Chapitre 16 [Shannon]:

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- On bouge?

Avec Jai, jamais de formule de politesse ni de délicatesse. Je préfère ça que ces gens totalement hypocrites qui te demandent si ça va pour mieux t'enfoncer. Autant donc en venir au but tout de suite. De toute façon, c'est presque encore trop inutile, on pourrait tout aussi bien donner une heure et un lieu de rendez-vous avant de raccrocher, et ça serait tout aussi facile.

- Heu... je ne peux pas.

Sa voix est hésitante. Mes épaules s'affaissent. En un mois, elle n'avait encore jamais refusé un de nos rencards de dépressifs. Il n'est que vingt-deux heures, elle n'est donc ni au travail ni sur le point de se coucher... alors pourquoi je flaire le problème depuis ma chambre?

- Pourquoi? T'es dehors, en plus... j'entends le métro.

- Ca va, t'inquiète.

J'ai le coeur qui se crispe avant de s'accélérer douloureusement. Mon cerveau active l'alerte du danger et je cherche du regard des fringues propres, même sales, peu importe. Whitechapel. Le plus vite possible. La voix enregistrée indique le prochain métro dans cinq minutes, et quoi qu'elle fasse là-bas, elle n'a rien à y faire.

- Jai... Est-ce que tu as bu? T'as une voix bizarre.

- Non.

Je manque me casser la figure en enfilant un jeans troué que je craque un peu plus dans la précipitation. Pull. Chaussures. Clés. Les quelques clients de l'hôtel présents dans le couloir et le hall d'entrée doivent me prendre pour un taré tandis que je me rue dehors sous une pluie glaciale. Je bouscule quelques couples mais je continue à courir alors que tout mon corps proteste. Je ne suis pas en très bonne forme physique, il faut le reconnaitre.

Elle a raccroché.

Mes baskets trempées couinent et glissent sur les escaliers qui descendent dans la bouche de métro, et je manque une nouvelle fois de me viander. Je remonte la foule à contre-sens et me fait héler par un contrôleur près du distributeur de tickets. Merde, pas le temps. Je l'esquive sous ses cris et cours encore plus vite pour pouvoir sauter par-dessus les barrières, envoyant mon bras dans la figure d'un autre contrôleur qui me pourchassait. Mon ventre me brûle et j'ai le souffle court.

Je hurle son prénom sous le regard moqueur d'un groupe de jeunes. Ils ne me suivent plus.

Sur le quai, un autre groupe, deux mecs en costume, une dame âgée et... Jai, recroquevillée sur un siège, la tête entre les genoux. Je me précipite vers elle, et elle ne m'entend même pas quand je m'asseois vers elle, puisqu'elle a ses écouteurs. Elle est trempée, si bien qu'une flaque s'est formée sous elle, et quand je lui enlève ses écouteurs, elle sursaute et s'écarte vivement, les yeux écarquillés.

- Hé, c'est que moi. Qu'est-ce que tu fous ici?

Elle ne répond pas, fixe un instant le quai d'en face et arrête la musique. Son téléphone est la seule chose sèche qu'elle possède. Je frissonne, glacé jusqu'aux os. Un autre métro s'arrête, lâchant et engloutissant des gens avant de repartir.

Elle ne dit rien, ne fait rien, alors que je la ramène à l'hôtel, plus proche que chez elle.

- Va te doucher, je vais te passer des affaires.

Immobilité. Regard vide. Tout ce cirque me laisse perplexe, effrayé et énervé. Pourquoi est-elle trempée? Pourquoi, pourquoi, pourquoi est-elle comme ça?

Jai se contente de rester au milieu de la chambre, son téléphone tombé à terre avec ses écouteurs. L'image même de la solitude. A cet instant, j'aimerais pouvoir lui offrir une vie meilleure, lui rendre ce qu'elle a perdu et la faire redevenir elle-même.

Je la tire donc à la salle de bain pour la débarrasser de ses vêtements, que je jette sur le carrelage, on s'en occupera plus tard. Je l'aide à s'asseoir dans la baignoire que je remplis d'eau, avec la décence de lui laisser ses sous-vêtements... et découvre l'horreur sur ses jambes et son bras droit.

J'y fais pourtant abstraction, la regardant reprendre pieds dans la réalité, alternant le regard entre moi et l'eau.

- Qu'est-ce qui cloche chez moi? Murmure-t-elle.

J'évite son regard, conscient de l'étrangeté de la scène et de l'air chargé de tension autour de nous. Je reste pourtant accroupi contre le rebord, parce que lui dévoiler que j'ai une érection dans un tel moment n'est peut-être pas la meilleure idée qui soit.

- Ca va aller, dis-je doucement en passant mon index sur son tatouage.

Je trouve ça formidable qu'elle ait un tatouage au même endroit que moi sur le bras, couvrant exactement la même surface de l'épaule au coude, sauf que là où j'ai de l'art abstrait, elle a des dessins d'enfants. A qui? Pourquoi ce tatouage?

Je sais pourtant qu'elle ne me dira rien ce soir, alors je profite juste de pouvoir la toucher un peu.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant