais aussi bien transpercer son âme.

- Ça tombe bien, je me lasse pas de toi non plus.

Plus tard, vers 3h40 du matin, Rayon tète son biberon contre mon torse, et mon regard passe de mon fils à ma femme. Et je me demande si Jared peut voir tout ça, s'il continue à contempler la vie maintenant qu'il n'est plus obligé de la supporter.

Je vis pour tous, j'ai l'impression. Pour ma mère, pour mon frère. Pour Jai et Rayon.

Mais ça ne me pose plus de problèmes, maintenant. Je suis heureux. Même la corde nouée en noeud coulant retrouvée au garage ne changera ça.

Et dire que je voulais me pendre. En finir. Maintenant, la corde a été brûlée... Et moi, je continue à vivre.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant