Chapitre 65 [Jai]:

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- Mais la vie fait mal, Shan! Crié-je soudainement dans le téléphone. Je me réveille tous les jours et j'ai mal. Je vais au travail et j'ai mal! Sais-tu combien de fois j'ai pensé à juste abandonner? A combien de fois j'ai pensé à en finir?

Mon souffle fait de la buée dans l'obscurité et mes pieds sont gelés, mais qu'importe? J'ai le coeur serré, les épaules tendues. Comme à chaque fois, je sais que c'est le moment. Je suis shooté à ce mélange atroce de résolution, de stress et de calme.

Ca s'appelle le lâcher prise, et c'est la pire chose qui soit... parce que rien ne peut m'arrêter. Et Shan sait, même loin, que mon instinct de survie m'a quitté. Je ne veux plus me débattre pour tenter de garder la tête hors de l'eau.

- Je vais arriver, d'accord?

- Non, ça va... je suis juste fatiguée.

Il ne me croit pas, mais il ne peut rien faire. Il est loin, trop loin, et le temps qu'il arrive, tout ira mieux pour moi. Je ne veux pas me laisser envahir par le doute et les remords, pas cette fois encore. Ne pas penser à eux, même si ça fait mal. Pourquoi a-t-il fallu que je m'accroche à lui? Pourquoi ne suis-je pas tout simplement seule sans personne de qui me soucier? Tout serait tellement plus simple!

Mon sac en papier à la main, je cours jusqu'à l'appartement, bousculant au passage deux ou trois personnes sans prêter attention à la pleine lune qui brille vivement dans le ciel.

- Comment allez-vous aujourd'hui, mademoiselle? Demande la concierge.

Merde. Pourquoi faut-il qu'elle soit toujours dans les parages, cette vieille bique?! Je soupire et sors mon plus beau sourire tout en serrant le sac dans ma main. J'ai dû faire trois pharmacies pour avoir une bonne dose de cachets sans éveiller les soupçons.

- Bien, et vous?

Elle commence à me raconter à quel point ses chats sont malheureux de ne pas pouvoir sortir quand il pleut, puis demande des nouvelles de Cyan et me dit être contente de savoir que je vais bien. Je ricane intérieurement... Mentir pour me sauver la face alors qu'il n'y a plus rien à sauver de moi. N'est-ce pas stupide?

Je marmonne une excuse pour pouvoir lui échapper et m'engouffre dans l'ascenseur alors que mon téléphone sonne encore et encore. Shannon. Shannon. Shannon. Je ne réponds pas. Je ne veux pas qu'il devienne un des maillons de la chaine dans laquelle je m'emprisonne... Même si tout au fond de moi, je sais qu'il est devenu un des maillons le plus solide.

J'ai toujours préféré tout lâcher avant que ça ne me pète à la gueule, et là, il y a urgence face au danger que je suis pour moi-même.

Je donne à manger aux chiens et leur donne une caresse, dans un état second. Je suis une machine. Ma conscience s'en est allée.

Tout est propre. Trop propre. Dans ma chambre, rien n'est à l'image de ce qu'il se passe dans ma tête. D'un revers de main, tout ce qu'il y avait sur mon bureau gicle, j'explose l'arbre en verre soufflé, tous mes livres finissent par terre, mon réveil se retrouve éclaté contre le mur, et j'abandonne tout ça. Voilà ce qu'il y a dans ma tête.

Terminé la fausse Jai. Terminé cette façade impassible qui cache une guerre.

Qu'on ne vienne pas me dire que rien ne vaut la vie.

J'anéantis vingt jours d'efforts, pour marquer le coup. Des traits rapides, profonds, consciencieux. Ils mettent quelques secondes avant de pisser le sang. Mon collant de laine n'absorbe même pas ce flot qui rugit hors de moi.

Faire passer les poignées de cachets dans ma gorge est difficile, mais avec beaucoup d'eau et de haut-le-coeur, ça passe. Plus, toujours plus. Une centaine de grammes d'antidouleurs.

Et la salle de bain n'est plus qu'un placard qui se resserre autour de moi.

Le carrelage sur lequel je m'affale est froid. J'entends les voisins du bas.

Un voile flou recouvre mes yeux.

La nausée. Les sueurs froides.

Le coeur qui bat à tout rompre, d'espoir et de lutte.

Et le rire de Sam qui résonne.

Je ne parviens plus à me souvenir de ce que j'ai fait de bien dans ma vie.

Je ne pense plus à eux.

Je ne rêve plus de lui.

Quelqu'un hurle, quelque part, loin.

Puis le noir.

J'en ai terminé.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant