Chapitre 105 [Shannon]:

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- Fais en sorte que ma mère n'en fasse pas trop quand même.

- T'en fais pas, mon pote. On gère. Occupe toi de ta femme et reviens-nous en forme!

Travis est un vraiment un gars cool, jamais il ne m'a fait faux-bond. Je peux compter sur lui jour et nuit. Même si ça me fait chier de lui laisser la garde de Black Fuel et de faire faire des heures sup' à mes employés, je dois reconnaitre qu'ils sont sympas.

Personne n'a dit quoi que ce soit sur le fait que je sois de nouveau à Londres, pas même ma mère à qui je manque terriblement. Comme prévu, elle a repassé tous mes vêtements en mon absence.

Je l'exaspère parce que mes vêtements sont toujours froissés ou mal pliés dans mon dressing, ce qui la fait grincer des dents. Elle dit que ce n'est pas parce que je suis célèbre que je peux négliger mon apparence. On peut compter sur ma mère pour garder la tête froide.

- J'avais dix mois quand ils ont divorcés, dis-je à Jai, plongée dans l'album photo que je traine partout avec moi. Et dix ans quand mon père s'est flingué.

Tomo crèche ici pour quelques jours, parce qu'il m'a emmené quelques affaires, comme prévu. Heureusement que lui aussi est là. Je me dis souvent que j'ai de la chance d'avoir des proches comme les miens.

J'essaie de raccrocher Jai à la réalité, mais elle semble s'éloigner de plus en plus. Craintive de mon toucher, fatiguée en permanence, renfermée et muette... C'est terriblement dur de la voir régresser après tout ce dur chemin parcouru.

- Jaiiiiiii! Oh mon dieu, chérie! Comment tu vas? Tu fais très... Américaine! Rit Noah.

Elles s'étreignent rapidement. Noah sait, mais parle de tout sauf de choses tristes. Elle fait rire Jai, c'est tout ce qui compte. Elles se voient souvent, presque tous les jours, en fait.

Pour s'occuper, je lui apprends à jouer du piano sur celui de Dan. Elle est attentive, apprend vite et s'entraine pendant des heures. J'ai essayé de lui apprendre la batterie, mais c'était du grand n'importe quoi. Comme moi quand je jouais sur les casseroles de ma mère, il y a quarante ans.

Comme elle joue plutôt bien de la guitare, je lui apprends L490, le morceau que j'ai crée dans son intégralité, et elle m'apprend Imagine, de John Lennon. On s'occupe comme on peut.

Puis un autre jour se lève, et ça fait un an.

Il y a un an, les flics venaient taper à ma porte. Un des deux n'était pas plus vieux que Jai, il tremblait, sa casquette à la main. Quand ils m'ont dit que mon frère s'était crashé en voiture, je ne l'ai pas cru.

Jared était prudent sur la route.

Mais il n'y avait pas dix mille Jared Leto, et pour éviter de faire flipper ma mère en cas d'erreur, je suis allé reconnaitre le corps seul. Il a été autopsié. Il était terriblement mutilé.

- Votre frère avait-il des antécédents? Avait-il déjà tenté de mettre fin à ses jours?

- Non, ai-je dit, abasourdi.

- On a écarté la thèse de l'accident, il était habitué de ces chemins. Il avait cinq grammes dans le sang, et n'avait pas sa ceinture de sécurité.

Pas de ceinture, cinq grammes. Jared a traversé le pare-brise, s'entaillant profondément le visage, les bras et les flancs... et il a atterri à quelques mètres du Sequoia après s'être brisé la nuque dans l'arbre sous la violence du choc.

A l'enterrement, ils l'ont maquillé, si bien qu'on aurait cru qu'il dormait, paisible.

Quand j'ai réussi à tituber jusque chez moi, ma mère avait été prévenue. Elle a hurlé et pleuré pendant des heures, des cris terribles. On lui avait arraché une partie de son coeur.

Je n'ai pas dessaoulé les deux premiers jours, le troisième, il a fallu aller en Louisiane. Je me suis éclipsé et me suis enfui, trop fier pour montrer mes failles. Trop abimé pour rester debout dans mon ancien monde.

Un an plus tard, je suis toujours à Londres, mon frère me manque toujours autant, mais je crois que ça va. Je vais mieux.

As-tu trouvé la paix, petit frère? As-tu trouvé des gens aussi déglingués que toi, dans l'autre monde? As-tu retrouvé Chester et tous tes absents?

- Comment tu te sens? Murmure Jai en m'enlaçant par-derrière.

Comme une merde. Normal. Vide. Plein de chagrin. J'en sais rien. Et je ne veux pas m'analyser.

- Que dirais-tu de prendre une douche? Répliqué-je en l'embrassant.

- Tu ne pourras pas te défiler tout le temps.

Je fronce les sourcils. Comment ça, je me défile? Jai passe son index sur mon front, comme à chaque fois que je fais ça. Son t-shirt est remonté quand elle a levé le bras, mes doigts accèdent à son intimité laissée libre.

Pas un mot de plus. Je sais que je fais taire tout ce que je ressens, que je repousse tout parce que m'analyser revient à prendre conscience de moi, mais c'est ma façon à moi de gérer.

Dans la chambre, Jai se tapote l'épaule, là où j'ai écrit "A moi", au Bic, pour rigoler.

- Je pourrais mourir pour toi, Shan... mais je refuse de vivre pour toi. Je ne t'appartiens pas.

- Je veux que tu vives pour toi, dis-je contre ses lèvres, mes mains sur ses hanches.

Elle me lance un regard et fait tomber mon pantalon, le souffle court. J'aime quand elle me lance ce regard bouillant et impatient, comme si j'étais sa priorité et la plus belle chose qui soit.

- Et un peu pour moi, aussi, terminé-je en pénétrant lentement en elle.

Elle a été soumise et domina, elle doit en connaitre un rayon sur l'appartenance à quelqu'un. Elle assure aujourd'hui qu'elle n'est plus de ce monde, mais elle en garde les stigmates.

Et si elle y retourne, je ne pourrai pas la suivre. Je ne suis pas comme ça.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant