Bonus 5 [Shannon]:

78 4 0
                                    

Jai enfonce son index dans les orbites d'un de mes crânes de décoration, puis deux, puis le crayon à papier qu'elle mâchouillait. Jared faisait pareil. J'ai toujours un sale coup au coeur quand les souvenirs remontent en puissance.

J'essaie de penser à de meilleures choses. Je ne dois pas m'enfoncer dans mes souvenirs, c'est un puits sans fond.

- Te perds pas, Shannon, chuchote-t-elle.

Elle sait mieux que quiconque quand je suis sur le point de péter un plomb. Et elle ne m'appelle Shannon que quand le moment est grave. Je déteste qu'elle lise en moi comme dans un livre ouvert, même si elle connait mes secrets.

Penser à autre chose.

Comme tous ces matins où Jai dort et que je file faire du yoga, et qu'elle fait exprès de débouler quand je suis tête en bas en appui sur mes avant-bras pour, au choix, soit me mettre un grand coup de reins pour que je tombe, soit une claque de bonhomme sur le cul, ou se mettre à ma hauteur pour m'embrasser.

Ou comme la fois où elle m'a appelé au téléphone alors que j'étais au salon, la voix hachée par l'effort. Elle s'était enroulée dans l'épaisse couette, n'arrivait plus à en sortir et ne pouvait plus respirer. J'étais tellement mort de rire que j'ai mis de longues minutes à la libérer.

Mais ça ne marche pas. J'entends Jared me dire que je le surprotège trop, que je l'étouffe... Puis sa petite voix, trois jours plus tard, qui me demande quand je rentre alors que j'étais en tournée avec un DJ.

Ai-je été un bon grand frère? Non, pas vraiment.

Puis je repense à la tentative de suicide de Jai, à ses larmes, à sa douleur.

Je n'ai pleuré que bien plus tard dans la nuit, quand j'ai été sûr que Jai était trop enfoncée dans son sommeil médicamenteux pour m'entendre. Des larmes grosses comme celles d'un gamin en proie à un chagrin terrible qui ont trempées son dos et son t-shirt, des sanglots restés coincés dans ma gorge alors que je respirais par la bouche pour essayer de me calmer.

J'ai pleuré pour elle, pour moi, pour ce qui aurait pu être et ce qui ne sera jamais, pour ses failles et les miennes. Pour Jared. Pour tout ce que j'avais accumulé toutes ces années.

Ça faisait mal. Aussi mal qu'avancer en âge et ne plus vouloir d'autres douloureuses années.

- Fais-moi oublier...

Mon ton est presque suppliant, mais elle est sur moi en moins d'une seconde.

C'est notre signal d'alarme personnel. Ça marche plutôt bien, la plupart du temps. Du sexe, ou juste une étreinte, au lieu de cachets ou de mutilation.

Une nuit, allongés dans l'herbe après avoir fait l'amour dans le jardin, elle a pointé l'étoile la plus brillante, Polaris.

- Peut-être que chaque étoile renferme un monde entier, a-t-elle chuchoté.

J'ai trouvé ça angoissant, puis merveilleux, parce que mon horizon s'élargissait encore, ce que je refuse parfois de faire parce que l'inconnu fait peur.

- Sois un gentil garçon et laisse-moi faire, chuchote-t-elle avec un grand sourire.

- En plein milieu du salon?

- Ouais.

Je comprends ce qu'elle aime dans le BDSM. Parfois, moi aussi j'aimerais qu'on me fasse mal pour que j'oublie. Parfois, je me dis que ce serait plus simple de laisser le contrôle à quelqu'un d'autre... mais ma fierté me l'interdit. Personne ne me frappe, personne ne m'introduit quoi que ce soit dans le corps, et personne ne décide de quand je dois baiser ou jouir.

Le cuir froid du canapé me donne des frissons quand elle vire mes vêtements, mais je ne m'en occupe pas. Tout, plutôt que me souvenir. Je maintiens le contact visuel, pour ne pas me perdre.

La vision de Jai me chevauchant doucement me fait bander à mort.

- T'as trop de vêtements...

- Et toi, tu parles trop, réplique-t-elle en me jetant son soutien-gorge à la figure.

Elle rit doucement, nue, et ses cicatrices brillent au soleil. Chacun de ses tatouages est mis en valeur par sa peau pâle. Mon préféré est cette spirale de mots et phrases en Latin qui court autour de son biceps droit.

Ou peut-être la planète Mars sur son poignet, le dieu Romain de la guerre, celui qu'elle préfère.

Je grogne fort quand elle s'empale doucement, trop doucement, sur moi, ses doigts caressant mes couilles. Je lui serre les poignets contre mon torse et ferme les yeux pour profiter de la sensation, au moment où la porte d'entrée claque.

- Shannon chéri, Jai, c'est maman.

Je jure entre mes dents et plaque Jai contre mon torse pour chercher ensuite le plaid, d'habitude toujours ici. Merde, merde, merde! On est emmerdé une fois sur cinq quand on baise!

Jai considère ma mère comme la sienne, ce que j'aime. Mais pas pour le moment, alors que je veux juste qu'on nous foute la paix!

- Maman, attends dans le jardin, s'il te plait.

- Vous êtes au... Oh. Ok.

Je l'entends rire et appeler les chiens puis fermer la baie vitrée. Ah.ah.ah. Ça me fait pas rire, moi. Jai ricane à son tour, les joues rouges.

- On remettra ça plus tard.

- Hors de question, dis-je en poussant en elle.

Sa bouche forme un o parfait quand elle est sur le point de jouir, ses doigts crispés autour de mes avant-bras, ses ongles plantés dans ma chair. Son souffle est chaotique et ses yeux se révulsent.

Mon propre orgasme est comme un raz-de-marée, et balaie toutes mes pensées, bonnes comme mauvaises. Nos corps en sueur sont les seuls témoins de notre cauchemar éveillé.

Jai s'affale contre moi et je l'entoure de mes bras, toujours en elle, le souffle court.

- Mieux? Souffle-t-elle.

- Beaucoup mieux... File-moi mon boxer avant que je ne flanque une crise cardiaque à ma mère.

Elle me le lance et ricane avant de filer hors de la pièce, me laissant seul avec un plaid sur mon corps à moitié vêtu, somnolant.

Je suis content d'avoir Jai la psychopathe. Elle m'offre un peu de lumière pour m'extraire de mes ténèbres. Je me rends compte que j'avais besoin de m'accrocher à quelque chose pendant que mon petit univers se dérobait sous mes pieds, quand mes rêves se sont effondrés et que l'enfer a recommencé...

Et c'est tombé sur elle.

Ma mère entre discrètement alors que je suis dans mon espace post-orgasme, entre sommeil et éveil. Elle me lance un sourire que je lui retourne, gêné, puis me tourne pour dormir un peu ou juste échapper à son regard.

Jai joue de la guitare sur la terrasse, j'entends les doux accords de Kings and Queens qu'elle a modifié pour que l'air soit plus mélancolique.

Ma mère lit une de mes revues, les chiens font la sieste au soleil, Jai termine la partition de Roads Untraveled pour jouer du Muse, qu'elle a appris juste pour Cyan.

Même si ça n'arrange en rien mon cas, je me dis que ça pourrait être pire.

Je ne crois pas qu'on puisse rater ou réussir sa vie, et je ne suis pas sûr qu'elle ait un quelconque sens. C'est vivre, sans doute, qui a du sens.

---

NDA: Du sexe spécialement pour l'anniversaire de Shannon, OH MON DIEU Joyeux anniversaire Shan, merci d'avoir fait de nous des Echelons (amen) et d'être aussi sexy! 😂💖🎉 #48YearsOld

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant