Fin Alternative n°1:

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En enfilant mon costume, je me dis que je devrais traverser cette journée dans un semi-coma. C'est peut-être même le seul moyen d'y survivre.

L'angoisse me ronge, le chagrin m'empêche de trouver le sommeil depuis quatre jours malgré les anxiolytiques et toutes les larmes versées.

Tomo a fait venir ma mère en urgence, la seule à avoir pu calmer mes crises de colère. Cyan est rentrée en vitesse, elle est démollie. Le monde s'est arrêté de tourner avec Jai, que je n'ai pas pu sauver, que personne n'a pu sauver.

I don't want to know the end
All I want is a place to start...

Je coupe la musique, suffoqué par chaque bruit, chaque odeur, chaque seconde.

Jai a refusé la greffe de foie quand sa santé s'est dégradée, puis la réanimation, quand le moment est venu. Elle a demandé à ce qu'on ne s'acharne pas, à ce qu'on ne prolonge pas les soins. Alors je l'ai regardé s'éteindre en quelques heures, impuissant, les machines bipant jusqu'à devenir silencieuses.

Elle a eu ce qu'elle voulait, et elle est en paix maintenant. Mais pas nous. Je me sens abandonné de tous. D'abord Jared, puis Jai.

Travis, venu lui aussi, pose sa main sur mon épaule. Son téléphone s'allume dans sa main, laissant voir une photo de son fils. Moi aussi, j'aurais voulu la vie. Pas la mort.

A l'église, j'étouffe encore plus. Les coudes sur les genoux, j'enfonce mes poings aussi fort que possible dans mes yeux pour m'empêcher de pleurer. Et j'échoue lamentablement.

Nous ne sommes pas beaucoup. Ses collègues de travail, ses parents d'accueil, Cyan, Dan et Phil, ses deux potes gays, ma mère, Travis, Tomo et Vicki, et moi. Et je hurle en moi. Je crie qu'ils sont tous là, qu'ils viennent alors que c'est trop tard, et qu'ils pleurent quelqu'un qu'ils ne connaissaient pas.

Ils n'ont jamais prêté attention à ses cicatrices, ou à son faux sourire, ou à son rire forcé, ou la façon dont elle se foutait des choses qu'elle adorait pourtant.

- Comment peuvent-ils? M'étranglé-je.

Ma mère me serre contre elle, le visage triste et affligé de ce que la vie lui inflige. Elle sait à quel point c'est dur.

Et Tomo lui a tout dit, et je lui ai dit le reste. Je lui ai dit que je n'avais pas insisté pour rester avec elle après qu'elle m'ait chassé. A quel point je suis coupable. Que j'étais amoureux. J'ai l'impression d'avoir tout perdu. Tout perdu... sauf la vie.

Et maintenant?

Le sang frappe dans mes oreilles, je serre fort un médiator dans mon poing.

- Je ne connaissais Jai que depuis quelques mois, mais ça n'avait pas d'importance. Elle et moi étions pareils.

Je n'ose pas regarder les gens, alors je fixe le pupitre. Je n'ai pas écris de discours, j'en étais incapable. Aucun mot ne pouvait décrire ce que je pensais. Une des musiques favorites de Jai se joue en sourdine, One More Light. Ma gorge se serre. Merde.

- J'aurais peut-être pu la sauver. On aurait tous pu... Mais c'est trop tard. On ne peut pas retrouver les choses telles qu'elles étaient. Nous n'avons plus... que le présent.

Je retourne à ma place, incapable d'en dire plus, et jette un regard vers la cercueil. Elle a l'air de dormir. En paix. Sauf qu'elle dormait sur le ventre, les cheveux en bataille.

Je suis hors de moi, écroulé. Elle va se faire incinérer. Il ne restera de ma sauveuse qu'une poignée de cendres. Elle m'a sauvé, m'a fait promettre de vivre, puis s'en est allée. Au fond, même si j'espérais avoir tort, je savais qu'elle finirait par le faire et réussir.

Tout compte fait, Jai n'était pas immortelle.

Et c'est dur, parce que j'ai finalement l'impression de ne pas la connaitre non plus. Juste celle qu'elle était à la fin. Le moindre souvenir fait mal, j'entends encore sa voix et son rire, je sens encore son odeur. Et je la revois mourir chaque nuit.

C'est insupportable. Chaque seconde pire que la précédente.

- Ecoute Shanny.. J'ai besoin de savoir que ça va aller, pour toi.

Impossible de répondre à Tomo, à la sortie du crematorium. Car non, ça ne va pas aller. Parce que j'aurais pu la sauver.

Je me sens comme si je l'avais rejetée, sauf que ce n'est pas vrai. Pour autant que je sache, je n'ai ni ajouté à sa souffrance ni fait quoi que ce soit pour la blesser. Je l'ai juste abandonnée. La seule personne capable de lui tendre la main et de la sauver d'elle-même. De la tirer hors de l'abime dans lequel elle s'enfonçait.

Je regarde la personne en charge des funérailles sceller le casier où sera enfermée Jai pour l'éternité, puis pose une rose et coince des médiators dans l'encoche du haut.

Un rouge, le sien. Un noir, le mien. Un blanc, celui de Jared. Tomo en rajoute un vert, le sien.

Et je pose ma main sur le marbre froid, si vide de sa chaleur que j'aimais tant. C'est dur de lui dire adieu, parce qu'il faudrait accepter pour de bon qu'elle ne reviendra pas. Jamais.

- Et maintenant?

- Maintenant, je vais m'occuper de mon café.

- Tu reviens à Los Angeles?

- Je n'ai plus rien à faire ici...

Je reviendrai, lui dis-je silencieusement. Je continuerai à te guetter, Jai, même quand le temps aura passé. Je te rendrai fière de moi.

J'essaierai, du moins. Je ne peux pas lui dire que je ne coulerai pas, et que ce sera facile, ou que je vais finir par m'en remettre. La vie, pas la mort. Le monde ou rien. Même si je le voulais avec Jai.

Un dernier regard sur le casier. A ce moment-là, j'ai commencé à pleurer. Très fort. Parce que j'ai réalisé que ce n'était pas vraiment Jai. Que ça ne sera plus jamais elle.

A l'appartement, Boo dort devant sa porte, attendant une maitresse qui ne rentrera jamais. Sans Jai, il a l'air aussi perdu que moi. Que nous.

- Tu devrais le prendre avec toi, dit Cyan. Si tu le veux...

C'est comme ça que j'ai hérité de Boo Radley, sachant pertinemment que Cyan se séparait d'un bout de Jai pour tenter de me maintenir à flots.

Jai aurait probablement aimé voir le coucher de soleil depuis le hublot de l'avion, comme elle aurait aimé flâner dans le jardin avec Boo. Elle aurait adoré aller se promener au Runyon Canyon. Et qui sait... peut-être partager ma vie.

Mais nous n'avons que le présent.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant