Bonus 3 [Shannon]:

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- Tu es vraiment sûr de ce que tu fait, Shannon?

Je détourne le regard de mon livre pour le poser sur ma mère, qui fait du repassage en fredonnant, ses lunettes sur le nez, ses cheveux coiffés en une longue tresse argentée.

- Je lis maman, je ne fais rien de mal.

Elle pose le fer et plie un de mes t-shirt, encore un peu fumant. Elle a des gestes sûrs et rassurants, je me rappelle que je me blotissais souvent contre elle quand elle était occupée, juste pour me rassurer de sa présence. J'étais un gamin craintif et un brin coupable, comme si ma naissance et celle de mon frère avait explosé le mariage de mes parents.

J'en veux encore à mon père, qui a quitté sa vraie famille pour en reconstruire une autre, sans penser à nous, avant de se foutre en l'air. A croire que c'est de famille. Peut-être que Jai a raison, le suicide est peut-être contagieux.

- Je parlais de...

Elle jette un regard prudent autour d'elle, et je comprends qu'elle ne veut pas que Jai entende notre conversation... ce qui ne laisse plus aucun doute sur celle-ci.

- Maman, soupiré-je. Oublie son âge, s'il te plait. Elle me fait du bien.

- Du bien?

- Pas dans le sens sexuel, maman! Raaah, c'est dégueulasse de parler de ça avec toi.

- Je connais ton corps, mon chéri. C'est moi qui t'ai fait et changé tes couches.

- Mon corps a un petit peu changé depuis que tu changeais mes couches.

Beaucoup, même. Et même si elle m'a déjà vu à poil étant adulte, je ne préfère pas en parler. Ma nudité n'est pas un problème, mais je préfèrerais que ma mère reste loin de ces termes me concernant.

- Alors, es-tu vraiment sûr de ce que tu fait?

- Oui.

- Et elle?

Jai m'a assuré qu'elle resterait avec moi à jamais, et même si je ne suis pas crédule sur l'amour éternel, je la crois... j'espère. Je ne veux pas penser à tout ce qui pourrait foirer entre nous.

- Tu n'as pas l'air sûr, remarque-t-elle.

- Elle est la seule qui me supporte. Les autres me donnent envie de m'exploser le crâne...

Air horrifié et paniqué de ma mère.

- ... contre un mur. Je sais qu'elle est super jeune, mais il n'y a rien que je puisse lui faire qu'on ne lui a pas déjà fait.

C'est ce qu'elle m'a dit le jour où j'ai voulu tester la sodomie avec elle. Elle a haussé les épaules, a dit qu'elle aimait ça, et a ajouté d'un ton sombre: de toute façon, il n'y a RIEN que tu puisses me faire qu'on ne m'a pas déjà fait.

J'ai longtemps médité sur ces paroles, mais plus elle m'en dit sur elle, plus je me rends compte qu'elle ne parlait pas qu'au niveau du sexe. La vie en général l'a bousillée de toutes les manières possibles. On a abusé de son corps, de sa confiance, de son âge, de sa situation...

- J'ai vu ses cicatrices. Ce qu'elle se fait. Elle ne va pas bien non plus. Je m'inquiète pour elle, et pour vous. Comment être sûre que vous ne vous tirez pas mutuellement vers le bas en pensant vous aider?

Je pousse un gros soupir. Autant être honnête.

- Sans elle, je serais mort. Je n'abuse pas quand je dis qu'elle m'est vitale.

Ma mère éteint le fer et s'assied lourdement sur le canapé, le visage enfoui dans ses mains tremblantes. Merde, merde, merde! Je la rejoins et passe mon bras autour de ses épaules pour la serrer contre moi, coupable.

- As-tu pensé au suicide?

Elle pleure. Ma gorge se serre et je presse mes doigts contre mes paupières pour m'empêcher d'en faire autant. Comment lui faire ça, à elle qui a perdu son premier mari et son fils dans le suicide?

Elle serre ma main dans les siennes et m'étreint fort.

- J'ai essayé deux fois... elle m'a sauvé, les deux fois. J'avais peur.

Je me suis promis de ne plus jamais lui cacher quoi que ce soit, ni lui mentir. Elle mérite mieux que ce que j'ai pu lui donner toute ma vie. Elle mériterait que je me prosterne à ses pieds.

- Je suis désolé, maman, murmuré-je.

- Je t'en ai voulu d'avoir disparu, Shannon. Malgré ce que Tomislav disait, je savais que tu ne reviendrais pas. Je savais que tu partais pour toujours. Tu ne m'a même pas dit au revoir. Je t'ai cherché, je t'ai appelé mille fois. Jamais rien. J'ai été abandonnée des trois hommes de ma vie.

- Je suis là, je ne t'ai pas abandonné. Je ne partirai plus jamais.

- Ne dis pas jamais, Shannon!

- Je sais que je suis un gros connard, maman, et que je ne suis pas le gars le plus honnête et sympa de la planète, mais laisse-moi Jai, s'il te plait. Je saurai vous rendre heureuse, toutes les deux.

- Elle te rend heureux?

- Plus que ça.

- Je m'inquiète pour elle.

- Moi aussi.

Elle ne veut pas me lâcher, elle pleure toujours. Je pose mon menton sur le haut de sa tête et profite de son étreinte, parce que c'est la meilleure chose qui soit. On ne m'offrira jamais rien d'aussi sacré.

- Elle a essayé aussi?

- Neuf fois.

Ses larmes redoublent d'intensité. Je sais que j'ai gagné, qu'elle ne me séparera pas de Jai, et que, même s'il lui faudra du temps pour accepter, elle nous laissera tranquille.

Elle a toujours rêvé d'avoir une fille. Elle était d'ailleurs persuadée que j'en étais une, et avait craqué sur le prénom avant même ma naissance, ce qui fait que je me suis retrouvé affublé d'un prénom de femme.

On m'a tellement charié, à l'école. C'était horrible. Mes pires souvenirs sont de Virginie, où j'ai été scolarisé les trois dernières années. Mon tempérament bagarreur ne les arrêtaient pas, et j'ai souvent pris des raclées pour la simple raison de mon prénom. C'est comme ça que je suis tombé.

Des blagues nulles, des râteaux à la chaine (en plus j'étais moche), des mains au cul, des regards appuyés sur ma queue dans les vestiaires, la mise de côté... et j'en passe.

Je déteste me souvenir de ça. Ça fait encore mal.

- N'abime plus ton coeur, Shannon.

Trop tard, maman.

Il est pourri... mais il bat à nouveau, et pas que pour me faire souffrir.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant