Chapitre 51 [Jai]:

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Flashback:

Quand Eric, le frère d'Andrew, stoppe le contact, je me sens éclatée par la peur, figée d'horreur, assaillie par la fumée épaisse qui s'élève haut dans le ciel.

Andrew et Niamh sont enroulés dans des couvertures, à l'arrière d'une ambulance. Je saute hors de la voiture, suivie d'Eric, et mes jambes refusent de se mouvoir correctement, comme si j'étais dans des sables mouvants.

- Dégagez de là, aboie un pompier.

- C'est notre fille, s'écrie Niamh. Viens, Jai.

J'ai le coeur qui s'écrase d'amour et de chagrin à chaque fois que Niamh (se prononce Niv) m'appelle sa fille. Ce que je ne suis pas. Sauf que j'habite chez elle depuis six ans, et que j'ai appris à les considérer comme mes parents.

L'esprit embrumé par ma dose, j'ai du mal à saisir toute la gravité du moment. Je suis dans mon cocon, mais alerte.

Et c'est encore pire quand Andrew me serre fort contre lui malgré ma répulsion au contact.

- Ne regarde pas. Ne regarde pas. Je suis désolé. On a rien pu faire. I'm so sorry, sweetheart.

Il me cache les yeux, je me débats. Ses vêtements sont brûlés. Je cours en direction de l'autre ambulance, portes grandes ouvertes, et vers les deux gros ambulanciers qui font glisser une petite silhouette dans un sac noir, sur le brancard. Près d'un autre sac encore ouvert.

Un petit visage où la peau n'est plus que charbon et cloques. Une petite main toute recroquevillée. Des paupières fondues. Plus de cheveux. Une oreille en lambeaux.

Le monstre en moi rugit de terreur et de douleur, mais aucun son ne sort de ma gorge, déjà obstruée par une boule de chagrin qui m'empêche de respirer.

Impossible.

Ca ne se peut pas.

Ils avaient toute la vie devant eux. Batman et Robin devaient vivre jusqu'à 99 ans dans une ferme. Le Joker les auraient rejoint. On aurait regardé les étoiles.

Alors non, ce ne sont pas eux.

Mais la maison qui fume et s'écroule petit à petit me dit que si. La charpente noircie grince, semble être désolée. De ma chambre, il ne reste plus que le cadre de la fenêtre. Toutes les vitres ont été soufflées.

Un hurlement inhumain résonne.

C'est de ma bouche qu'il sort. Les graviers s'enfoncent dans mes genoux quand je tombe, et mes larmes arrosent le sol encore chaud.

On me tire en arrière, je hurle, je griffe, je frappe. Comme un animal blessé et pris au piège. C'est ce que je suis.

- On ne peut plus te garder. L'ASE te confie à une autre famille dès aujourd'hui. Je suis tellement désolée, Jai. Tellement, tellement désolée de ne pas te garder...

Une semaine s'est écoulée. Je sens encore l'incendie dans mes narines. Trois jours se sont écoulés depuis l'enterrement, les minuscules cercueils sont restés fermés.

- Je veux rester avec vous.

- Nous n'avons plus de maison. Tout a brûlé. On va devoir déménager, repartir de zéro. Plus tard, si tout va mieux, je ferai tout pour te récupérer, compris?

Niamh pleure autant que moi. Pour la deuxième fois de ma vie, on m'arrache à une femme qui m'aime comme son propre enfant.

- Regarde-moi Jai.

Lever mes yeux pour plonger dans les siens est une douleur atroce. Elle a encore un pansement sur la joue gauche. Ses mains sont brûlées, elles aussi. Elle a tout tenté pour les sortir de là.

Elle les a entendu hurler à la mort.

Elle n'a pas pu les sauver.

- Je veux que tu continue à te battre. Je ne sais pas à quel point ta douleur est grande, mais je veux que tu continue. Pour moi. Pour Andrew. Pour Amon. Pour Sam et Simon. Et pour ton bébé.

Je me dérobe quand elle mentionne mes frères, lui et Coquillette. Elle m'a pardonné depuis longtemps de lui avoir caché ma grossesse, et c'est elle qui m'a tenu aux urgences, quand la vie s'évaporait de moi dans une mare de sang.

Elle était là, après.

Mais Coquillette n'était plus là.

- Tu vas continuer à travailler, à gagner ta vie. Et un jour, ça ira mieux. On va s'en sortir, je te le promets. Construis-toi une jolie vie aussi, tu l'a mérité.

Ca n'ira jamais mieux. Elle ne sait pas ce que je cache sous mes vêtements. Elle ne sait pas où je traine la nuit. Elle ne sait pas que le monde tourne à l'envers pour moi. Elle croit que j'ai arrêté de me mutiler. Elle ne sait pas que je suis passé du shit à l'héro depuis Coquillette, et que depuis trois semaines, c'est l'enfer pur et dur.

Il me fallait quelque chose pour combler le vide. Mais rien ne va. Rien ne va depuis deux ans, tout s'empire. Je hurle de souffrance en silence, à l'intérieur, dans une douleur similaire à celle du manque.

J'étouffe.

Tout se casse la gueule. Plus aucune de mes tentatives pour me raccrocher ne tient la route. Plus d'autre solution que la glissade. Plus les moyens de m'adapter, et je n'ai que seize ans.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant