Chapitre 43 [Jai]:

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Le repas s'éternise. J'ai mal au ventre.

Vicki est sympa, on a parlé de pas mal de choses, dont sa grossesse. J'ai cru un instant ne pas pouvoir retenir mes larmes. Elle attend son bébé avec impatience depuis des années, et voilà qu'il ne lui reste plus que quelques mois avant la grande rencontre.

J'ai pensé mille fois à la naissance de Coquillette... A ce que j'aurais pu ressentir. A son poids dans mes bras. A son visage. Mais depuis... je pense à tout ce que la vie a pu me voler.

Je voudrais pouvoir fuir. Courir aussi loin que possible d'ici. Je déteste les gens pour leur bonheur.

A côté de moi, Shannon éclate de rire au souvenir d'un jour de leur tournée. Une histoire avec un ananas, un froid de canard et un fou rire. J'ai pas tout compris.

Il a l'air heureux, mais peut-être que ce qu'il a bu motive ce sourire sur son visage.

Je n'ai pas de contraintes, plus de projets. Je ne suis pas étudiante et mon boulot ne vaut pas mieux. Lui, il essaie encore de garder la face, de mentir, de faire acte de présence, même dans un sale état.

Tomo sait-il que Shan a tenté de mettre fin à ses jours?

Je ne pense pas.

- Vous êtes en couple depuis combien de temps, alors? Demande celui-ci.

Je m'étouffe avec mon coca et les bulles me remontent dans la gorge et le nez. Je retiens de justesse un rot qui aurait promis d'être monstrueux avant de secouer la tête de gauche à droite.

Il n'a jamais été question de couple entre Shan et moi. Amis, sexfriends... Je ne sais même pas comment qualifier notre relation.

- Ca va faire deux mois, intervient Shan en me tapant dans le dos.

Mais il me lance un regard d'excuse. Il sauve la situation comme il peut. Ca fait déjà deux mois? Je me rappelle encore le premier soir, à sa silhouette voûtée sur le muret où je m'installais souvent.

Plus tard, je prends du temps pour sortir les chiens, faisant plusieurs détours. J'ai besoin de me vider la tête. Besoin de réparer le rempart de mes pensées que Shan s'obstine à démollir petit à petit. Il est resté avec ses amis, j'ai prétexté une migraine.

En pyjama, je me couche sur mon tapis et allume le projecteur, et je veux juste me perdre dans les constellations, les bras en croix, dans un silence apaisant.

- Un jour, j'irai sur la Lune, tu verras! Tu me regardera, Jai, hein?

- Ouais, bien sûr! Je raterai ça pour rien au monde! Petit Sam dans les étoiles...

- Moi je veux juste être un fermier, avec plein de tracteurs et de chevaux, pour faire du rodéo comme dans les films. Tu viendras avec ton mari et tes enfants, et on fera un feu avec pleins de bonbons! On regardera les étoiles, après.

- Est-ce que je pourrais venir aussi, Simon?

- Ouaiiiiis!

Je ne prends même pas la peine d'essuyer mes larmes. Le souvenir de Sam et Simon me fait encore trop mal pour que je puisse penser à eux avec bonheur.

Ils étaient trop jeunes. De minuscules gamins qui avaient encore besoin d'une veilleuse pour dormir.

Sam a réalisé son rêve. Il est quelque part là-haut, dans les étoiles. Et Simon est content, peu importe où il est, tant qu'il est avec son frère.

J'aimerais être avec eux à nouveau, et les serrer dans mes bras, revoir leurs yeux bruns et sentir l'odeur de leurs cheveux... Eux, plutôt que les deux petits corps carbonisés que je revois sans cesse dans mes cauchemars.

- Et les gens qui meurent, ils vont où?

- J'en sais rien, Sam. Peut-être dans un autre monde, ou dans les étoiles.

- Pas au paradis ou en enfer?

- Peut-être aussi. Personne ne sait. Tu veux croire à quoi, toi?

- On peut choisir?

- Pourquoi pas?

- Alors je veux les étoiles. Comme ça, je peux dire que papa et maman sont une étoile et les voir. Hein, je peux?

Sam était mon préféré, même si je les aimais comme mes frères. Des frères qu'on m'offrait du jour au lendemain. Il était angoissé pour tout ce qu'il ne pouvait pas expliquer, voilà pourquoi je lui ai dit qu'il pouvait choisir ce qu'il y a après la mort.

- Et Simon et moi? On va mourir aussi?

- Un jour, quand vous serez très vieux.

- Tu seras toujours notre soeur?

- Pour toujours.

- Et tu seras vieille comme nous? On pourrait habiter tous dans la ferme de Simon, hein?

Un hurlement de douleur reste coincé dans ma gorge. Je ne veux plus penser. Stop. Faut que ça s'arrête. Sa voix revient de plus en plus fort, tourne en boucle, et son rire résonne.

Il est heureux.

J'ai mal. Mon coeur va exploser tellement se souvenir fait mal.

Alors je hurle à m'en déchirer la gorge, pour faire taire Sam.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant