Chapitre 101 [Shannon]:

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- Je viendrai t'emmener des affaires s'il le faut, mais dans l'immédiat, tu y vas.

Je hoche la tête, la bouche sèche. Un marteau s'est abattu sur mon crâne. Tomo garde son bras sur mes épaules tout le long de l'attente à l'aéroport. Mon sac ne contient que quelques vêtements achetés à la hâte il y a une heure.

Ma mère est morte d'angoisse depuis le départ précipité de Jai et la découverte de son mot à la cuisine. J'en suis malade. Je ne vois pas autre chose que le destin qui s'acharne avec férocité sur elle.

- Je prendrai le prochain vol, déclare Tomo. Il faut que je passe à L.A. Tu as besoin de quelque chose?

Cyan n'a pas survécue au déraillement du métro, comme une centaine d'autres personnes. Dan est blessé. Jai a pris l'avion sans me prévenir.

Je secoue la tête, suffoqué par le manque d'air que le choc inflige à mon corps. Je ne sais pas comment se déroulera la suite. Je ne sais pas si Jai part en France sitôt arrivée à Londres, ni si elle reviendra.

Cyan et Dan auraient dût venir ici pour dix jours. C'était censé être une surprise pour Jai. Au lieu de ça, je lui offre un enterrement. Si je leur avait conseillé un autre vol, tout aurait été autrement.

- Te blâme pas, maintenant va la rejoindre. Elle aura besoin de toi.

- Et si elle ne veut pas de moi? Grimacé-je. Elle va être vachement contente de savoir que sa meilleure amie est morte en venant la voir par surprise!

- C'était un accident... Tu ne pouvais pas savoir ni prévoir. Maintenant, vas-y avant de louper ton avion.

Passer la sécurité me donne une vague d'angoisse supplémentaire. Il me faudra attendre huit heures en plus pour voir Jai. En attendant, elle est seule. Seule avec la donne qui change une fois de plus.

- Souhaitez-vous boire quelque chose, monsieur Leto? Propose une hôtesse.

- Café noir.

- Quelque chose à manger?

- Non... merci, grimacé-je. Juste un café très serré.

La journée ne pouvait pas être pire. J'ai besoin de café, même si je suis déjà sur les nerfs et qu'il en manque peu pour que je me défoule sur quelqu'un ou quelque chose. D'abord Jeanne, puis ça.

Je suis agité tout le reste du vol. La musique ne me calme pas, aucun des films proposés n'est intéressant, ma voisine de devant ronfle super fort. Je ressens tout puissance mille.

A Heathrow, Jai ne répond pas au téléphone. Je commence à me demander si elle n'est pas déjà en France quand je vois de la lumière dans leur petit appartement de Harrison Street. Je n'ai aucun mal à me rappeler du code, mais je tombe sur la concierge.

- Jai n'est pas ici, dit-elle directement.

Je m'apprête à lui envoyer toute ma haine à la figure quand je me rappelle que son vol dure douze heures, quatre heures de plus que le mien, alors que je suis parti deux heures plus tard. Merde.

- Alors qui est en haut? La lumière est allumée et les fenêtres sont ouvertes.

- Leur ami, un garçon charmant. Son ami et Cyan étaient dans l'accident. Je suppose que vous êtes là pour les funérailles, mais Jai n'est pas là.

Je roule des yeux, la remercie et monte quand même au quatrième étage, l'angoisse au ventre. Qu'elle dise ça a rendue la chose plus réelle.

Onze mois jour pour jour après le décès de Jared, c'est au tour de Cyan.

Phil m'ouvre, les yeux cernés, pas coiffé. Lupin me bondit dessus, orphelin de maitresse. Ça me fait bizarre de revenir ici sans Jai. Et qui me dit qu'elle sera contente de me voir ici? Peut-être qu'elle veut être seule. Qu'elle ne veut pas me voir. Qu'elle ne supportera pas ce nouveau deuil.

- Comment ça se fait que tu soit ici avant Jai? Demande Phil.

- J'étais à New-York. Je compte aller la chercher quand elle arrivera. Je peux faire quelque chose?

Phil secoue la tête. Non, bien sûr que non, je ne peux rien faire. L'attente en soi n'est pas longue, mais elle dure deux siècles dans ma tête, la grosse horloge noire aux chiffres romains ne semblant pas avancer d'un iota.

- Je vais chercher Dan à l'hôpital, après.

- Comment il va?

- Deux jambes cassées, une sale entaille dans le ventre et des contusions. Rien de vraiment grave comparé à...

L'atterrissage du vol en provenance de Los Angeles est annoncé. Je tombe de fatigue. Je me suis rongé les ongles à sang, je redoute cette confrontation.

Et je n'ai pas le temps de réfléchir plus qu'une silhouette voûtée, protégée par des lunettes de soleil et une chemise d'homme rouge et noire, sort du terminal en trainant une valise noire.

Elle reconnait Phil, mais se fige quand elle m'aperçoit. Ne me fuis pas, Jai. Je suis là pour toi, pas pour t'enfoncer.

Sauf que, contre toute attente, elle se précipite sur moi et éclate en sanglots contre mon cou. Je laisse ses larmes couler sur ma peau, figé, impuissant contre les vagues de douleur qui la submerge.

- Elle est morte, hurle-t-elle dehors. Pourquoi?! Pourquoi je dois enterrer tout le monde?

Sa voix est brisée, et sans doute que son âme aussi. Son masque de scène est tombé, elle a le visage de ceux qui sont subi trop d'épreuves.

A l'appartement, elle se contente de s'écrouler sur le tapis de sa chambre avec Lupin. Elle ne comprend pas ce qu'il se passe, et elle le doit, pour rendre son chagrin plus réel.

- Ils allaient prendre l'avion pour venir te voir, dis-je doucement. Je suis désolé.

Elle se relève. Son teint passe de blanc à gris. Son poing se serre puis elle quitte la chambre à grands pas. Morte de l'intérieur. Plus abimée encore que si j'avais maintenu le silence.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant