Chapitre 112 [Jai]:

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Qui que vous soyez; prenez soin de lui, pour moi.

Alors que Shan me rejoint, j'ai le coeur et la gorge noués par le chagrin. Une larme roule sur ma joue, et quand il enfouit son visage contre mon cou, je sais que je tiendrai ma promesse. Je prendrai soin de Shannon, quoi qu'il puisse se passer. C'est lui et moi contre le monde. Aussi longtemps que la vie voudra nous l'accorder.

Je suis la resurrection et la vie

Je ne sais pas si cette épitaphe est adaptée, mais il l'a choisie. Jared n'a rien laissé au hasard quant à sa mort, ses funérailles et à la suite. Mais choisir une phrase de la Bible me fait penser qu'il n'avait pas peur de mourir.

Même sans savoir ce qu'il y avait après. Et en même temps, j'ai l'impression qu'il voulait croire qu'il continuerait son chemin après avoir laissé son enveloppe corporelle. Mais peu importe où il est, j'espère qu'il est bien.

J'aurais aimé le connaitre, ne serai-ce que le voir une seule fois. Je n'ai jamais pu rencontrer l'homme derrière les chansons qui me raccrochaient à la vie.

Les bras de Shan s'enroulent autour de ma taille. Mon coeur s'emballe. Je repousse les ténèbres. C'est Shannon. Je pose ma tête sur son épaule.

- Il m'a sauvé la vie, chuchote-t-il. Alors pourquoi n'ai-je pas pu sauver la sienne?

Parce qu'il ne voulait pas être sauvé. Parce qu'à la différence de Shan, Jared avait vécu, il avait sûrement fait le tour de tous les horizons possibles. Shan était un peu plus âgé que moi pendant sa première dépression.

Jared en avait quarante-cinq quand il a décidé qu'un lendemain de plus était inenvisageable. A-t-il eu des regrets? Ou lui aussi était-il ok avec tout? A-t-il mis longtemps avant de se résoudre à abandonner sa vie, à accepter de faire souffrir ses proches et les autres, et à l'accepter entièrement?

Parce qu'il faut être ok à la fin. Tout doit être ok.

Je l'étais. J'avais accepté de laisser mes biens derrière moi, de faire souffrir les rares personnes qui tenaient à moi, d'accepter le fait que je ne penserais plus, que tout s'arrêterait. Que le monde continuerait sans moi. Je l'ai accepté, même si j'ai mis longtemps, parce que malgré tout, on est tous attachés un petit peu à quelque chose.

Une personne, un objet, une musique... Un vaut mieux que zéro.

Ca ne m'embête pas de penser que je ne serai plus là, un jour. Tout comme je me fous de ne pas être née cent ans plus tôt. Je crois que, la mort, c'est surtout ça. Notre vie dans cent ans ressemblera à celle qu'elle était cent ans avant notre naissance.

Il n'y a que deux choses qui comptent: nos décisions et nos actes. Ils resteront pour l'éternité. Quoi qu'il se passe, on ne pourra jamais revenir dessus. Comme la Terre qui tourne autour du Soleil, on n'existe pas qu'à un seul endroit. Tout ce qu'on fait laisse des traces.

Le passé est éternel. Toutes les traces qu'on laisse derrière nous sont immortelles. Peu importe si personne ne les voit ou ne s'en souvient. On ne peut rien changer.

- Tu te perds dans tes pensées.

Je pourrais confondre son chuchotement avec les feuilles des arbres qui bruissent tellement il parle bas. Je secoue la tête et reprends conscience dans l'instant présent.

Dans l'avion, je reprends le colis que Dan m'a envoyé. Le livre de Cyan, terminé. Il l'a imprimé en deux fois, un pour moi et un autre pour un éditeur Londonien. Je ne peux plus stopper ma lecture.

- C'est bientôt terminé pour toi, l'avion, dit Shan. Alors faudra savoir si on emménage avant tes sept mois de grossesse ou après la naissance.

- Faudra surtout que tu cherches deux employés de plus pour Black Fuel, dis-je distraitement.

- J'aimerais me mettre à fabriquer des cookies en forme de sexe.

Je suis tellement prise dans ma lecture que j'acquiesce sans trop savoir ce qu'il dit. Il y a plusieurs références à nous, toutes nos soirées de recherches ont été intégrées, le suspense est là.

- Tu veux m'épouser?

- Bien sûr, Shan... attends, quoi?

Je relève le nez de mon livre, coupable, alors qu'il éclate d'un grand rire. La femme devant nous se retourne, furax, et on rit encore plus, comme des enfants fiers de leur connerie.

J'aime le voir sourire.

- Wow, doucement Jacky Shan... Qui te dit que t'as vraiment envie de passer le reste de ta retraite avec une dingue comme moi?

Il sourit comme un enfant et me lance un clin d'oeil avant de glisser trois oreos dans sa bouche, comblant l'espace dans ses joues, lui donnant un air stupide de hamster.

- Je t'ordonne de rire, parvient-il à dire en postillonnant partout.

Je mords ma lèvre en bouclant ma ceinture parce qu'on annonce l'atterrissage... puis j'éclate finalement de rire quand un filet de bave lui tombe sur le t-shirt, et qu'il s'étouffe presque en essayant d'avaler tous les gâteaux, qui lui laissent les dents noires. Nos voisins nous regardent avec amusement.

- Dégueulasse, grimacé-je.

Et nous quittons précipitamment les lieux, des miettes d'oreos partout sur notre hublot.

Je glisse ma main dans celle de Shan quand nous sortons de l'aéroport bondé. Son t-shirt blanc est tâché, le mien colle à mon ventre.

En chemin, mes mains crispées sur l'oeuvre de Cyan, mes pensées se tournent vers la lutte dont mon corps et mon esprit ont été témoins, une lutte de fantômes que j'ai dû revivre au quotidien ces six dernières années.

J'ai fui tous les lieux qui me rappelaient mes morts. Je me demande parfois si je vis un deuil normal, ou si j'en ai trop vécu pour suivre le processus. Je ne sais pas si la douleur que j'éprouve est celle de leur souvenir, ou un condensé de tout.

- Shannon voulait disparaitre, me confie Constance alors que Shan fait le barbecue. Il voulait juste disparaitre.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant